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Aviation Générale

Imbroglio autour du coavionnage

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Fabrice Morlon

S’appuyant sur un récent rapport d’enquête du BEA, le SNPL part en guerre contre le coavionnage proposé par des plateformes sur Internet. En dépit des communications sans ambiguïtés du BEA et de la DGAC, le syndicat entretient l’amalgame entre coavionnage et mise en relation entre passagers, propriétaires d’appareils et pilotes de sociétés ou privés. Le 8 février 2019, un Piper PA-46 sortait de la piste de Courchevel pour entrer en collision avec le talus enneigé. L’un des deux passagers est blessé. L’événement aurait presque pu passer inaperçu, si ce n’était que le vol en question a été entrepris via une plateforme de mise en relation entre passagers et pilotes.

De quoi ranimer les querelles sémantiques et les raccourcis trompeurs entre coavionnage, vol en partage de frais élargis et mise en relation entre passagers, propriétaires d’appareils et pilotes de sociétés ou privés.

Dans son rapport d’enquête, le BEA (Bureau d’Enquêtes et d’Analyses) détaille par le menu les conditions qui ont abouti à la sortie de piste du monomoteur.

Il apparaît que le vol a été entrepris par deux passagers, au départ de Toussus-le-Noble, qui ont réservé un vol via une plateforme internet aujourd’hui disparue, Bluewings. Cette dernière avait été créée par la société BigBlank, filiale du groupe Air France-KLM ce qui avait alors rassuré les passagers sur le sérieux de la plateforme.

Dans les conclusions de son rapport publié en juillet 2021, le BEA recommande deux actions à la DGAC.  La première est d’imposer « un complément de formation ou [que] des critères d’expérience soient demandés en cas d’utilisation d’un avion dont la classe, le type ou les performances différent significativement de la classe ou du type de l’avion utilisé pour la formation à l’autorisation de site. »

Le commandant de bord, titulaire d’un CPL et qui détenait l’autorisation de site pour Courchevel, avait suivi sa formation sur un Jodel D140, avion de la même classe que le PA-46, mais ce dernier présente des performances bien différentes en comparaison du premier.

La deuxième recommandation du BEA est d’inviter la DGAC à surveiller attentivement les plateformes de mise en relation de propriétaires d’aéronefs, pilotes et passagers. Le BEA signale que des plateformes internet se développent de manière importante, et que « certains vols s’apparentent à du transport commercial de passagers sans pour autant offrir le niveau de sécurité attendu. »

Le BEA conseille alors à la DGAC de « rechercher activement et identifier les opérations aériennes proposées ou organisées par des plateformes internet qui s’apparenteraient à des opérations aériennes commerciales sans répondre aux exigences règlementaires en vigueur, puis statuer clairement sur la licéité de ces opérations et faire cesser les opérations ne garantissant pas le niveau de sécurité requis. »

Pour proposer ce conseil, le BEA précise bien que « certaines plateformes permettent le développement de l’activité d’aviation légère tout en respectant les règles en vigueur et participent ainsi au développement d’une culture aéronautique en France. »

De manière à répondre à ces recommandations, la DGAC a entrepris plusieurs communications. La première, hélas bien discrète, a été de publier un fascicule de quatre pages à destination des passagers : « Mon vol est-il légal? »

Le 11 août 2021, la DGAC envoyait un courrier adressé majoritairement aux écoles de pilotage, en précisant sa position sans ambiguïté.

« Nous constatons depuis quelques années le développement de plateformes numériques proposant un service de mise en relation entre propriétaires d’appareils, pilotes et sociétés ou particuliers. »

« Contrairement au coavionnage, cette activité repose sur une facturation aux seuls passagers d’une prestation de pilotage, et ne peut donc être régie par la règle des vols en frais partagés. »

« En effet, les pilotes inscrits sur ce type de plateformes opèrent sous un statut de pilote autoentrepreneur » poursuit le courrier signé par Emmanuel Vivet, sous-directeur de la DGAC qui évoque ici des pilotes professionnels et non privés comme dans le cas du coavionnage ou le vol en frais de partage élargi.

Le courrier précise encore que dans ce cas « le pilote ne se soumet pas aux mêmes exigences en matière de temps de vol et de temps de repos que dans un régime de transport public » et que, en cas d’incident, le pilote pourrait être amené à supporter seul la responsabilité, y compris financière.

La DGAC précise enfin que ce type de pratique est considérée par elle comme correspondant à une offre de transport aérien à titre onéreux et génère une concurrence déloyale à l’égard des opérateurs détenteurs d’un CTA (Certificat de transporteur aérien). Les pilotes encourent entre autres une peine d’emprisonnement d’un an, assortie d’une amende de 75.000 euros pour défaut de CTA et 1.500 euros par vol.

Malgré les publications sans ambiguïtés du BEA et de la DGAC, le Syndicat national des pilotes de ligne France Alpa (SNPL) a publié quant à lui un communiqué faisant un amalgame trompeur entre ces pratiques pointées du doigt et le coavionnage.

« Dans le terme coavionnage, le préfixe « co » désigne l’appartenance de la pratique au monde de l’économie collaborative, aussi appelée économie du partage, dans laquelle des pilotes privés partagent des frais directs sur des ressources privées sous exploitées. La notion de partage de frais est ici centrale » explique Bertrand Joab-Cornu, co-fondateur de Wingly.

Dans l’accident du Piper PA-46 à Courchevel, il n’y avait aucun partage de frais : le client a acheté une prestation et le pilote devait être rémunéré.

En outre, le coavionnage et le vol en partage de frais élargis sont quant à eux tout à fait légaux et reconnus comme tels par la DGAC. Les vols à frais partagés sont autorisés par la réglementation Européenne N°379/2014 du 7 avril 2014, règlement de la commission de régulation Européenne N°965/2012. Depuis 2017, le cadre réglementaire a évolué et l’autorité de tutelle de l’aviation civile encadre le coavionnage, de même que la Fédération française aéronautique.

Le pilote privé, PPL, LAPL, CPL ou ATPL, qui évolue dans le cadre du vol en partage de frais élargi peut donc être rassuré et voler en toute quiétude. Quant au SNPL, il peut se vanter d’avoir déclenché un bel imbroglio.

Fabrice Morlon

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Fabrice Morlon

Pilote professionnel, Fabrice Morlon a rejoint la rédaction d’Aerobuzz, début 2013. Passionné d'aviation sous toutes ses formes, il a collaboré à plusieurs médias aéronautiques et publié une dizaine d'ouvrages, notamment sur l'aviation militaire.

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  • Cela semble avoir été bien facile pour AF et les géniaux concepteurs de ce système, sorte d’Uber des petits voyages, de chercher à disparaitre du paysage en effaçant le site internet de cette fameuse Bluewings « créée avec pour objectif de devenir une pépinière de jeunes pousses » ….
    Je crois d’ailleurs que dans le cas de Courchevel, les jeunes pousses "aux pulls bleu marine qui inspiraient confiance" étaient de jeunes CPL à qui on devait demander le fameux "ticket d’entrée dans la profession" – bref, de cracher au bassinet – pour pouvoir faire ces vols. Comment se faire de l’argent sur le dos des jeunes, une fois de plus.
    Et qui donc se faisait son petit profit avec ça ? Pour ceux qui aiment chercher, si vous cliquez sur les sites signalés par le BEA (qui ne peut sans doute pas faire plus) et imprimés en tout petit dans le rapport en question (la marge à gauche) vous avez le nom du ligneux d’AF derrière tout ça…. mais je ne vous ai rien dit.
    il y a dû y avoir des règlements de compte internes dans la maison, et dont les pauvres mortels que nous sommes ne sauront rien.
    J’espère juste que les passagers (qui ont failli mourir sur ce coup-là !) auront des avocats teigneux.
    Comme écrit ci-dessous, heureusement pour eux, il n'y a pas eu de victimes ni de blessures graves.

  • Les pilotes qui participent en toute bonne foi à ces pratiques, légales…bien qu’à la marge dans certaines conditions, doivent bien prendre conscience qu’en cas d’accident entraînant la mort ou des blessures graves touchant un ou des passagers, ils risquent d’être confrontés à bien des soucis face à des familles qui s’attacheraient à des avocats pugnaces…Maintenant à chacun d’y réfléchir.

    • Sans vouloir relancer ce débat sur le forum, l'analyse de Derry est concise et parfaite. C'est légal mais... à l'heure où d'aucuns prennent un avocat pour un coq qui chante (et il est dans son droit, ce coq !), il faut être prêt à tout.

  • Je rejoins le SNPL ! si partage des frais ne signifiait pas également " partage des risques " tout irait bien dans le meilleur des mondes !

  • Bonjour Mr Morlon.
    J'ai bien lu et relu l'article, qui fait mention d'un communiqué du SNPL. Cependant, j'ai eu beau parcourir le web avec ma frontale, et tous les radars allumés, je n'ai pas trouvé trace de ce communiqué. Y compris bien sûr, sur le site du SNPL. Votre article fait mention du communiqué, mais ne donne pas de moyen d'y accéder.
    Pourriez-vous me faire parvenir ce communiqué, ou nous donner un lien vers celui-ci ?
    Merci bcp !

    • Communiqué de presse du SNPL. 20 août 2021

      Méfiez-vous des activités aériennes annexes

      Dès 2015, nous avions alerté la DGAC sur les risques induits par l’activité dite de coavionnage. Principalement, le SNPL avait fait clarifier que tout transport contre rémunération faisant l’objet de publicité relevait bien du transport aérien.

      Nous avions, à l’époque, identifié plusieurs menaces qui pesaient sur les seules épaules des pilotes. Au-delà des risques opérationnels, les menaces financières mais aussi légales, civiles comme pénales, sont réelles.
      Le Conseil national de l’époque avait condamné à l’unanimité ce genre de pratiques. Notre
      publication « la ligne » (numéro 610, page 10) avait repris les dangers qui exposent les
      pilotes.

      Nous venons de recevoir une lettre de la DGAC, que vous trouverez ici, qui reprend nos
      arguments et qui semble passer à la vitesse supérieure. La tolérance vis-à-vis de ce genre
      de pratiques semble enfin révolue.

      Les risques encourus par les contrevenants sont les suivants:
      - 1.500 € d’amende par vol effectué illégalement ;
      - 1 an d’emprisonnement et 75.000 € d’amende pour défaut de CTA ;
      - Retrait de licence avec interdiction d’en solliciter une nouvelle (jusqu’à 5 ans) ;
      - 3 ans d’emprisonnement et 45.000 € d’amende pour dissimulation d’activité à but
      lucratif.

      Le SNPL vous recommande donc la plus grande prudence et vous conseille de ne pas faire partie de la liste des pilotes inscrits sur ce genre de plateformes numériques qui mettent en relation propriétaires d’appareil, pilotes et sociétés ou particuliers.

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