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Je vous écris de Tahiti…

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Martin R.

En Polynésie, il y a beaucoup d’eau et peu de 100LL. Cela ne facilite pas la pratique de l’aviation légère, mais il en faut plus pour entamer le moral des pilotes privés locaux.


Au début de l’année dernière, les fùts d’essence avion 100LL, en provenance d’une raffinerie australienne et destinés aux aéro-clubs de Polynésie, ont été déchargés par inadvertance dans un port de Nouvelle-Zélande. Ce contretemps a cloué au sol les pilotes privés polynésiens pendant près de cinq semaines, le temps que la cargaison soit chargée sur un nouveau navire à destination de Papeete. Ce loupé a surtout mis en évidence la précarité de leur situation.

L’approvisionnement en carburant est devenu le problème numéro un de l’aviation légère polynésienne, quand, il y a six ans de cela, la compagnie régionale Air Moorea a remplacé ses bimoteurs à piston Britten Norman BN2 par des biturbopropulseurs Twin Otter. Du jour au lendemain la consommation annuelle d’AvGas de l’archipel est tombée de 2 millions de litres à 200.000. Du coup, le marché est devenu beaucoup moins intéressant pour les pétroliers qui se sont retirés les uns après les autres. Aujourd’hui les pilotes sont à la merci du bon vouloir de Mobil, le dernier et unique fournisseur.

Encore trop tôt pour le diesel

 » En l’espace de six ans, les prix ont plus que doublé, en partie du fait du coùt prohibitif du transport des fùts du port jusqu’à l’aérodrome « , résume Jean-François Rouger, le président de l’association de propriétaires  » Ailes et voltige « . L’essence avion n’étant pas taxée dans ce territoire d’outre-mer, malgré cette culbute, le prix du litre est actuellement comparable à ce qu’il est en métropole. Il n’en demeure pas moins que cette envolée des prix a eu des répercussions sur la gestion des associations.  » Cette augmentation constitue certes un problème pour les finances du club et le budget de nos membres, mais le souci essentiel tient au fait que nous sommes confrontés à une solution fragile d’approvisionnement qui peut s’interrompre du jour au lendemain, même si les pétroliers nous ont assuré du contraire « .

Vue d’Europe où Thielert gagne chaque jour de nouveaux clients, la solution au problème semble naturellement passée par le diesel, d’autant que le Jet A1 est omniprésent à travers la Polynésie française, sur la cinquantaine d’îles desservies par Air Tahiti et ses filiales en ATR42/72, Twin Otter et Beech 200.  » J’ai fait une étude et effectivement, le diesel est très intéressant, même au-delà de l’aspect financier. Il nous ouvre de nouvelles possibilités de navigation. Mais du fait de notre éloignement par rapport à la métropole, le moindre problème mécanique, aussi mineur soit-il, prend tout de suite des proportions importantes ici », explique Christophe Lassagne, le président de l’aéro-club les Ailes du Fenois.  » Nous devons attendre encore quelques années. Nous ne pouvons pas nous permettre qu’un moteur tombe en panne. Nous volons continuellement au-dessus de la mer et le diesel n’est pas encore assez sùr « .

Le milieu dans lequel évoluent les pilotes polynésiens ne pardonne pas. Il suffit pour s’en convaincre de voir, accrochées au mur du bureau de l’aéro-club, les photos de monomoteurs perdus corps et âme dans les profondeur du Pacifique. La liste est longue. Ces épaves qui gisent au fond de l’océan ne sont toutefois pas perdues pour tout le monde. Le club de plongée de Papeete a jeté son dévolu sur un C172RG IFR, posé au fond du lagon, en bout de piste de l’aéroport de Tahiti-Faaa. C’est devenu son lieu de prédilection pour les baptêmes de plongée. Pour les plus confirmés, il y a aussi un Catalina…  » Il y a eu beaucoup de casses à cause de panne d’essence. C’est inacceptable « , s’insurge François Challey, le chef-pilote de l’aéro-club.  » Les pilotes et leurs passagers s’en sortent bien en général, mais cela fait chaque fois, une machine en moins « . Depuis son arrivée au club, il y a quatre ans, il a imposé une nouvelle rigueur pour enrayer l’hécatombe.  » Il faut parfois menacer. C’est le mauvais côté du métier « .

Un environnement envoùtant et hostile

D’une manière générale, sous ses airs de cartes postales, la Polynésie, d’un pur point de vue aéronautique, peut se révéler par certains côtés hostile. Pour le matériel, plus que pour les pilotes, d’ailleurs. Des précautions s’imposent pour éviter, non seulement des drames, mais surtout pour assurer la disponibilité de la flotte, au jour le jour. L’air ambiant, salin et saturé en humidité, entraîne une forte corrosion en bord de mer. Sous le soleil, la température peut monter haut.  » Nous imposons aux membres du club de rentrer les avions dès qu’ils se posent pour les protéger du soleil. Nous leur demandons de mettre en place les caches Pitot pour éviter que les mouches-maçonnes, très actives ici, ne bouchent les entrées d’air avec de la terre « , explique le chef-pilote.

 » La gestion d’un club comme celui-ci est compliquée « , confirme le président.  » Nous sommes loin des centres de décision. Nous jonglons avec les difficultés d’approvisionnement. Un changement de moteur est complexe et long. Nous sommes obligés de nous fournir aux USA, chez les grands revendeurs, parce qu’il n’y a absolument rien sur place. Cette situation nous contraint, en particulier, à entretenir un stock important de pièces de rechange « . C’est aussi la raison pour laquelle, les deux clubs de la plate-forme, l’aéro-club UTA et l’aéro-club de Tahiti, en perte de vitesse, ont décidé de fusionner en 2005, pour donner naissance à l’aéro-club les Ailes du Fenois. En polynésien, le Fenois est le pays, le terroir. Ce mot possède une signification forte.  » En nous réunissant ainsi, l’objectif était de regrouper les moyens humains et matériels afin de diminuer les charges. Nous n’avions pas d’autre alternative. Il n’est pas possible, en particulier, de sous-traiter la mécanique, faute d’atelier sur place. Nous devons la prendre en charge nous-même, dans le cadre réglementaire imposé par le GSAC « . Même à plus de 17.000 km de sa base, la DGAC veille.

L’aéro-club possède, par la force des choses, sa propre unité d’entretien agrée et salarie deux mécaniciens, l’un à temps plein, l’autre à mi-temps. Dans le hangar voisin, les huit pilotes-propriétaires qui constituent l’association  » Ailes et voltige  » se sont tournés vers la construction amateur pour échapper à la réglementation. Toutefois avec deux avions en CDN, un Piper L4 et un Gardan (en cours de remise en état), ils envisagent eux aussi de se doter de leur propre unité d’entretien agréée.  » Elle devra être effective avant fin 2008, mais le Stampe que nous sommes en train de restaurer sera en CNRAC pour plus de liberté « , fait remarquer Jean-François Rouger.  » Le GSAC à Tahiti, c’est une seule personne. Si on loupe un renouvellement de CDN avant son départ pour la métropole, il faut attendre qu’elle revienne pour pouvoir voler « .

Un pur esprit gaulois

En dépit des tracasseries administratives et des problèmes d’approvisionnement en essence, la joie de vivre de ce petit groupe de pilotes, tous membres, par ailleurs, de l’aéro-club les Ailes du Fenois, est manifeste. Le hangar de 200 m2 qu’ils ont construit de leurs mains, il y a trois ans, pour s’affranchir de la tutelle sclérosante du gestionnaire de la plate-forme de Tahiti-Faaa, est l’annexe de leur domicile. Ils s’y retrouvent le soir et le week-end, pour boire une Hinano, la bière locale, et pour avancer les différents chantiers en cours. Outre le Gardan, ils travaillent actuellement sur un Stampe qu’ils ont récupéré aux USA où il volait avec un six cylindres en ligne de 150 cv, un moteur Ranger de Fairchild 24, une cellule renforcée, un chapelet de gueuses dans la queue et un capot proéminant.  » Nous sommes en train de le remettre au standard. Chacun d’entre nous a pris des morceaux de l’avion pour les retaper chez lui « .

Ce sera le deuxième avion de voltige de l’association qui a construit  » un faux Pitts S2 « , à partir de plans de Skybolt et de photos de Pitts S1. Il est motorisé avec un Lycoming O-360 de 200cv.  » Il ressemble par hasard au Pitts S2 « . Les pilotes ont obtenu la création de deux axes permanents de voltige, l’un au-dessus de la piste de Papeete, l’autre à la verticale de celle de Moorea. Moorea, c’est aussi, la seule piste accessible aux avions de ce club, parce qu’elle est aussi la moins éloignée. Elle n’est distante que de 15 minutes de vol. Pour élargir son horizon, Jean-François ne désespère pas de créer une altisurface sur l’île de Papeete. Pour l’heure rien n’est fait. Il a commencé à prospecter du côté des agriculteurs. Le relief de l’île est très accidenté. Le mont Orohena culmine à 2241 mètres. Le cœur de l’île est inaccessible par voie terrestre et les seules possibilités d’aménagement de piste se limitent à la presqu’île.

Le rayon d’action des membres de l’aéro-club les Ailes du Fenois est un peu plus étendu que celui des constructeurs amateurs de Faaa. Les problèmes d’approvisionnement en AvGas ont toutefois considérablement restreint l’éventail des destinations envisageables. Le seul endroit, en dehors de Papeete, où il est possible de trouver de l’essence avion, est Raiatea, à 108 NM à l’ouest, où est implanté l’autre club de la Polynésie française qui porte le très beau nom de l’aéro-club des îles sous le vent (voir encadré). La navigation se fait, comme pour une traversée vers la Corse, selon des cheminements prédéterminés et des points de sortie de la zone de contrôle.
 » En dehors des îles sous le vent, pour aller dans les îles situées à plus de 200 NM, nous sommes obligés d’expédier au préalable des fùts par bateau. C’est compliqué et cela coùte cher, d’autant que nous ne pouvons pas rapatrier le carburant résiduel « , explique le président. Depuis la disparition des Britten Norman BN2 du ciel de Tahiti, les pilotes privés se contentent donc d’aller là où ils peuvent faire l’aller retour avec un plein. Malgré cet impératif, avec moins de 100 litres de 100 LL on peut, ici, aller au paradis et surtout en revenir. L’île merveilleuse de Bora Bora, avec son piton central qui culmine à 760 m et ses petits motus, mini pains de sucre qui émergent au milieu de l’eau, n’est situé qu’à 132 NM.

Au pays des merveilles

 » Il y a trois types d’îles en Polynésie « , résume François Challey qui depuis qu’il s’est installé à Tahiti a sillonné le Territoire.  » Les atols de type Tuamouto, des îles basses, sans culture avec de magnifiques lagons. Les îles hautes avec des pitons élevés comme Tahiti et enfin les îles montagneuses comme les Marquises. Notre activité se concentre à l’ouest, sur les îles sous le vent, parce que nous n’avons pas besoin de HF et qu’il est possible de faire l’aller retour sur les pleins « .

La météo dans cette région du monde est globalement favorable au VFR. Les saisons ne sont pas très marquées et il est possible de voler d’un bout à l’autre de l’année. Toutefois, l’absence de prévisions météorologiques fiables encourage à la prudence.  » Même en période cyclonique, entre janvier et avril, les vagues de mauvais temps sont entrecoupées d’accalmies ensoleillées. Nous pouvons être confrontés à des pluies et des plafonds bas qui rendent délicates les conditions de vol, mais d’une manière générale, nous avons plutôt affaire à des dépressions tropicales. Les cyclones sont exceptionnels. Nous ne sommes pas sur leur route  » synthétise Christophe Lassagne.  » Au bilan, nous avons une activité linéaire sur toute l’année, avec entre 150 et 200 heures de vol par an « .

L’aéro-club les Ailes du Fenois culmine à 2400 heures par an. Il compte 170 membres et exploite une flotte de 5 avions : un biplace C150 pour l’école, un C172, un PA28 Archer, un PA28 Warrior, auxquels vient s’ajouter un C182 appartenant au para-club de Moorea.  » Nous avons mutualisé les moyens, mais les deux aéro-clubs restent propriétaires de leurs propres avions et continuent à exister légalement « , souligne le président de l’aéro-club du Fenois.  » Au moment de la fusion, nous n’avons pas voulu les dissoudre parce qu’il y avait un attachement de certains membres à leur club d’origine. Les deux clubs ont chacun leur bureau dont les membres constituent le bureau de l’aéro-club du Fenois, mais ils n’ont plus d’adhérents. A partir de 2007, seul le Fenois sera affilié à la FFA « .

L’école est le moteur du club.  » Elle représente 60% de l’activité « , précise le chef-pilote.  » Beaucoup d’élèves viennent ici avec l’idée de devenir professionnels. Ils sont tous issus d’une île. Dès leur plus jeune âge, ils prennent l’avion pour aller au collège ou au lycée. L’ATR c’est le bus. Ils connaissent tous des pilotes de ligne. Ce contexte est propice aux vocations « . La plupart d’entre eux ambitionnent de se faire embaucher par Air Tahiti ou par Air Tahiti Nui. De la terrasse du club-house, le meilleur point de vue sur l’aéroport de Faaa, ils sont aux premières loges.

Gil Roy. Aviasport N°623 / Février 2007

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Martin R.

Martin R. est le développeur et webmaster d’Aerobuzz depuis sa création en 2009. Développeur de formation, il a fait ses classes chez France Telecom. Il lui arrive d’oublier ses codes le temps de rédiger un article sur un nouveau produit multimedia ou sur un jeu.

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