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Aviation Générale

La Classe S enfonce un coin entre ULM et avion

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Thierry Gérard

Sous l’impulsion de Turbotech, le fabricant de turbines, une nouvelle Classe ULM a été créée, il y a tout juste un an, en France. Elle autorise une augmentation de masse jusqu’à 600 kg… pour les seules machines équipées d’une turbine ! Une évolution évidemment favorable à l’industriel qui a oeuvré dans ce sens, mais qui pourrait aussi concerner à terme d’autres modes de propulsion innovants, comme l’électrique.

L’ULM offre un espace de liberté incomparable, surtout en France. Les ultralégers échappant aux règlements européens de l’EASA (European union Aviation Safety Agency) applicables aux avions certifiés, ils relèvent en effet d’une règlementation nationale. En France, ils sont soumis à un régime déclaratif. De la conception de l’appareil à son entretien en passant par les capacités du pilote, il y a bien sûr quantités d’obligations à respecter. Mais tout cela n’a pas à être contrôlé, certifié, tamponné par l’administration ou des organismes agréés, au fil de procédures lourdes, longues et coûteuses.

Le constructeur d’un ultraléger déclare avoir effectué tous les calculs, tests et essais requis. Le propriétaire atteste que l’entretien est conforme aux préconisations du fabricant. Et c’est au pilote qu’il appartient de contrôler sa condition physique et d’entretenir ses compétences. Ce sont eux qui signent les certificats, pas l’administration. Pour donner une analogie, pas besoin de permis de construire, une simple déclaration de travaux suffit.

Sa grande souplesse réglementaire a fait de l’ULM, au cours des dernières décennies, le champ privilégié de l’innovation en matière d’aviation légère. Les industriels ont su exploiter cette opportunité. On pense entre autres à Beringer, dans le domaine des freins et trains d’atterrissage, à Duc ou E-Props dans le secteur des hélices carbone. Après avoir développé leur savoir-faire et assuré leur existence grâce à l’ULM, ils se sont tournés, avec succès, vers l’aviation certifiée et l’international. Avec sa nouvelle turbine révolutionnaire, taillée pour les avions légers, Turbotech entend bien suivre le même chemin. C’est cette entreprise qui a poussé à la création de la Classe S.

La turbine Turbotech TP-R90 n’est pas très lourde et surtout, grâce à une innovation technologique, elle n’est pas trop vorace en carburant. Suffisamment peu pour qu’on puisse envisager de la monter sur un ULM, dont la capacité d’emport reste limitée. C’est ainsi que JLB Aviation l’a montée sur son VL3. Bristell l’essaye également, sur un XL8. On l’a encore vue sur un hélicoptère ultraléger (ULM Classe 6) et, signe des ambitions futures, sur l’avion léger Gogetair G750, et même sur un DR-400, appareil emblématique des aéroclubs français.

Mais les ULM ont une masse limitée, par définition. Pour un biplace, en France, il ne faut pas dépasser 500 kg au décollage – 525 kg si la machine est équipée d’un parachute de secours. Et pas plus de 337,5 kg à vide. Des maximas avec laquelle la TP-R90 a du mal à composer.

Pas très lourde pour une turbine, mais plus que les moteurs à pistons classiques qui équipent habituellement les ULM. Résultat, ça coince un peu…

Turbotech a donc œuvré auprès de la DGAC, avec succès, pour obtenir la création de la Classe S (pour ULM Spéciaux) autorisant une masse au décollage de 575 kg, 600 kg avec un parachute de secours. C’est la masse maximale autorisée par l’EASA, à laquelle nos voisins européens ont largement souscrit : en Allemagne notamment, les ULM peuvent depuis longtemps monter jusqu’à 600 kg. Mais ils sont soumis à des règles plus contraignantes.

La France a fait le choix de limiter ses ULM à 500 kg, avec le plein accord de la FFPLUM (la fédération ULM), justement dans le souci de préserver sa réglementation très souple. Notons au passage que si la masse augmente, la puissance maximale reste limitée à 80 kW (109 ch), une autre spécificité française.

La nouvelle Classe S, officialisée par un arrêté publié en août 2024, introduit sans surprise son lot de contraintes supplémentaires. Dans le texte, on reste sur le principe déclaratif de l’ULM, même si le dossier à présenter par le constructeur s’étoffe. Mais sous bien des aspects, on s’éloigne de l’esprit ULM « à la française ». Le carnet d’entretien devient obligatoire, et certaines opérations de maintenance (précisées par le constructeur) doivent être effectuées en atelier – plus question de bricoler sous le hangar.

Les pilotes restent dispensés de visite médicale, mais ils doivent bénéficier d’une formation spécifique, un peu comme une qualification de type dans l’aviation certifiée. Ils ont par ailleurs l’obligation d’enregistrer leurs vols dans un carnet route. Ce dernier permet de vérifier qu’ils effectuent bien le nombre d’heures minimales requises pour conserver leur qualification, faute de quoi il faudra faire un vol avec un instructeur : comme dans le certifié !

Les experts de la DGAC que nous avons interrogés justifient ces contraintes supplémentaires par le fait que les machines sont plus lourdes et plus rapides (la vitesse minimale de vol passe à 85 nœuds, contre 75 pour les ULM « classiques »). Mais ils affirment n’avoir aucune velléité de durcir la réglementation ULM dans son ensemble. D’ailleurs, la FFPLUM n’a pas manifesté d’opposition : on ne touche à rien pour les moins de 525 kg, c’est pour elle l’essentiel. En fait, la fédération n’a rien manifesté du tout, la Classe S n’a jamais été évoquée, dans aucune publication ou déclaration. Un silence d’autant plus facile à observer que l’évolution réglementaire ne concerne pour l’instant qu’un parc très limité de machines.

La nouvelle Classe est en effet réservée aux machines équipées d’une turbine. Soit en l’état du marché, d’une turbine Turbotech, l’industriel étant le seul pour le moment à proposer un produit vraiment abouti. Certains (mauvais ?) esprits y voient le résultat d’un lobbying un peu trop réussi : la Classe S aurait-elle dû se nommer Classe T comme Turbotech ?

Difficile il est vrai de trouver une justification technique à cette disposition. Selon la DGAC, il s’agirait de se donner un temps d’adaptation et de mise au point, d’éviter que ses services soient débordés par les demandes des constructeurs. C’est réussi, à ce jour aucun dossier d’homologation en Classe S n’a été déposé ! Quoiqu’il en soit, l’extension aux moteurs aux pistons n’est pas à l’ordre du jour. Tout juste évoque-t-on l’électrique, lui aussi en butte à des problèmes de poids, à cause des batteries.

Finalement la Classe S, tout en s’en éloignant, ne remet pas en cause les fondements de l’ultraléger hexagonal, du moins pour l’instant. Elle apparaît plutôt comme une catégorie à part, une extension du champ d’expérimentation, entre ULM et avion, pour les propulsions innovantes. Le pari de Turbotech est plutôt réussi : rester dans l’ultraléger tout en se donnant de la marge côté masse, sans alarmer les ULMistes, très attachés à leurs libertés.

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Thierry Gérard

Thierry Gérard a dirigé la rédaction de Vol Moteur jusqu'à l'arrêt du magazine mi-2023. Il a depuis rejoint la rédaction d'Aerobuzz.fr. A l'occasion du salon AERO 2024, il fait ses débuts d'animateur sur la chaine JumpSeat d'Aerobuzz.fr. Thierry est (évidemment) pilote d'ULM. Il est même instructeur, mais c'est par l'avion qu'il a débuté sa carrière d'aviateur.

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  • Bonjour, pour la vitesse de décrochage c'est plutôt en km/h qu'en kts qu'il faut la lire...

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