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Aviation Générale

La concentration d’un pilote privé permet d’éviter le pire à Bordeaux-Mérignac

Published by
Gil Roy

L’événement s’est produit le 31 décembre 2022 sur l’aéroport de Bordeaux-Mérignac. Il a impliqué un avion léger DR400 d’un aéro-club local et un Airbus A320 d’easyJet. Le BEA vient de livrer son rapport d’enquête sur cet incident classé « grave » qui aurait pu virer à la catastrophe aérienne sans la présence d’esprit du pilote privé.

A bien y regarder, le pilote privé du DR400 est le seul protagoniste à avoir un statut privé dans cette affaire qui implique des professionnels du transport, à commencer par les contrôleurs aériens de la tour de contrôle de l’aéroport de Bordeaux-Mérignac et les deux pilotes de l’Airbus A320 d’easyJet. Et c’est pourtant lui qui a permis d’éviter le pire. Le retour sur les faits tels que les présente, le Bureau d’enquêtes et d’analyses (BEA) dans son récent rapport…

Ce 31 décembre 2022, en fin de matinée, un père de famille, membre du CAPAM (Cercle Aéronautique des Personnels de l’Aéroport de Mérignac ) a décidé d’emmener son fils faire un vol local en DR400, l’avion quadriplace emblématique des aéro-clubs français. À 10 h 50 min, il s’annonce au parking LIMA, prêt à rouler pour la piste 23. Il est autorisé par le contrôleur à rouler pour le point d’attente Alpha de la piste 23.

Le pilote privé, constatant que le contrôleur est occupé à répondre à un vol VFR (vol à vue), laisse passer un A321 d’Air France (vol AF57FC), également au roulage pour la piste 23.

Au même moment, un A320 d’easyJet (vol EJU49QH) est sur le point de se poser. Il est établi sur l’ILS 23. Il est à 13 NM du seuil de piste, à une altitude de 4.300 ft environ et à une vitesse de 223 kt. De son côté, le pilote du DR400 indique au contrôleur qu’il approche du point d’attente Alpha. Le contrôleur l’autorise alors à s’aligner sur la piste 23, mais lui demande de maintenir sa position en raison de la turbulence de sillage de l’A321 d’Air France.

De son côté, l’A320 d’easyJet poursuit sa descente. Alors que le DR400 est aligné sur la piste et qu’il attend l’autorisation de décoller, l’A320 se rapproche. Il est à 8 NM du seuil de piste, à une altitude d’environ 2.800 ft et une vitesse indiquée de 170 kt. Le contrôleur indique à l’équipage de continuer l’approche et l’informe que le vent est du 150°/6 kt. Le contrôleur a complètement oublié que la piste n’est pas dégagée.

Dans son rapport, le BEA précise qu’ « À partir de cet instant, le contrôleur est en communication constante avec les pilotes de plusieurs avions : un vol VFR qui a déposé un plan de vol vers Courchevel et qui demande une activation de son plan de vol en l’air, demande accompagnée d’échanges sur le niveau de vol souhaité, l’équipage du vol AF 57FC qui poursuit sa montée vers le FL 140, deux vols VFR qui transitent dans la CTR, dont l’un lui fait répéter un message, ainsi que des informations de trafic nécessaires entre vols VFR. »

Le contrôleur de Mérignac échange avec ces différents vols, répondant aux demandes des uns et des autres. Les enquêteurs du BEA notent que « Pour sa part, le pilote du DR400 a conscience qu’il est aligné sur la piste depuis plus de trois minutes et a compris que l’équipage de l’A320 est autorisé à atterrir en piste 23. Il ignore la position exacte de celui-ci et n’a aucune visibilité vers l’arrière. Ayant conscience également que le contrôleur est occupé à la radio et ne s’estimant pas prioritaire étant au sol, il décide d’attendre avant de le solliciter. »

À 10 h 56 min, il se signale sur la fréquence et indique au contrôleur qu’il est aligné sur la piste 23, et qu’il pense avoir « les deux minutes ». » Les « deux minutes » dont il est question ici correspondent à l’espacement relatif à la turbulence de sillage vis-à-vis de l’avion précédent. Instantanément, le contrôleur demande à l’équipage de l’A320 d’easyJet d’interrompre l’approche. L’avion est alors à une hauteur de 232 ft, à 1.000 m du seuil de piste 23.

L’équipage de l’A320 interrompt immédiatement son approche. L’avion est alors à une hauteur de 133 ft, à 525 m du seuil de piste 23. En raison de l’inertie de l’avion, la hauteur décroît jusqu’à 103 ft, à environ 260 m du seuil 23 puis augmente rapidement. L’A320 survole le DR400 à une hauteur de 178 ft, soit à peine plus de 50 m. Le pilote du DR400 voit l’A320 le survoler et observe la rentrée des trains.

A la tour, les contrôleurs présents prennent conscience que le pire vient d’être évité. Le contrôleur demande au pilote du DR400 de patienter sur la piste et lui dit qu’il le rappellera. L’équipage de l’A320 confirme qu’il effectue l’approche interrompue. Le pilote du DR400 est autorisé au décollage. L’équipage de l’A320 poursuit sa deuxième approche et se pose enfin, en piste 23, sans événement particulier.

Lors de l’enquête, le commandant de bord italien et le copilote français, tous deux basés à Bordeaux, ont reconnu qu’ils n’avaient pas vu le DR400 sur la piste. Le premier a déclaré aux enquêteurs du BEA qu’ « Il n’a pas remarqué l’avion sur la piste car il ne regardait pas le seuil, mais la zone de toucher des roues. » Quant au second, quand « le contrôleur leur a demandé d’interrompre l’approche, à cause d’un avion sur la piste. Il a cherché l’avion, mais n’a rien vu. » Les conditions météo étaient CAVOK, c’est-à-dire que la visibilité était optimale, note le BEA dans son rapport.

Le pilote du DR400 a déclaré aux enquêteurs qu’ « il ne pensait pas avoir été oublié par le contrôleur et il n’imaginait pas que des pilotes en finale puissent ne pas voir un avion, fût-il léger, au seuil de la piste sur laquelle ils s’apprêtaient à atterrir. Il pensait que la conscience de la situation était partagée entre tous. »

C’est, au bout des quatre minutes après le lever des roues de l’A321 d’Air France, lorsqu’il a décidé de rappeler le contrôleur en fournissant dans un premier temps son indicatif, qu’ « il a commencé à comprendre qu’il était sorti du projet d’action du contrôleur et lui a rappelé sa position. »

Dans ses conclusions, le BEA impute les causes qui ont conduit à cet incident grave à « un nombre insuffisant de contrôleurs présents sur leur lieu de travail, et par conséquent un armement insuffisant des positions de contrôle. » Cette situation est la conséquence d’un « consensus social, ancré depuis de nombreuses années à la DSNA », qui « laisse perdurer une situation dans laquelle les équipes de contrôleurs organisent, en dehors de tout cadre légal, un niveau d’effectif présent généralement inférieur à l’effectif théoriquement déterminé comme nécessaire. » Le BEA souligne que cette pratique qui s’inscrit « hors du cadre légal », est « connue et tolérée implicitement. » La recommandation de sécurité faite par le BEA vise à corriger cet état de fait. La DSNA n’a évidemment pas attendu la publication du rapport pour ouvrir le chantier…

Pour notre part, nous retiendrons que celui qui a évité le pire, ce 31 décembre 2022, est un pilote privé qui totalisait alors 210 heures de vol. Il y avait 179 passagers et 4 membres d’équipage à bord de l’A320 d’easyJet.

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Gil Roy

Gil Roy a fondé Aerobuzz.fr en 2009. Journaliste professionnel depuis 1981, son expertise dans les domaines de l’aviation générale, du transport aérien et des problématiques du développement durable est reconnue. Il est le rédacteur en chef d’Aerobuzz et l’auteur de 7 livres. Gil Roy a reçu le Prix littéraire de l'Aéro-Club de France. Il est titulaire de la Médaille de l'Aéronautique.

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  • Le genre d'histoires qui font plaisir à lire, parce qu'elle se termine bien.
    Joyeux Noël à tous (ceux qui le fêtent) !

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