Marché en repli, concurrence du SEFA, faiblesses en anglais, charges exorbitantes…Les écoles françaises de formation professionnelle de pilotes souffrent. Dans une étude riche d’enseignements, la DGAC dresse un état des lieux et propose des pistes de réflexion, au moment même où elle décide de faire payer ses services au prix fort.
C’est un pavé de 266 pages qui dissèque le système français de formation aéronautique professionnelle. Concret et apparemment sans concession. La DGAC l’a commandé à une équipe de trois cabinets de consultants à la demande du Syndicat national des industriels et professionnels de l’aviation générale qui regroupe en son sein la quasi totalité des écoles privées françaises. Pour Gérard Pic, le président du SNIPAG et directeur d’Aéropyrénées, l’administration aurait voulu noyer le poisson qu’elle ne s’y serait pas prise autrement. » A l’origine, nous avons demandé une étude sur le SEFA. Nous voulions savoir combien il coùtait et comment il fonctionnait. La DGAC a traité la formation dans son ensemble, en allant même jusqu’à établir une comparaison avec les autres pays européens « .
Didier Guy, le directeur de l’EPAG, est moins sévère que son collègue. » Même si cette étude est incomplète (ndlr : l’ESMA en restructuration n’a pas souhaité répondre aux enquêteurs et les informations relatives aux écoles étrangères sont partielles), elle demeure très intéressante. Elle donne en particulier une impression d’homogénéité des écoles en Europe qui va à l’encontre des idées reçues « .
C’est un fait, cette étude constitue une mine d’informations et surtout donne à réfléchir sur le système français, sur les débouchés offerts aux élèves-pilotes et sur l’évolution qualitative du marché de l’emploi.
Le cas SEFA
Il est incontestable que cette étude soit une remarquable plongée dans le système français de formation des pilotes de ligne. Même si le SEFA n’en est pas l’unique objet, ce travail en propose tout de même une radiographie détaillée qui met en lumière une situation concurrentielle unique en son genre.
Si ce document ne cloue pas au pilori le service de l’Etat comme l’aurait souhaité le SNIPAG, en revanche il apporte des arguments de poids au syndicat qui a porté l’affaire devant les instances européennes dans le but de mettre fin à cette distorsion concurrentielle et au passage récupérer les formations dispensées par le SEFA.
Le SEFA forme les élèves pilotes de ligne de l’ENAC destinés à Air France. L’EPAG démontre avec les cadets d’Air France que le privé est capable d’en faire autant. Le SEFA forme des instructeurs. Aéropyrénées, Airways, Envol 2001 et l’EPAG aussi. Le SEFA forme au pilotage les corps d’état, en particulier les ingénieurs de la DGAC et de la DNA. Il est le seul à le faire actuellement, mais jusqu’au début des années 70, ces formations étaient confiées au privé. Les écoles ont le savoir-faire et des coùts de production sensiblement inférieurs.
Mais alors que faire du SEFA dont la flotte de monomoteurs (79 unités) est équivalente à celle de l’ensemble des écoles privées réunies et dont les effectifs des pilotes-instructeurs (102 en 2003) est en augmentation régulière depuis 2000 ? Pour les auteurs de l’étude, il n’est évidemment pas question de fermer le SEFA. Ils proposent plutôt de lui attribuer le rôle de haute autorité de la formation chargée d’élaborer les méthodes, les standards et la documentation au bénéficie des écoles. L’idée est séduisante. Surtout du point de vue des écoles privées qui pourraient ainsi récupérer une manne. » Il faudrait que l’Etat affiche une volonté politique de faire évoluer la situation et mette en place un plan de transition sur une période de cinq ans par exemple « , affirme Didier Guy.
Tout le monde sait que le SEFA coùte très cher. Son budget est évalué à 44,5 millions d’euros (chiffres 2003). L’étude souligne que » les coùts de production sont supérieurs aux prix de vente affichés qui sont basés sur la valeur perçue du marché « . Son implantation sur neuf sites héritée du passé est aujourd’hui irrationnelle. Le cas du SEFA sera d’autant plus délicat à résoudre que le problème est avant tout social. Il faudra pourtant s’y attaquer, si la Commission européenne donne raison au SNIPAG.
Marché peau de chagrin
28 écoles (dont 21 tournées vers la pratique) se partagent un marché évalué à 500 clients par an. Selon les estimations du SNIPAG, il serait même tombé aux alentours de 300 l’année dernière. Et rien ne laisse penser que cette situation peut s’inverser. Bien au contraire, comme le note l’étude : » il semble évident qu’à l’exception des filières EPL et Cadets Air France, la décroissance constatée en 2003 ne peut que s’amplifier sur les années à venir. De plus, la montée en charge des stagiaires en formation EPL et Cadet détourne cette population des écoles « .
En dehors de ces deux voies royales réservées à une élite, l’absence de débouchés n’encourage pas les jeunes à se lancer dans une formation difficile et coùteuse qui n’offre plus aucune garantie d’avenir. Selon les auteurs de l’étude, » environ 45 % des jeunes pilotes ayant acquis leurs brevets et licences sont embauchés actuellement. Air France en recrute 29%. Les autres compagnies françaises et l’aviation d’affaire absorbent 12% de l’effectif disponible. Seuls 4% trouvent du travail dans une compagnie étrangère. L’armée pour sa part produit en interne 20% des licences qui par la suite permettront à leurs détenteurs d’être candidats à l’embauche « .
En additionnant ces chiffres, on arrive à la conclusion que 36% des candidats ne trouvent pas d’embauche. Autrement dit, un sur trois qui boucle avec succès une formation, ne sera jamais pilote. Ces dernières années, cela à représenter en moyenne 200 pilotes par an. C’est effroyable quand on sait qu’une formation intégrée coùte entre 55 et 70000 euros.
Le nombre des demandeurs d’emploi inscrits à l’ANPE est aujourd’hui de 1790 pilotes dont 30% remplissent des conditions pour être considérés comme demandeurs d’emplois en possession des licences requises par les entreprises de transport. Ce nombre était de 1200 en 1997.
Le taux de demandeurs d’emplois ayant moins de 50 ans est de 15 %. Il faut savoir aussi que les 636 pilotes non reclassés au mois de septembre 2004 à la suite des plans sociaux d’Air Lib, Air Littoral, Air Atlantique, Aéris, etc ont pour la plupart une QT JAR25 et un nombre d’heures de vol supérieur à 1000. Ils ont plus de chance d’être recrutés par les compagnies aériennes et de reporter le taux de chômage vers les pilotes nouvellement formés « .
La réalité est encore plus sombre que ne le laissent entrevoir ces chiffres puisque » nombre de jeunes pilotes ont finalement trouvé un emploi au sol et ne figurent plus nécessairement dans les statistiques « .
Selon l’étude, les besoins actuels sont estimés par les compagnies françaises entre 300 et 350 pilotes par an, avec des besoins futurs pouvant à moyen-terme atteindre environ 450 pilotes par an, portés par la demande d’Air France… ce qui ne constitue pas forcément en soi une bonne nouvelle !
Formation intégrée plébiscitée
Outre le fait que l’offre est supérieure à la demande, pour les rapporteurs de l’étude, l’une des raisons pour lesquelles autant de jeunes pilotes restent sur le carreau à la sortie de leur formation est liée au fait que » la grande majorité des écoles de formation ne répond pas directement aux besoins des compagnies aériennes. Elles sont calées sur l’obtention de licences réglementaires au moindre coùt pour le stagiaire dans le cadre de formations modulaires « .
Dans ses conclusions, l’étude note que » ces formations modulaires sont la principale source d’activité des écoles privées » artisanales » et moyennes. La formation intégrée, plus structurée et mieux définie dans une perspective métier, répond mieux aux demandes des employeurs que les formations modulaires qui sont souvent préférées par les stagiaires en mal de financement de leurs aspirations. Seules les écoles les plus matures sur les plans pédagogiques et d’organisation sont à même de proposer des formations pleinement intégrées « .
C’est sans ambiguïté. L’avenir est aux formations intégrées. Ce que conteste vigoureusement le SNIPAG : » il est indécent de critiquer les formations à prix minimum car c’est mettre en cause l’intégralité des examinateurs qui délivrent les licences. Si les moyennes structures et les structures artisanales » fabriquent » des pilotes au prix minimum c’est que leur clientèle n’a pas les moyens de payer plus, mais en aucun cas il est permis de mettre en cause leurs compétences. Cette formation intégrée n’est crédible que dans le cas d’embauche dans une compagnie. Si ce n’est pas le cas, la formation modulaire est plus adaptée car le candidat gèrera sa formation en fonction du marché et pendant ces phases de transition pourra acquérir de l’expérience et arriver à l’IR et MCC (ndlr : vol aux instruments et travail en équipage) avec un nombre d’heures de vol plus important « .
No future ?
Pour beaucoup de jeunes pilotes, le dernier espoir de décrocher un emploi, sera l’expatriation. » Cette mutation constitue un défi essentiel pour la filière de formation française sur la décennie à venir « , souligne l’étude. Un défi qui s’annonce complexe à relever tant le système français est replié sur l’hexagone et le niveau en langue anglaise des élèves pilotes est mauvais.
Au bilan, les formations sont dispensées en français à des jeunes incapables de tenir une conversation en anglais. L’anglais aéronautique ne suffit pas. Il est tout juste passable pour décrocher un certificat sans doute, mais pas pour être embauché dans une low cost ou une compagnies du Golfe persique.
Les écoles sont unanimes pour reconnaître les lacunes de leurs élèves. » Actuellement, en France, personne n’est capable d’assurer des formations en anglais « , affirme Gérard Pic, président du SNIPAG. » Nos clients ne parlent pas anglais « . Pour lui, il est évident que l’Education Nationale ne remplit pas sa mission de ce point de vue.
L’EPAG avance timidement sur ce chemin en obligeant ses cadets (sélectionnés par Air France, notamment sur le niveau d’anglais) à passer une partie des certificats du brevet de pilote de ligne en anglais. » Nous avons commencé par un, puis deux et la prochaine promotion en aura 5 sur les 14 « , affirme Didier Guy, le directeur de l’EPAG. » Nous avançons prudemment sur cette voie parce que nous ne voulons pas qu’ils échouent pour un problème de langue « .
Les écoles n’hésitent pas également à mettre en avant le peu d’entrain de l’administration française à favoriser la pratique de l’anglais. Les responsables pédagogiques déplorent les barrières que dressent les agents de l’administration. La raison tient dans l’incapacité de ces derniers à travailler en anglais. Dans le ciel français, la norme est le français. Il y a des exceptions culturelles dont on pourrait se passer !
Didier Guy fait remarquer également qu’ » il ne suffit pas que l’élève pilote fasse la radio en anglais. Il faudrait aussi que sur les terrains internationaux français tout le monde parle anglais. Pas seulement les contrôleurs « . Cela reviendrait à imposer l’anglais en France, comme cela se fait depuis longtemps en Allemagne par exemple.
Une autre solution pourrait passer par la délocalisation d’une partie de la formation pratique aux Etats-Unis comme le font toutes les autres écoles européennes. La raison première est la recherche de meilleures conditions climatiques (cas des allemandes et des britanniques notamment) et surtout de coùts réduits. Aucune française ne pratique ainsi. Quelques essais ont été tentés par le passé, au Canada en particulier, sans suite.
Il ne reste plus aux élèves-pilotes à aller s’immerger un an aux USA, pour acquérir une maîtrise parfaite de l’anglais en travaillant dans un fast-food à Los Angeles.
Artisanat ou bricolage ?
Si dans l’ensemble, l’étude de la DGAC a été bien accueillie par les professionnels, en revanche, ces mêmes professionnels ont vu rouge en lisant certaines conclusions et propositions. » Nous ne pouvons accepter qu’il soit écrit que les petites écoles sont à l’article de la mort « , s’offusque le SNIPAG. » Tout au contraire, les dirigeants sont plus motivés que jamais, mais dans le contexte actuel, elles attendent que l’état prenne en compte leur situation et les aide par une réduction des charges, une attribution de marchés de formation pour l’Etat et autrui « .
Les écoles qualifiées d’ » artisanales » par l’étude constituent la grande majorité des établissements : 15 sur 21. Elles forment souvent moins de 10 pilotes par an, mais pour Gérard Pic, elles permettent aux stagiaires de limiter les coùts de formation. Non seulement parce qu’elles pratiquent souvent des tarifs inférieurs, mais parce qu’elles tournent avec une clientèle de proximité.
Pour les auteurs de l’étude, » la rentabilité de ces entreprises étant faible, le savoir-faire difficile à transmettre et les moyens pédagogiques vieillissants, on peut craindre que ces structures cessent leur activité avec le désengagement de leurs dirigeants « . Autrement dit, elles ne survivront pas au départ en retraite de leur fondateur.
L’étude encourage » le regroupement des petites structures en vue d’une meilleure utilisation des moyens avec en perspective l’augmentation de la part des formations intégrées, voire l’extension au-delà du périmètre actuel de la formation initiale « . Face à l’individualisme de la plupart des patrons de ces écoles, cette solution apparaît utopique. Si le marché continue à se contracter, on peut craindre qu’une sélection naturelle s’opère.
No show
Les compagnies sont absentes de la formation. Nous n’avons pas attendu cette étude pour le savoir, mais ce travail a le mérite (un de plus !) d’attirer l’attention sur ce problème. Air France a mis en place sa filière Cadet qui lui fournit chaque année 48 jeunes copilotes, soit environ un quart de ses besoins actuels. Pour les trois –quarts restants, elle dispose d’une liste d’attente infinie. Pourquoi en faire plus ? Les autres compagnies françaises se contentent de » taper » dans la pile de CV alimentée quotidiennement par de nouvelles candidatures spontanées.
La proposition qui consiste à » inciter les compagnies qui ne participent pas à l’effort de formation à se joindre à la définition de filières de formation « , apparaît dans ce contexte comme un vœux pieux.
Le SNIPAG fait remarquer que » les compagnies n’ont jamais fait part de leurs exigences techniques concernant les candidats qu’elles recrutent, même Air France ne recrute pas sur des critères techniques. Ces exigences sont liées au contexte économique et aux besoins. Si le besoin des compagnies est faible, elles disposent de ce fait d’un grand nombre de candidats, elles sont de ce fait très exigeantes « . C’est le cas actuellement où même avec un QT A320 ou B737, il est quasi impossible à un pilote ne disposant pas de 1000 heures d’expérience minimum de trouver un emploi.
» Si au contraire, il y a pénurie de pilote, les compagnies se contentent des pilotes formés au prix minimum et se chargent de la formation complémentaire « . C’est un fait qui s’est avéré par le passé. Mais compte tenu de l’évolution de l’organisation du transport aérien, il apparaît de plus en plus probable que nous ne connaîtrons plus de retournements de cycles aussi spectaculaires que celui de la fin des années 80. A l’époque il y a avait encore un transport régional indépendant en France et les compagnies qui l’animaient n’hésitaient pas à recruter des instructeurs d’aéro-club pour en faire des pilotes d’ATR42.
Aujourd’hui Air France est le seul maître à bord ou presque et contrôle bien son marché.
Gil Roy. Aviasport N°605 / Avril 2005
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