Les accros de l’avion-planeur avaient rendez-vous fin mai dans les Alpes du Sud. Les fous des machines volantes de René Fournier sont venus, du monde entier, communier, là où tout a commencé, au début des années soixante.
Pierre est un inconditionnel. Il en est à son deuxième RF4 et encore avant, il a eu deux RF3. Son « avion-planeur » est basé à Guiscriff, à une trentaine de kilomètres à l’est de Quimper. Il avait naturellement prévu de venir en vol au rassemblement annuel du Club Fournier International, mais une dépression plutôt musclée en a décidé autrement. Il s’est résigné à traverser la France en diagonale, sous la pluie, par la route, pour être présent à Gap, le week-end de l’Ascension. C’est moins amusant qu’en RF4, mais pour rien au monde, il aurait manqué ce rendez-vous.
Pilotes d’exception
« C’est pour lui que je suis venu de Brest, en voiture ». Pierre montre de la tête un grand gaillard, en train de photographier un magnifique RF4, gris et bleu, immatriculé en Autriche. Il s’approche de lui. Les deux hommes se saluent. Pierre se présente. « Je possède un RF4 ». « Moi aussi », lui répond Mira Slovak. Pierre le sait évidemment. « Je suis très heureux de vous rencontrer. Je suis venu ici pour suivre votre conférence, demain soir ». Il est visiblement impressionné par le personnage.
Mira lui avoue qu’il se serait volontiers passé d’assurer le spectacle et qu’il est venu, d’abord pour retrouver René Fournier. Il sort de son portefeuille une petite photo en couleur avec de grandes marges blanches. On reconnaît Mira Slovak et René Fournier, à côté d’un RF5 à bord duquel est installé Bernard Chauvreau. « Elle date de mai 1968 ». Elle a été prise en Allemagne, à Dahlem, devant l’usine Sportavia où étaient produits notamment les RF4 et RF5. C’étaient quelques jours seulement avant que Mira Slovak ne s’envole à bord de son monoplace de 250 kg en direction de la Californie : 13000 km avec un moteur VW Rectimo de 39 cv. Une traversée en solitaire de l’Atlantique nord, du Canada et des Etats-Unis, avec à l’arrivée, un crash. « Vous rendez-vous compte de l’exploit ? Sans horizon artificiel, ni VOR. Juste avec une radio ! ». Quarante ans après, René Fournier est toujours aussi admiratif. Mira Slovak est un sacré pilote. Mais il est bien plus que cela…
Là où tout a commencé
Des personnages étonnants, il n’en manque pas ce week-end sur l’aérodrome de Gap-Tallard. Certains, comme Pierre, ont traversé la France pour être là. D’autres, la moitié de la Terre. Ils ont tous en commun de vouer un culte aux avions conçus par René Fournier. A cause d’une dépression particulièrement active qui s’est installée sur l’hexagone, la plupart sont venus en voiture. Une petite poignée est tout de même parvenue à rejoindre les Alpes du sud en vol. Les allemands, fidèles à leur réputation de grands voyageurs, se sont regroupés dans le sud de l’Allemagne et sont arrivés en formation. Une bonne douzaine de machines. Au total, il y a une cinquantaine d’avions alignée devant les divers hangars et le long du taxiway.
Les RF3 sont rangés devant l’ancienne usine Alpavia où ils ont été construits entre 1962 et 1966. La symbolique est forte. C’est là, à l’intérieur de ce hangar, bardé de bois comme un chalet de montagne, qu’a véritablement commencé l’épopée des avions-planeurs de René Fournier.
Aujourd’hui, les installations appartiennent au CNES qui les utilise de manière très épisodique pour lâcher des ballons stratosphériques. De la frisette contre les murs, une table en formica collée sous une petite fenêtre donnant sur la piste, le minuscule bureau de René Fournier est intact. Le temps s’est arrêté, ici, il y a quarante ans. « A l’époque, il n’y avait que nous et le hangar de l’aéro-club sur la plate-forme. Je pouvais voir arriver les avions du sud. Je me souviens d’une fois, où j’ai vu un RF3 se présenter en finale… En l’apercevant se rapprocher, je me suis dit, en voilà un qui voyage train sorti. Il faut se méfier. Nous sommes allés en bord de piste pour lui faire des signes. Il ne nous a pas vu et juste avant de se poser, le pilote a rentré le train. Quand je suis arrivé, vers l’avion, il s’est exclamé : « la vache, il n’a pas voulu sortir » ». Le genre de réflexion qu’il ne valait mieux pas faire au constructeur.
« L’arrivée de nos RF3 à train rentrant, en 1963, a provoqué d’innombrables crashs heureusement sans conséquences graves ni pour les utilisateurs, ni pour les machines, hormis l’inévitable bris d’hélices. A Granville, l’aéro-club en a cassé 26 ! », se souvient-il avec amusement. « Nous aurions vendu beaucoup plus aux clubs, s’il n’y avait pas eu autant de crashs ».
L’amour des formes pures
Mais René Fournier est un esthète et un puriste, un amoureux des formes pures, un homme sans concession. Pour comprendre le personnage, faites-le parler de son biplace côte à côte RF6B, un avion à train fixe : « ses trois pattes sorties me faisaient mal aux yeux ». Tout est dit. Le RF c’est d’abord un train monotrace rétractable et de frêles balancines pour garder l’équilibre au sol, une grande envergure et un petit museau.
Il pleut sur Gap sans discontinu. Les 300 participants au rassemblement se sont regroupés à l’intérieur de l’ancienne usine. L’atelier d’entoilage, lui aussi intact, a été transformé en salle d’exposition le temps du week-end. Sur les panneaux, la saga des avions-planeurs Fournier a été retracée, dans l’ordre chronologique, depuis le RF01, construit à un exemplaire, dans la buanderie d’un palace de Cannes, jusqu’au RF10 « made in Brazil », en passant par les mythiques RF3, 4 et 5, mais aussi par l’avion école RF6 d’où ont été extrapolés le Slingsby T67 et le T-3A Firefly, pour la formation des pilotes de la RAF et de l’USAF. Plus de quarante ans de construction aéronautique résumée à travers des photos émouvantes, des coupures de journaux et de nombreux plans.
C’est le temps des souvenirs. A défaut de pouvoir voler, les pilotes se racontent leurs histoires. « Je ne me souviens plus si tu m’as lâché sur le RF01 ». Bernard Chauvreau, le pilote d’essai de René Fournier, ne s’en souviens pas non plus, mais une chose est sûre, Michel Battarel est de loin l’un des meilleurs connaisseurs de l’épopée des avions-planeurs. Il était reporter aux Ailes, dans les années cinquante, la première fois qu’il a écrit un article sur les projets de René Fournier. Ensuite, il a fait la chronique méticuleuse de ce constructeur autodidacte, dans Aviasport. Et avec René Fournier, il n’a jamais manqué de matière !
Le combat d’une vie
La vie de René aura surtout été un combat contre l’administration française qui n’a jamais su, dans quelle catégorie faire entrer les RF : planeurs ou avions ? Ce n’est que bien plus tard qu’apparaîtra, dans les textes, le concept de motoplaneur. Trop tard en tous cas pour réparer les dégâts.
Pour le RF2, premier avion que tenta de faire certifier le constructeur, au tout début des années soixante, les services officiels créèrent une nouvelle catégorie qu’ils baptisèrent « avions fins à atterrissage plané court ». « Avec sa finesse de 17, il aurait sans doute mieux valu parler de plané long… »
Quoi qu’il en soit, René Fournier du répondre, simultanément, aux normes avion et planeur. « Je trouvais cela absurde, d’autant plus que nous n’avions à l’époque que des règles à calcul en bois, qui malgré leur laque blanche graduée, avaient tout de même des performances limitées. J’étais parti pour un travail de cinq ans et pas du tout convaincu que j’allais m’en sortir tout seul ».
Il en sourit aujourd’hui, mais il n’oubliera jamais ce que cela lui aura coûté son bras de fer contre la technocratie. Il s’est littéralement ruiné en voulant construire des avions différents. « Sans Antoine d’Assche, je n’aurais pas pu garder ma maison de Touraine », admet-il. Antoine d’Assche a créé Alpavia à Gap. Il a produit des RF3 jusqu’en 1966, date à laquelle, René Fournier a décidé de délocaliser sa production en Allemagne. Antoine était présent à Gap en mai dernier, au rassemblement, comme d’ailleurs, la plupart des anciens salariés d’Alpavia qui durent se reconvertir au moment de la fermeture de l’usine. Aucune rancune contre l’ancien patron, mais au contraire beaucoup d’émotion de se retrouver, si longtemps après, sur les lieux de leur formidable aventure commune.
Un ancien de Nitray près de Tours, a également tenu à participer à ces retrouvailles. Lui aussi s’est retrouvé sur le carreau lorsque René Fournier a échoué dans sa nouvelle aventure industrielle, autour de l’avion-école RF6B, dans les années soixante-dix. La société sera liquidée en 1977.
Le tourbillon de la passion
Ensemble ils évoquent une époque où ils n’avaient pas l’impression de travailler. A Gap, la petite dizaine de salariés sortaient trois avions par mois. Le compteur électrique disjonctait à longueur de journée et il fallait des heures pour joindre Paris au téléphone. Mais la bonne humeur régnait dans l’atelier. Christian Brondel s’en souvient. Son père était employé d’Alpavia. « Je venais piquer du balsa pour faire des modèles réduits. Je faisais couper toutes mes baguettes par le chef d’atelier pendant deux heures. Aujourd’hui, il n’en faudrait pas plus pour couler une boîte ». Christian a toujours été un peu excessif. Mais son enfance à Tallard n’a sans doute pas été étrangère à ce qu’il est devenu par la suite. Lui aussi a été un rebelle qui n’a pas voulu marcher dans les traces de la technocratie. Il s’est opposé à l’administration quand il a voulu construire des planeurs en composite. Lui aussi, sa vie n’a été guidée que par la passion. Celle de René Fournier n’est faite que de sommets et de gouffres. Il n’y a pas place à la demie mesure quand le moteur est la passion.
« Nous ne nous sommes pas enrichis, mais nous avons réussi notre vie ». Bernard Chauvreau est indissociable de René Fournier. Il a été « son » pilote d’essais maison. C’est lui aussi qui convoyait les avions-planeurs à travers l’Afrique noire, jusqu’au Congo-Brazzaville. Des périples qui valent celui de Mira Slovak.
« Une personne qui a un idéal, qui est enthousiaste est forcément égoïste. Je me définis comme un égoïste. Ma passion est passée avant tout. J’y ai laissé trois ménages. C’est ça ou une vie médiocre », reconnaît Bernard Chauvreau. « Avec René, nous étions tous les deux des autodidactes. Nous étions pilotes privés et nous avons terminé, industriel pour l’un, pilote d’essai professionnel pour l’autre. Une passion comme celle de Fournier, ça remue des vies, pas seulement la sienne ».
Un mythe vivant
La passion est égoïste, c’est certain. Mais, dans le cas de René Fournier, elle a rayonné et continue de le faire, sur des générations de pilotes. A près de 85 ans, l’ancien constructeur dépense encore beaucoup d’énergie pour assurer la navigabilité des avions qui portent son nom et tous les propriétaires lui en sont reconnaissants. René Fournier est au fait des évolutions réglementaires. Il sait que l’avenir de la flotte se joue désormais à Cologne. Il invite ceux qui le questionnent à être vigilent. Il n’est pas éternel. Comme Mira Slovak, la plupart sont venus pour le rencontrer, pour le remercier. « Cela me fait un plaisir infini, et à eux aussi d’ailleurs », reconnaît le constructeur. « Il existe une espèce d’osmose entre nous. A travers la machine, nous nous retrouvons ».
Cet avion-planeur est vraiment l’objet d’un culte vivant. « Je suis venu ici pour rencontrer des gens qui volent sur Fournier » explique Ian Stevens, l’un des cinq propriétaires de RF4 sud africains. « C’est un privilège de rencontrer René Fournier ». Ian habite le centre de l’Afrique du sud. Son aérodrome est situé à 5300 ft d’altitude. Il a débuté le vol à voile en 1993. Il possède son RF4 depuis 9 ans. Collin Gyewes est également un vélivole. Il a commencé, beaucoup plus tôt, à l’âge de 14 ans. Il vient de l’Oregon où il traque les thermiques avec son RF4. En arrivant des Etats-Unis, l’avant-veille du rassemblement, il a rejoint directement ses amis à Turin. Ils lui ont prêté un RF4 pour lui permettre de rejoindre Gap en vol. Un grand moment pour cet américain.
Economique et rustique
« C’est le seul avion qui me donne les ailes d’un aigle », déclare Jean-Michel Daubagna. Cet ancien commandant de bord de 747-400 d’Air France passe sa retraite à sillonner les Alpes aux commandes de son RF5. Il ramène de ses vols des photos extraordinaires. Les propriétaires d’avion-planeurs Fournier ne sont pas des nostalgiques d’une autre époque. Ce sont au contraire des gens qui volent beaucoup et qui n’hésitent pas à se lancer dans de grands périples. Ils sont attachés à cette machine hybride qui incarne une autre conception du vol. S’il fallait faire un parallèle, mieux vaudrait les comparer aux collectionneurs de 2CV qu’aux « Porschistes ». Tous louent la rusticité et le côté économique de la formule.
« Quand nous partons en voyage de groupe, j’emporte toujours des balancines et des chambres à air pour éviter d’être bloqués quelque part », explique Michel Leblanc, le président du Club Fournier International. « Avec mon RF4, à 3200 t/mn, je consomme un peu moins de 10 litres à l’heure en volant à 170 km/h », explique Pierre Guillaume. « René voulait un avion pour tout le monde », résume Brian Morgan, un australien installé du côté d’Amboise, près de chez René Fournier. Il est venu avec son RF3.
Brian travaille pour Boeing. Il est instructeur 747-400. Il fait des formations dans les compagnies clientes. Sur son RF3, il démarre le moteur en lançant l’hélice. « C’est un avion qui a beaucoup de charme. Il est simple et économique. Il est fin et homogène, c’est aussi un excellent avion de voltige. Tu peux trouver un RF3 en très bon état pour 15000 €, un RF4 pour 25000 € et un RF5 entre 32 et 35000 €. C’est beaucoup moins cher qu’un ULM et ce n’est pas le même plaisir ».
Une communauté d’aviateurs
Ce que Brian apprécie également c’est d’appartenir à une communauté d’aviateurs : « autour de René Fournier, il y a un esprit d’entre aide remarquable. On échange les conseils ». « Quand tu poses une question sur le site du club, tu as tout de suite cinquante réponses » confirme Vincent Nuvoloni. Il est l’un des plus jeunes du club. Ses parents lui ont offert un RF3 à 11000 €, il y a un an et demi. Il aurait bien aimé venir avec, mais avec un brevet de base, il ne peut pas s’aventurer aussi loin. Son Fournier est resté à Nevers.
Ce jeune apprenti qui prépare un bac professionnel de maintenance aéronautique au lycée de Cruseilles a eu le coup de foudre pour le RF3 quand il a fait son stage de découverte de l’entreprise, alors qu’il était en troisième, dans un atelier de maintenance à Chambéry. Grâce à son CAP de mécanique aéronautique, il possède une licence qui lui permet d’entretenir son avion classé en CDN. « Quand j’ai voulu me faire lâcher sur mon RF3, j’ai tout entendu. On m’a dit qu’il fallait faire avant du RF5 biplace. J’ai appelé des pilotes de Fournier et en fait j’ai fait deux tours de piste train sorti et c’est comme cela que j’ai été lâché… Aujourd’hui j’ai un peu plus de 100 heures de vol dessus. C’est un avion génial, facile à piloter et qui ne consomme rien ».
A défaut de pouvoir voler au cours du rassemblement, Vincent a donné un coup de main. Il était partout. A la pompe, il a pu discuter avec tous les pilotes. Notamment après le traditionnel vol en patrouille qui clôture chaque rassemblement. En faisant le plein du RF4 italien de Bob Grimstead, il a dit tout le plaisir qu’il avait eu à voir évoluer les huit monoplaces de concert. « J’ai pris également beaucoup de plaisir à voler en formation », lui a confié l’anglo-saxon. « D’habitude, quand je vole en Australie, le Fournier le plus proche est à 2000 km ! » C’est aussi pour cet instant de pur bonheur que Bob a parcouru la moitié du globe.
Gil Roy
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Le Club Fournier International fête ses 20 ans à Gap-Tallard
j'ai eu l'occasion de voler sur le RF5 de jean-michel daubagna et j'avoue que je suis tombe en amour de ce motoplaneur et si un jour j'ai l'opportunite d'en acqquerir, ce sera a ma plus grande joie tellement j'en garde un bon souvenir.
Le Club Fournier International fête ses 20 ans à Gap-Tallard
J'ai eu la chance de rencontrer plusieurs fois messieurs Fournier et Chauvreau.Quels attachants et sympathiques personnages.La derniere fois René Fournier était en compagnie du patron d'Issoire aviation Philippe Moniot.C'était sur le terrain de Beaune qui a vu naitre les Jodels.Aprés la disparition de Papa Mud,ils ne restent pas nombreux ceux qui ont porté haut la construction aéronautique Française.Le modeste aéromodeliste que je suis leur rend un respectueux hommage.(à quand un nouveau roman Monsieur Chauvreau?)Cordialement.Daniel Ciron.