Le bureau d’enquêtes britannique (Air Accident Investigation Branch, AAIB) vient de rendre son rapport final, plus d’un an après le drame qui a coûté la vie au jeune footballeur et à son pilote David Ibbotson, le 21 janvier 2019. Si l’intoxication au monoxyde de carbone, découverte lors de l’autopsie du passager est confirmée (le corps du pilote n’a jamais été retrouvé), d’autres éléments accablants sont détaillés dans les 128 pages du rapport. L’AAIB dénonce également les irrégularités qui entourent ce vol charter réalisé en toute illégalité.
Rappelons que le vol qui devait mener le jeune sportif de Nantes vers son nouveau club à Cardiff a été effectué de nuit, par une météo difficile. Le rapport pointe le fait que le vol a été effectué en régime VFR par un pilote qui ne disposait que d’une licence de pilote privé délivrée par la CAA (administration de l’aviation civile britannique) et une équivalence de la FAA (administration de l’aviation civile américaine) .
Le pilote détenait cependant une qualification de vol aux instruments restreinte IR(R) valide (qualification ouvrant les bases du vol aux instruments, comme les approches IFR, aux privés, sans exiger toute la formation pour une navigation dans les Airways IFR ou les espaces de classe A). En outre, il n’était pas qualifié spécifiquement pour le vol de nuit.
Il n’était donc pas pilote professionnel et ne pouvait donc pas prétendre à être payé pour ce vol. Il s’attendait quand même à l’être…
Le PA-46 N264DB était dégivré (système pneumatique) et disposait d’un pilote automatique Bendix/King KFC150 ainsi qu’un sélecteur d’altitude et de vitesse verticale KAS297B. Néanmoins un placard indiquait que le pilote automatique (PA) et le FD (directeur de vol) étaient non opérationnels ; le PA ayant tendance à se déconnecter tout seul depuis plusieurs semaines.
Le Piper avait subi sa dernière visite des 100 heures/annuelle le 30 novembre 2018 et a effectué ensuite environ 11 heures de vol jusqu’au crash. Au cours du vol aller, il avait connu un choc (un bang perçu par le pilote) en plein vol que le pilote avait signalé mais dont l’origine n’a pas été déterminée. Un souci de frein s’est aussi présenté lors du roulage à l’arrivée à Nantes qu’un technicien français a inspecté pour constater que la pédale de droite était juste un peu plus dure que la gauche.
Pour le vol vers Cardiff, la météo faisait état de la présence d’un front froid, de multiples averses avec la présence de Cumulo-nimbus (CB). Le niveau de givrage était modéré, possible autour des iles anglo-normandes entre 3.000 et 4.000 pieds. Le temps couvert ne permettait pas de bénéficier de la visibilité offerte par la pleine Lune.
Le plan de vol déposé en régime VFR spécifiait que la navigation devait s’effectuer au FL55 (5.500 pieds).
A 11 nautiques à l’ouest de Jersey et 13 nautiques au sud de Guernsey, le pilote a demandé l’autorisation de descendre pour maintenir les conditions de vol à vue (VMC). L’avion est alors descendu en tournant vers la droite puis vers la gauche.
Ensuite, après un dernier message à l’ATC le pilote est descendu de 4.800 à 4.300 ft avant de remonter à 5.000 ft puis redescendre à 3.900. Il remonte ensuite à 4.200 ft et tourne à droite à 180° en descendant jusqu’à 1.600 ft en seulement 28 secondes. Les radars secondaires perdent alors sa trace.
On imagine qu’étant passé en IMC (conditions de vol aux instruments en raison de la météo, en gros, il est entré dans la couche !) le pilote a tenté de faire demi-tour mais serait parti en virage engagé. Selon les trajectoires radar, les précédents virages auraient pu être faits sous PA.
Les calculs de trajectoire et les simulations ont démontré que l’avion ne pouvait pas être resté en dessous de sa VNE (vitesse à ne dépasser sous aucun prétexte) de 203 kt. Une des simulations indique que le facteur de charge au cours d’une possible manœuvre de récupération, désespérée aurait pu faire monter le facteur de charge à 11 G, sachant que le PA-46 est autorisé jusqu’à 3,8 G. Un autre calcul a démontré qu’un minimum de 5,6 G ont été inévitables car en fonction des positions relevées, la vitesse de l’avion a été estimée pouvant avoir atteint 280 kt lors de la chute finale.
Sans doute avec une possible altération de ses facultés, plongé dans une situation météo stressante, le pilote aurait donc bien perdu le contrôle de son avion alors qu’il effectuait manuellement un virage et en conséquence, l’appareil se serait brisé en deux en raison de la vitesse excessive du Piper lors de cette manœuvre. Il ne sera jamais possible de savoir si cette chute est une pure erreur de pilotage ou la conséquence directe de l’intoxication du pilote.
Dans leurs recommandations, les autorités britanniques pointent le danger que représentent ces émanations sournoises qui peuvent toucher les avions à moteurs à pistons, en particulier les monomoteurs. Si des détecteurs de monoxyde sont souvent présents sur la planche de bord des avions, l’absence d’une alarme, qui aurait pu prévenir le pilote à temps, ne lui a sans doute pas permis de percevoir la diminutions de ses facultés intellectuelles et physiques et de prendre les dispositions nécessaires.
De même, l’AAIB reconnaît que les différentes inspections des échappements des avions ne permettent pas de prévenir ce risque à 100%.
A ce stade, le dossier de cet accident est déjà lourd, mais c’est sans compter sans le volet légal de l’affaire. Ce vol a été organisé par un tiers pour le compte du nouvel employeur du passager, alors en cours de transfert entre deux clubs au cours du « mercato d’hiver. » Une opération de 17 millions d’Euros qui fait l’objet, entre les deux club, d’une procédure auprès du Tribunal Arbitraire du Sport.
Or, et ce point sera peut-être pris en compte dans les inévitables suites judiciaires de cette lamentable affaire, le rapport évoque clairement un vol charter non autorisé (« unlicensed charter flight operation ») et un peu plus loin le terme « Grey Charter » est également utilisé pour en montrer l’aspect peu clair.
Il semble courant, et le monde sportif est clairement pointé du doigt, que des vols à la demande soient organisé par des compagnies qui ne sont pas qualifiée pour ce genre de transport.
La CAA demande clairement une nouvelle approche pour que les passagers cherchant à organiser un vol à la demande puissent accéder aux documents officiels démontrant que l’opérateur choisi dispose de toutes les capacités pour effectuer la mission demandée en respect de l’ensemble de la réglementation afférente.
Pour les autorités britanniques, ce vol était clairement illégal, le volet judiciaire de l’affaire n’est donc pas clos et donnera sans doute lieu à une série de procès retentissants.
Dès la publication du rapport l’Air Charter Association (ACA), l’European Business Aviation Association (EBAA) et la British Business and General Aviation Association (BBGA) qui regroupent les opérateurs professionnels britanniques, lesquels subissent de plein fouet la concurrence déloyale des vols charter « gris », ont publié un communiqué commun statuant que depuis des décennies, ces trois organismes ont œuvré pour démontrer le risque causé par ces pratiques menaçant aussi la sécurité des passagers. Elles réclament donc l’émergence et l’établissement d’outils de régulations en vue de rendre impossible ces charters illégaux.
Frédéric Marsaly
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Un copain d'un copain peu être...
Ce vol totalement illégal est choquant, quand on connait les moyens de ces gens là et de leurs clubs on comprend mal une petite économie qui débouche hélas sur un désastre !