En 2000 leur aéro-club était au bord de la faillite. Ils ont mis en place une direction collégiale et chacun dans son domaine a travaillé au sauvetage, sans compter ses heures. Radiographie d’une organisation remarquable.
A Montpellier, personne ne veut plus en parler. La page a été tournée dans la douleur. Tout le monde préfère essayer d’oublier et regarder devant. Mais il sera pourtant difficile d’effacer des mémoires ce jour de février 2001 où l’ancien président s’est écrasé volontairement sur l’aérodrome, aux commandes du TB20 du club. Celui qui avait fait de l’aéro-club de l’Hérault l’un des plus importants clubs français, a connu une suite de revers personnels qui ont rejailli sur sa gestion de l’association au point de la mettre en péril. Il n’a pas supporté d’avoir été mis sur la touche. « C’est lourd », confie Thierry Amar, qui lui a succédé à la présidence, en décembre 2000. « Il a fallu redresser psychologiquement et économiquement le club. C’est une histoire difficile à assumer ».
Le nouveau président, âgé alors de 36 ans décide de s’entourer de personnalités fortes, qui toutes, à quelques exceptions près, avaient occupé, avant 2000, des responsabilités au sein du bureau sans pour autant avoir eu accès aux dossiers. « Nous n’étions au courant de rien, tout passait par le président. Il fallait honorer des engagements financiers qui avaient été pris alors et dont nous ne savions rien », précise-t-il. « Le chantier était tellement important qu’un mec seul n’aurait pas pu s’en sortir », reconnaît Alain Gaudet, le trésorier.
Spirale infernale
A la fin des années 90, l’aéro-club de l’Hérault et du Languedoc-Roussillon totalise en moyenne 7.000 heures de vol par an. Il regroupe entre 350 et 400 membres et emploie 5 salariés à temps plein. Il fait jeu égal avec les gros clubs de la région parisienne. Il possède sa propre unité d’entretien agréée. Sa flotte se compose de 13 avions, du biplace école Robin HR200 (5 appareils) au bimoteur Piper Seneca, en passant par 2 Robin 3000, 1 TB10, 1 TB20 et 1 PA-28 Archer2 à train rentrant classé IFR. Il possède également 1 Cap10B et 1 Cap 231EX. Il est tourné vers la voltige de haut niveau. Il fournit l’équipe de France en compétiteurs.
Cette façade cache une réalité plus inquiétante que va rapidement découvrir la nouvelle équipe dirigeante, à partir de fin 2000. « Concernant la flotte, aucune provision n’avait été passée et le club avait des dettes importantes qu’il fallait honorer », constate Thierry Amar. « Pendant deux ans, nous avons été au bord du gouffre », résume le trésorier. « Notre parc avion était obsolète. Nous avions perdu un avion, l’assurance ne voulait pas le rembourser et il fallait néanmoins continuer à honorer l’emprunt. Le bimoteur sur lequel courrait un leasing ne volait plus. Les Robin 3000, le cœur de flotte, étaient en fin de potentiel cellule, ils étaient pourris et personne n’en voulait. Nos dettes s’accumulaient ».
Même si le tableau que dressent les uns et les autres est sombre, à aucun moment au cours de nos entretiens avec les différents membres du bureau de l’aéro-club, nous avons senti de la rancœur vis-à-vis de l’ancien président. Au contraire, ces pilotes qui l’ont bien connu, pour la plupart d’entre eux, donnent l’impression d’éprouver de la compassion pour l’homme. Ils ont vécu de près sa déchéance morale et la manière avec laquelle il a mis fin à ses jours a semble-t-il étouffé toute velléité de reproche. De toute évidence, l’équipe dirigeante est plus préoccupée à faire tourner un club qui revient de loin.
Le spectre du dépôt de bilan
« En octobre 2002, le trésorier, qui est par ailleurs expert-comptable, estimait que le club était en dépôt de bilan », se souvient le président. « Puis, l’assurance que je n’ai pas arrêté d’harceler pendant deux ans, à raison de deux appels téléphoniques par jour, a finalement accepté de rembourser le TB20. Nous avons récupéré 85 % de sa valeur. Nous avons obtenu une subvention sportive de 75.000 euros ». « La perception de l’assurance a donné de l’oxygène et un moyen de payement à court terme pour tenter de reconstruire », souligne le trésorier.
Une négociation serrée avec Apex, qui accepte de reprendre les deux R3000, débouche sur l’achat d’un DR400-160. En parallèle, le club achète l’un des tout premier Diamond DA40 diesel français. « Le DA40 est un choix de fond », explique Didier Roy, l’homme des dossiers techniques. « Il fallait s’affranchir de l’essence. Nous avons vendu le coût de l’heure de vol aux pilotes et nous avons assuré le pari avec une certaine pétoche. C’était moins Diamond que Thielert qui me faisait peur. Nous faisions partie de ceux qui essuyaient les plâtres. Remplacements de moteurs, déplacements de techniciens, etc. Nous nous demandions comment le motoriste allemand pouvait tenir économiquement. Apparemment, il a les reins solides. Je lui tire mon chapeau ».
« Des avions neufs donnent envie de revoler, mais nous ne savions toujours pas où nous allions. Nous essayions de tenir avec l’aide de notre banquier. Je mettais en avant le passé du club, créé en 1910. Le premier club affilié à la FNA », explique Thierry Amar.
Didier Roy, ingénieur de formation, est véritablement l’homme clé du renouveau de la flotte. Il a réalisé une étude technologique approfondie de l’évolution de l’aviation légère. « En parallèle, nous avons effectué un sondage auprès des pilotes pour savoir quel avion ils voulaient. Plutôt un manche ou un volant ? Beaucoup d’avionique ? etc. Nous avons, évidemment, analysé les besoins du club », explique-t-il. « Et nous sommes arrivés à un descriptif classique. L’avion que nous recherchions devait être économique, avoir un manche, deux places, rapide pour des petites navigations. Nous restions dans la logique du HR200 ».
Il présente alors un cahier des charges aux membres du bureau. Les constructeurs et importateurs sont invités à venir présenter et faire essayer leurs machines. Le choix se porte en définitive sur le DA20-Katana, à moteur Rotax. Un nouveau tournant à négocier pour le club.
Une flotte renouvelée à 90%
Aujourd’hui, la flotte de l’aéro-club de l’Hérault se compose de 3 DA20, 2 DA40 diesel (le deuxième est arrivé cet été), 1 DR400 (acheté en 2005), 1 Cap10C et 1 Cap231Ex entièrement rénové. Le prochain achat devrait porter sur un Ecoflyer, la version diesel du DR400. « En une mandature et demie, nous avons renouvelé la flotte à 90%. Il ne nous reste plus qu’un HR200 invendable », résume Jean-Pierre Munier, vice-président chargé de la mécanique. « Nous avons opté pour des machines à maintenance simplifiée qui ne nécessitent pas d’intervention sur la cellule et qui permettent de travailler sur le remplacement de sous-ensemble moteur. Nous pouvons ainsi maintenir des coûts raisonnables en limitant la main d’œuvre, mais aussi atteindre un taux de disponibilité des avions de l’ordre de 90%. Nous planifions désormais toutes nos visites ».
Cette planification est aussi le moyen d’économiser également sur l’approvisionnement des pièces de rechange. « Auparavant, nous n’avions pas de fournisseur majeur. Nous achetions la pièce chez celui qui l’avait. Aujourd’hui, j’ai le temps de faire des recherches et j’arrive à gagner jusqu’à 25, voire 30 % sur certaines pièces que je fais venir de Grande-Bretagne. Nous sommes forcément gagnants lorsque nous ne sommes pas à la merci de l’épicier du coin ».
L’arrivée de moteurs Rotax et Thielert dans la flotte du club ainsi que de cellules en composite à évidemment remis en question les habitudes de l’unité d’entretien agrée d’autant qu’elle s’est accompagnée d’une remise à plat de la manière de travailler. « Compte tenu de la réglementation et de la taille du club, la mécanique est un point critique », explique Jean-Pierre Munier qui chapeaute l’UEA dirigée par le chef d’atelier, José Escriba. « Néanmoins, l’idée était de pérenniser la structure à la fois sur le plan technique et financier, sans évidemment négliger la sécurité. C’est un boulot à plein temps ! »
En même temps qu’il entreprenait de mettre de l’ordre dans les approvisionnements, le nouveau vice-président chargé de la mécanique rationalisait la paperasserie. « Aujourd’hui, il est presque plus important d’être au point sur l’administratif que sur le fait de savoir tenir une clé dynamométrique ». Une secrétaire dont la tache a été sensiblement allégée avec la mise en place du logiciel de réservation des heures de vol Open Flyer a été affectée au suivi administratif de l’UEA. Deux jours par semaine, elle s’y consacre, ainsi qu’aux relations avec le GSAC ou encore aux approvisionnements courants.
Encadrement des salariés
Mais dans ce domaine, Jean-Pierre Munier sait que jamais rien n’est acquis. Il est particulièrement attentif à la nouvelle réglementation que prépare l’EASA concernant les ateliers de maintenance. « J’incite notre chef d’atelier à bien tenir son carnet de mécanicien à jour pour être prêt le jour J. Il faut être très vigilent pour éviter toute surprise ». La plus grosse surprise, à ce jour, est venue d’Allemagne, au moment où Thielert a décidé que l’entretien de ses moteurs se ferait désormais dans des structures spécifiques. « Jusque-là, l’entretien était fait par José. Il est sans doute en France, l’un de ceux qui connaît le mieux le moteur. Cette décision nous posait un problème. L’atelier le plus proche était à Avignon. J’ai attaqué Thielert en dressant la liste de toutes les interventions que nous avions faites jusqu’au changement de culasse en juillet 2005. J’ai demandé à devenir un « fleet maintenance center » pour entretenir nos avions. Le problème s’est résolu sans grandes difficultés et nous sommes devenu le premier club français agréé ». Cela s’est aussi soldé par la signature d’un contrat de 47 pages et une formation pour le chef mécanicien en anglais.
Les cinq salariés de l’aéro-club ont eux aussi vécu des moments difficiles. Ils ont été au cœur des problèmes relationnels entre l’ancien président et la nouvelle équipe dirigeante qui lui a succédé. Ils avaient également conscience de la précarité de leur situation professionnelle compte tenu des difficultés financières auxquelles devait faire face l’association. « Pour moi, c’était une véritable responsabilité humaine », reconnaît Thierry Amar. « Le personnel doit être géré de manière rigoureuse ». Une attention particulière a donc été accordée à l’accompagnement des salariés durant la remise à niveau du club.
De même que Jean-Pierre Munier a été chargé de tout l’aspect mécanique, Xavier Bertaud s’est vu confier la supervision de l’instruction et de la sécurité ainsi que tout ce qui touche à la législation. « Je fais la jonction entre le conseil d’administration et la partie instruction », explique-t-il. « Lorsque nous avons décidé de prendre le grand virage avec le diesel et le moteur Rotax, j’ai pris en main la transformation. Nous avons mis en place la méthode pour le lâcher des pilotes. D’une certaine manière, je fais office ce chef de centre. Le chef-pilote reste Jacques Hegedus ».
Retour à l’équilibre
« Le fait d’investir a ramené les membres du club. La prise de risque a été bénéfique pour l’ensemble du club. Nous avons prouvé que nous voulions avancer, même si c’était risqué. En quatre ans, le budget carburant a diminué de 30 % à nombre d’heures de vol égal », résume Alain Gaudet. « Nous remontons petit à petit la pente. Notre endettement est opérationnel. Il ne correspond qu’aux avions, c’est-à-dire à un objet qui rapporte. Mais la marge de manœuvre est faible ».
« Aujourd’hui, quand nous achetons une machine neuve, nous finançons par un emprunt sur 7 ans la partie cellule et nous payons comptant les parties à potentiel comme l’hélice ou le moteur. Nous avons de l’endettement, mais nous avons de beaux avions qui nous permettent d’avoir des tarifs de plus en plus raisonnables. Nous consommons moins, l’entretien est plus léger, etc. » Le trésorier joue carte sur table. « Il nous faut 5.000 heures de vol pour vivre. Nos recettes sont de 760.0000 € et notre endettement atteint 450.000 € pour une valeur du parc de 1,22 million d’€, soit moins de 40% ». « Nous ne courons pas après les heures de vol. Notre objectif est de rentabiliser les heures effectuées en intégrant des provisions » conclut Thierry Amar.
Un commando à la tête du club
L’organisation qu’a mise en place Thierry Amar lorsqu’il a été élu à la tête du club, fin 2000, est exactement l’opposée de celle de son prédécesseur. « Nous fonctionnons de manière très collégiale », résume Alain Gaudet, le trésorier. Chacun des huit membres du bureau à une fonction principale, le président étant le chef d’orchestre. Ses collègues lui reconnaissent une qualité d’animateur hors pair. « Tu t’éclates, mais ça t’empêche parfois de dormir ! », reconnaît-il.
« Du fait de la gestion précédente, je m’étais rendu compte que si quelqu’un fait tout à ta place, même si tu as une délégation, tu te laisses porter. En responsabilisant les gens, tu les impliques. Ils sont motivés ». Ce que confirme Jean-Pierre Munier, monsieur mécanique : « il faut une autonomie suffisante pour se faire plaisir. Charge à toi de faire un rapport au reste du conseil et à l’assemblée générale. Il ne faut pas aller empiéter sur le domaine des autres pour ne pas de reproduire le stress du boulot où règne souvent la guerre des chefs. Nous sommes là pour nous faire plaisir ».
Le secrétaire général, Alain Quéré, admet que si « l’organisation marche bien, il arrive que certains débordent parfois sur le domaine des autres. Mais au final, le bilan est bon, voire excellent. Notre président à des qualités d’animation certaines ». Alain Gaudet est convaincu que cette forme de « gouvernance », même si elle génère « des prises de gueules », leur a permis de redresser le club. « Il y a une vraie amitié réciproque qui s’est formée avec le temps, c’est très sympa » explique Didier Roy.
Il est évident que Thierry Amar et les pilotes qui l’entourent ne comptent pas leurs heures. Leurs compétences dans leur domaine de prédilection ne fait aucun doute. Ils prennent visiblement un réel plaisir à travailler ensemble. « Le fait d’avoir touché le fond a soudé les gens pour s’en sortir », estime le président qui ne cache pas sa satisfaction d’avoir redresser le club. « Le résultat, ce n’est pas seulement un parc d’avions neufs, c’est aussi des salariés et des membres, qui viennent ici avec plaisir ».
Elu en 2000 pour quatre ans, il a été reconduit à son poste en 2005. Son mandat s’achèvera en 2009. « J’ai encore un peu de temps pour préparer ma relève. La règle d’or est de ne rien attendre de personne et surtout de na pas s’approprier le système ».
Gil Roy
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