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Aviation Générale

Multiplication des boîtes noires à l’insu des pilotes d’aviation générale

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Gil Roy

Les smartphones et les tablettes des pilotes et de leurs passagers à bord des avions légers ou des ULM sont autant de précieux enregistreurs de données que les enquêteurs du Bureau d’enquêtes et d’analyses (BEA) ont désormais à leur disposition pour reconstituer le scénario d’un accident. Une photo ou une vidéo peuvent diriger rapidement une enquête vers des indices tangibles. Encore faut-il réussir à passer les codes de verrouillage. Le BEA est devenu une référence mondiale dans l’exploitation de tous ces enregistreurs personnels qui sont autant de boîtes noires dont les pilotes privés ne soupçonnent pas toujour l’existence à bord.

Il y a quelques jours, le Bureau d’enquêtes et d’analyses a ouvert ses locaux aux journalistes de la presse aéronautique. Au cours de la visite des laboratoires, nous sommes passés devant un plan de travail sur lequel était méticuleusement placé une petite vingtaine de cartes mémoires de téléphones portables et de tablettes. Elles ont été récupérées par les enquêteurs du Service suisse d’enquête de sécurité (SESE) dans l’épave du Junker Ju-52 de la compagnie Ju-air qui s’est écrasé dans les Alpes suisses, le 4 août 2018 (20 morts).

Une profusion d’enregistreurs de vol

Bien qu’au regard de l’annexe 13 de la Convention de Chicago qui régit notamment les enquêtes sur les accidents aériens, la France ne soit pas concernée, les suisses du SESE ont fait appel à leurs homologues du BEA qui depuis plusieurs années ont développé une expertise pour faire parler ces boîtes noires d’un autre genre que peuvent devenir un téléphone portable, une tablette ou un GPS portable lors d’un crash.

En l’absence de vrais enregistreurs de vol tels qu’ils sont obligatoires sur les avions de ligne, les téléphones, tablettes, mais aussi les enregistreurs associés à l’avion tels que les GPS portables et les EFIS, c’est-à-dire les écrans qui remplacent les instruments classiques, peuvent, en cas de besoin, apporter des informations supplémentaires sur le déroulement du vol. « On va pouvoir récupérer la position de l’aéronef, éventuellement les conditions météorologiques si on parle d’une photo ; sur une vidéo le type d’approche, le suivi de vol. Qui était aux commandes ? Les écrans, des paramètres moteurs, des messages », explique Johan Condette, chef du pôle « Enregistreurs de vols et systèmes avioniques », du BEA.

Une nouvelle source d’informations

Ces enregistreurs de vol occasionnels ont fait leur entrée dans les cabines des aéronefs légers au début des années 2000. Au début, il s’agissait d’enregistreurs intégrés dans les avions et des GPS portables. « Ces calculateurs apportaient des informations sur l’aéronef en lui-même ». Avec les téléphones portables il devient possible de reconstituer la trajectoire et de connaître l’environnement, notamment les conditions météorologiques au moment de l’accident.

Dès qu’ils montent à bord d’un avion, d’un hélicoptère, d’un ULM ou de toute autre machine volante, les passagers ont tendance à prendre des photos et faire des vidéos. « Ces informations là peuvent venir compléter les informations qu’on a pu récupérer sur l’examen de l’aéronef ou par l’entretien avec les témoins ou la personne qui pilotait l’aéronef. », explique Johan Condette.

Si pour les passagers le téléphone sert à engranger les souvenirs, pour le pilote il est devenu un outil de préparation du vol qui lui donne aussi accès aux informations météo. Il est ainsi possible pour les enquêteurs d’accéder à l’historique de ses recherches. En 2010 se souvient Johan Condette, les enquêteurs ont eu entre les mains quelques iPhone. Mais depuis la croissance est exponentielle, et depuis le début de 2018, ce sont déjà plus d’une cinquantaine de smartphones et de tablettes de toutes marques qui sont passés entre les mains des enquêteurs. «  Et on n’a pas encore fini l’année ! »

Matériel extra aéronautique

Récupérer des enregistreurs en tout genre est une chose. Les faire parler en est une autre. De l’avis des spécialistes du BEA, le problème est différent dès lors qu’il s’agit de GPS et d’équipements intégrés (avionique), ou de téléphones et de tablettes. Dans le premier cas, il s’agit de matériel aéronautique. Les fabricants peuvent apporter leur aide aux enquêteurs. « On va pouvoir mettre en place toutes les techniques qui vont bien au sein du laboratoire pour récupérer les données avec une coopération avec l’industriel. », explique Johan Condette. Pour les téléphones, c’est différent. « L’industriel n’est pas forcément enclin à venir aider le bureau d’enquête. Et si il aide un bureau d’enquête peut-être va-t-il devoir aider la police de n’importe quel état. » Dès lors, entrent en ligne de compte d’autres considérations. Autrement dit, le BEA doit se débrouiller seul.

Pour les enquêteurs, les deux principales difficultés résident d’abord au niveau de l’état dans lequel le téléphone a été récupéré. Ensuite, il faut réussir à passer le code de verrouillage.

Cracker les codes de verrouillage

Si la carte mémoire est en bon état, il est possible de la réinstaller dans un téléphone similaire et de le remettre sous tension. Vient alors le deuxième obstacle : la récupération des codes de déverrouillage. Johan Condette reconnaît que les familles des victimes sont coopératives. Les enquêteurs du BEA peuvent aussi se rapprocher d’autres services étatiques (police, gendarmerie) qui ont l’habitude de cracker les codes. L’opération est de plus en plus difficile du fait du développement permanent des systèmes. Les codes biométriques posent un autre problème. Jusqu’à présent, le BEA n’a pas été confronté au problème de l’utilisation. Toutefois, le relevé d’empreintes s’inscrit dans le cadre légal de l’autopsie.

« Tous ces calculateurs, tous ces enregistrements supplémentaires, ne vont pas venir permettre de comprendre de façon exhaustive l’événement. », relativise le chef du pôle « enregistreurs de vols » du BEA. « Ils vont apporter des éléments supplémentaires qui vont aider à diriger l’enquête. »

Dans un des laboratoires du BEA au Bourget, les cartes mémoires des téléphones et tablettes ayant appartenus aux passagers décédés dans l’accident du Ju-52, en août 2018 dans les Alpes suisses. © Gil Roy / Aerobuzz.fr

Vidéo utile

Les syndicats de pilotes de ligne se sont opposés pendant longtemps à l’introduction de la vidéo dans les cockpits des avions de ligne. Moyennant des concessions, ils s’y sont résolus. A partir de 2023, des caméras pourront être installées dans le poste de pilotage. Elles seront orientées sur les instruments. Les actions des pilotes seront filmées sans que les visages n’apparaissent. A partir de 2023, les avions de ligne commenceront donc à être équipés d’un troisième enregistreur de vol, en complément des deux historiques qui collectent les paramètres (FDR) et les sons dans le cockpit (CVR).

La vidéo dont la qualité technique sera nettement inférieure à celle d’un smartphone devrait grandement faciliter le travail des enquêteurs en cas de crash. Il a été impossible de savoir ce qu’avait révélé l’exploitation des cartes mémoires des téléphones et des tablettes des passagers du Ju-52 qui s’est écrasé, en août, dans la montagne des Grisons.

Ce qui est certain, c’est qu’avant même d’avoir conclu l’enquête,  les autorités suisses ont autorisé Ju-Air à reprendre ses activités sous certaines conditions, notamment en imposant aux passagers de rester assis et attachés pendant le vol. Il faudra attendre le rapport final du SESE pour savoir si les vidéos amateurs ont aidé à la compréhension des causes du drame.

Gil Roy

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Gil Roy

Gil Roy a fondé Aerobuzz.fr en 2009. Journaliste professionnel depuis 1981, son expertise dans les domaines de l’aviation générale, du transport aérien et des problématiques du développement durable est reconnue. Il est le rédacteur en chef d’Aerobuzz et l’auteur de 7 livres. Gil Roy a reçu le Prix littéraire de l'Aéro-Club de France. Il est titulaire de la Médaille de l'Aéronautique.

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