Au cœur d’une saison record, la présence, au sein des renforts européens, d’avions de lutte anti-incendie suédois n’a pas manqué d’interpeller. Qu’ils aient été utilisés en Bretagne ajoute un peu d’inédit à une situation déjà fort étonnante. Un des pilotes a accepté de répondre à nos questions pour éclairer cette mission peu commune.
En 2014 puis en 2018, la Suède a été touchée par quelques épisodes sévères de feux de forêt dans un secteur situé à environ 70 km à l’ouest de Stockholm. Après avoir bénéficié des renforts européens, notamment des Canadair français et italiens à ces deux reprises, le gouvernement suédois a confié à l’avionneur SAAB la charge de mettre sur pied une petite escadrille de bombardiers d’eau, histoire de ne pas priver le monde de « Tornviken » ou de « Mörbylånga » !
Une escadrille SAAB
Quatre Air Tractor « Fireboss » sont donc désormais stationnés sur l’aérodrome de Skavsta, à Nyköping, à environ 100 km au sud-ouest de Stockholm, dans une région ou les lacs et les bras de mer ne manquent pas. Car le Fireboss, la version amphibie de l’AT-802F, est capable d’écoper quelques 3000 litres. Grâce à sa turbine PT-6 de 1600 ch, cet avion peut voler à un peu plus de 150 kt (270 km/h) et largue autour de 110 kt (200 km/h). Bien que moins performant qu’un CL-415, c’est un appareil nettement moins couteux, à l’acquisition comme à l’exploitation, particulièrement bien taillé pour opérer dans des secteurs pourvus en points d’eau.
Un espagnol en Suède
« Nous sommes déployés là où il y a besoin, mais les feux en Suède ne sont pas si nombreux » explique Samu Pinon, un des pilotes arrivés à Vannes-Meucon avec son avion, le 11 août dernier. Samu est espagnol, pilote de ligne pour Iberia, qualifié sur les Airbus monocouloir de la compagnie. Mais la lutte contre les feux de forêt ne lui est pas totalement inconnue : « C’était même mon tout premier boulot comme pilote. J’étais pilote pour l’armée espagnole, et j’ai surtout volé sur CL-215T et CL-415 même si j’ai fait un peu de Casa 212. » Rappelons que les Canadair espagnols relèvent du Grupo 43 de l’Ejército del Aire et que c’est une affectation (presque) comme une autre pour les pilotes de la filière transport. C’est fort de cette expérience que ses services ont été reconnu par SAAB : « Je suis arrivé en Suède comme consultant car ils avaient besoin de pilotes expérimentés pour les aider à débuter ces missions ! »
En juste retour des renforts européens dont elle a bénéficié, la Suède a donc inclus ses avions comme mobilisables par le dispositif RescEU. Ils ont donc été envoyés fin juillet en République Tchèque. « Je n’y suis pas allé, j’étais de repos » précise Samu. Mais quelques jours plus tard, le 10 août, c’est la France qui activait le dispositif européen.
Le 11 août, deux Air Tractor décollaient de Suède et arrivaient en fin d’après-midi à Vannes. « Nous pensions partir pour Bordeaux mais finalement nous sommes arrivés en Bretagne ». Les feux avaient repris dans les Monts d’Arrée et les jours précédents, autour de Vannes, les départs s’étaient multipliés.
Un Dash 8 avait pu être mobilisé le 8 août pour traiter un feu près d’Auray et un autre près de Surzur. « La Bretagne, et en particulier le Morbihan, est couverte de landes. Des végétaux bas, secs, denses composés de bruyère, d’ajoncs, de fougères et de mûriers parfois. En période de sécheresse, ce sont des « bombes à retardement » où les propagations peuvent atteindre des vitesses terribles » expliquent les sapeurs-pompiers en charge du Pélicandrome installé sur l’aérodrome Vannetais.
Le jour même, un feu éclatait dans la forêt de Paimpont, assimilée depuis le XIXe siècle à la mythique Brocéliande des contes arthuriens.
En action de Paimpont à Brennilis
Les deux avions Suédois ont donc été envoyés travailler sur le feu de « Brocéliande ». « nous sommes venus avec un monoplace et un biplace. Dans le biplace, le gars a l’arrière est un nouveau pilote et cette mission fut bénéfique pour lui, car il a appris beaucoup. »
Le point d’écopage le plus proche se trouve à Ploërmel, l’étang au Duc. Mais en cette mi-août, c’est une base de loisirs nautiques des plus fréquentées. Si les voiliers et pédalos ont été évacués en prévision de l’arrivée des avions, ces derniers ont dû se se contenter d’une simple reconnaissance à basse hauteur dans un premier temps : « le lac était plein de bouées ! »
Celles-ci sont mouillées pour délimiter les différentes zones praticables sur le plan d’eau et n’avaient pas encore été enlevées. Les pilotes ont alors pris la décision de remplir leurs avions sur le Golfe du Morbihan. Las !
« le Golfe était couvert de voiliers. Nous avons tenté de les prévenir avec nos sirènes et les phares d’atterrissage, en faisant des passages bas, mais au lieu de faire fuir les plaisanciers, nous n’avons fait qu’en attirer de plus en plus. Donc nous avons pris la décision d’aller écoper en pleine mer, au large du port du Crouesty. »
Il faut dire, à la décharge des navigateurs, que des avions écopant sur le Golfe, ça s’était rarement vu depuis 1976 !
Les deux amphibies sont ensuite retournés écoper à Ploërmel, les bouées gênantes ayant été enlevées.
« Nous avons perdu beaucoup de temps au début à aller en mer et revenir sur le feu ; et écoper en mer est toujours un défi. La partie du Lac au Duc que nous avons utilisé pour écoper mesurait environ 1200 mètres et la zone d’écopage proprement dite quelque chose comme 800 mètres, c’était un peu court et surtout boueux. »
Dans l’après-midi, Milan 74 est venu en renfort, rejoint par un Super Puma HBE loué pour la saison au titre des moyens nationaux et qui allait ensuite rejoindre la Gironde.
Le lendemain matin le feu de Brocéliande a été traité par les Milan 75 et 77 depuis le pélicandrome morbihannais. Les avions Suédois, quant-à-eux, furent envoyés dans le Finistère où ils utilisèrent le réservoir de Saint-Michel (ou lac de Brennilis) qui se trouvait à proximité immédiate du feu, pour écoper, ce qui leur a permis de multiplier les largages.
« Nos missions ont duré chacune trois heures et nous avons pu faire 20 ou 25 largages à chaque fois. Je pense qu’on a fait du bon boulot mais les pompiers sauront mieux le dire que moi ! »
Le lendemain, la pluie abondante de retour en Bretagne entraîna l’annulation des vols et comme prévu, le 15 août, les deux avions et leurs équipages s’envolèrent pour regagner la Suède, mission parfaitement accomplie.
Quelques Aléas
Ce déploiement ne s’est donc pas déroulé sans petits aléas et adaptations sur le terrain :
« Le principal problème était la faute de personne, et surtout pas des pompiers bretons : le Morbihan, en plein été, c’est plein de touristes et il a été vraiment très difficile de trouver de la place pour dormir dans les hôtels de la région, tous pleins. »
Heureusement, le détachement SAAB comptait dans ses rangs un autre pilote, Daniel, espagnol mais francophone : « Il a été élevé en France, donc maîtrise parfaitement le français, la mission aurait été bien plus difficile sans lui ! « Et notamment pour tous les échanges avec les pompiers français.
Il fallait aussi prévoir, sur l’aérodrome, un endroit pour accueillir tout ce monde. « Nous étions donc trois pilotes et deux mécaniciens, un coordinateur et un officier des opérations aériennes. Les pilotes sont venus avec les Air Tractor, le reste de l’équipe par les lignes commerciales. » La petite aérogare fut donc « privatisée » afin que les équipes suédoises, les pompiers en charge du pélicandrome et les équipages de Dash de passage puisse profiter d’un endroit calme pour un peu de repos et leurs plateaux-repas.
Il fallut aussi trouver en urgence un adaptateur puisque les bouches de remplissage des avions étaient du type agricole, et que les tuyaux du pélicandrome ont des raccords « pompiers » de diamètre différent. Toutefois les FireBoss étant capables d’écoper cette tentative de remplissage au sol n’était qu’une précaution facultative.
Cette expérience opérationnellement réussie ne pourrait-elle pas inspirer les collectivités locales ? Les Fireboss, capables d’écoper et peu onéreux, ne seraient-ils pas à leur place en Bretagne si ces phénomènes incendiaires tendaient à devenir endémiques ? Créées autour de 2016, les installations de lutte anti-incendie de Vannes-Meucon ne demandent qu’à être développées.
» Vannes est une belle plateforme pour des bombardiers d’eau » explique Samu. « Je ne sais pas comment améliorer encore les dispositifs européens. A notre échelle, nous ne savons pas bien comment sont prises les décisions. Mais j’ai été pilote militaire pendant des années, donc si on nous appelle, on vient ! C’est dans mon ADN. C’est la seule chose qui compte pour moi. Ceci dit, j’ai beaucoup aimé la région, un bon endroit pour revenir en vacances, en famille ! »
Frédéric Marsaly
Depuis plus de quatre décennies, le Pilatus PC-7 constitue la pièce maîtresse de la formation… Read More
On a rarement vu une compagnie aérienne aussi bien préparée à déposer le bilan que… Read More
Dans un roman, Jean Rousselot raconte à la première personne du singulier la carrière militaire… Read More
Textron Aviation a livré à l'armée de l'air péruvienne le premier de 2 Beechcraft King… Read More
Il était le candidat malheureux de Sikorsky et Boeing face au V-280 Valor de Bell… Read More
L'avionneur slovène Gogetair adopte à son tour la turbine TP-R90 de Turbotech. Après un premier… Read More
View Comments
Très bien, pour les Landes et la Gironde, nous essayons, pour des raisons économiques, de prévoir une surveillance aérienne non armée, avec des ULM XL8 de très grande autonomie... Les Fireboss seraient les complément bienvenus, dispersés sur des petits aérodromes pour intervenir dans la 1/2 heure (mise en oeuvre comprise) sur les départs de feux de foret, en attendant l'arrivée des Canadair, si besoin.
En gros pour 1e cout d'un Canadair, nous pourrions avoir environ 8 à 10 Fireboss... Un bon complément et une bonne chaine de progression au bénéfice de tous, à suggérer au Ministère de l'Intérieur d'urgence.