Son pendulaire et elle

Le 20 Août 1987, à 26 ans, Patricia Taillebresse a mis tous les pilotes d’accord en reprenant à un australien le record du monde de distance en ULM pendulaire. La communauté n’attendait pas une femme. Il faudra 23 ans, à un duo masculin de pilotes pour faire mieux.

Lorsqu’on lui demande pourquoi un vol si long par la distance en ULM pendulaire est forcément singulier et difficile à la fois, Patricia nous répond sans détour : « Le plus dur c’est la paperasse ! Le reste ce n’est que du mental… » Du plan de vol aux différentes demandes administratives nécessaires (notamment de pouvoir traverser de grands aéroports ou de zones militaires), une année de préparation fut nécessaire…

Patricia Taillebresse a relié d’un trait la Belgique au Sud de la France. 811 KM parcourus à bord d’un pendulaire Racer de Air Création. Dans un univers plutôt « macho », à la grande époque des pionniers de l’ULM, cette jeune mère de famille venait de casser les codes… elle a même réussi à semer l’avion suiveur parti se ravitailler !

Le 20 Août 1987 vers 8H du matin, après un décollage hasardeux à cause du brouillard qui tardait à se lever sur Bourg Leopold, Patricia Taillebresse a réussi à passer près de 9H en l’air sans se poser, avec 120 litres d’essences sous les fesses, 3 litres d’eau dans deux bouteilles accrochées au tube avant, quelques barres vitaminées, des couches urinaires, une carte routière et… un barographe !

A l’époque il n’y avait pas encore le GPS et pour que le record soit homologué par le commissaire de la FAI (Fédération aéronautique internationale), il fallait pouvoir prouver les positions géographiques (ici l’altitude) du point de départ et celui d’arrivée. Cela permettait aussi de prouver qu’il n’y avait eu aucun posé. « C’est un club de vol à voile qui me l’avait prêté. Le boitier était mesuré et scellé au départ par le commissaire de la FAI, vérifié à l’arrivée. Je n’avais qu’une hantise, c’est qu’il tombe en panne. J’y ai pensé durant tout le vol ! » précise Patricia.

L’idée, née d’un coup de tête un an plus tôt alors que Patricia faisait partie du Pôle compétition de la jeune Fédération d‘ULM, était de réussir à parcourir une route la plus longue et la plus droite possible en cherchant à bénéficier de vents favorables. Après un premier choix sur les Pays-Bas, le départ a finalement été arrêté à la Belgique pour rejoindre Perpignan en descendant la vallée du Rhône… mistral gagnant…

Elle se posa finalement un peu plus avant que prévu, à Nîmes, mais la distance était déjà suffisante et le record était acquis. En cause, le bouton d’émission radio fixé sur le trapèze du pendulaire, perdu en vol. Elle ne pouvait donc plus rien émettre et seulement entendre les contrôleurs aériens. 

« J’approchais la CTR (zone de contrôle) de Perpignan, je les entendais parler de moi, et il n’était pas question pour eux de me laisser pénétrer l’approche où le trafic accueillait aussi des vols de lignes. Je les voyais passer au loin… » se remémore-t-elle.

Il fallait donc décider. Patricia a à un moment envisagé de longer la côte et se poser sur une plage, rien que pour le rêve, mais elle aurait déjà été dans la CTR… Fatigue et sagesse ont eu raison de ses ambitions en choisissant l’aéroport de Nîmes. 

A bord du Racer, propulsé par un Rotax 447 deux temps « une valeur sûre car nous craignons que le 662 ne chauffe un peu trop », Patricia Taillebresse n’a pris que le nécessaire. Le plus lourd étant le carburant, 120 litres au total intégrés dans le siège dans une cuve en aluminium fabriquée sur mesure. La machine de série peut en emporter que deux fois moins. Loin d’être suffisant. « Il me restait quand même une dizaine de litres à l’arrivée ».

« Le mental » nous disait Patricia ! Car 9 heures seule en l’air c’est long… bien plus long qu’un Paris-New York entourés de passagers… « Il faut être attentif tout le temps, sans relâche, gérer la consommation, les éventuels imprévus météos en locales, la fatigue, la navigation… » Elle connaissait son plan de vol par cœur, d’ailleurs à bord elle n’avait qu’une carte Michelin pour un vrai vol à vue et de cheminement toujours autour de 3000 pieds (1000m) d’altitude.

Un incroyable exploit après des mois de préparation, à effectuer des vols d’essais de plusieurs heures chez Air Création dans le ciel ardéchois afin de voir notamment comment se comportait le pendulaire avec sa cuve de carburant, il y a quelques ajustements à faire sur l’aérodynamique (réglages de l’aile), tester le baromètre, évaluer les différents régime moteurs…

Et parmi les souvenirs les plus marquants, l’escorte par quatre Mirage III de la Base de Saint Dizier. « Ils étaient évidemment prévenus de mon passage, mais ils ont voulu vérifier que c’était bien un ULM ! », ironise-t-elle. Et peut-être aussi… que ce soit bien une femme aux commandes ? Patricia exerce aujourd’hui le métier de préparatrice mentale. Une route toute tracée !