La remotorisation d’un Fouga Magister avec des réacteurs de Learjet donne naissance à une incroyable bête de course. On est bien entendu aux Etats-Unis et Fred Bourdais, le français le plus connu de Californie, est dans le coup…
Une trentaine de Fouga Magister volent aux Etats-Unis. Parmi eux, le N610FM est un exemplaire unique : assemblé en Finlande, il est livré à la force aérienne finlandaise en août 1961 et porte le code FM-30. Il est retiré du service en 1985 et il est vendu à un collectionneur américain l’année suivante. En 2007, il est sélectionné pour subir une étonnante greffe musculaire.
« Son propriétaire, qui avait de l’argent et des idées, avait décidé de remplacer les Marboré VI par des réacteurs General Electric CJ610-8 » explique Fred Bourdais. « A l’époque, j’avais vaguement entendu parler du projet par radio Fouga… » Sur le terrain de California City, à une heure de route de Los Angeles, Fred fait voler une ménagerie de plusieurs Fouga, un Morane-Saulnier Paris et… un MiG15 biplace.
« L’avion a été modifié par des ingénieurs d’un célèbre bureau d’études américain. Les entrées d’air on été agrandies, un cadre de fuselage a été ajouté pour installer des attaches moteurs supplémentaires, les capotages et certains panneaux de fuselage ont été refaits… Le travail a été mené très sérieusement, mais la greffe n’a pas toujours été simple : pour accéder au réservoir d’huile il faut par exemple démonter un karman avec une quarantaine de vis… »
Rappelons à ce stade que les CJ610-8 motorisaient les Learjet 23, 24 et 25. La version militaire du moteur, appelée J85, équipe quant à elle les A-37 et, avec une post-combustion, les F-5 et T-38. C’est un réacteur qui pèse 80kg de plus que le Marboré VI (autour de 240kg contre 160kg) mais quadruple pratiquement la puissance (1600 kg de poussée contre 400 kg) !
Le chantier débute en 2007 et se termine en 2010. Il coûte un bras, on parle de plus d’un demi million de dollars, sans que l’on sache précisément si l’avion a véritablement volé dans sa nouvelle configuration. « J’en avais discuté avec le propriétaire de l’époque, il m’avait dit qu’il avait volé une dizaine d’heures, tout en restant assez évasif… Il avait ensuite donné l’avion à une école de mécaniciens, c’est un schéma courant aux Etats-Unis pour défiscaliser. L’école l’a utilisé quelques années mais sans le faire voler. Puis autour de 2016, elle l’a de nouveau mis en vente ».
L’avion intéresse Fred Bourdais, qui réfléchit depuis bien des années à la remotorisation des Fouga. D’abord pour leur offrir plus de puissance, ensuite parce que les Marboré ne sont pas éternels… Fred va donc voir l’avion, affiché au prix de 80.000 dollars, mais le courant ne passe pas avec le responsable de l’école qui ne l’autorise pas à ouvrir les capots ! L’affaire ne se fait pas et l’avion se vend finalement pour une bouchée de pain en 2023 à autre pilote, qui souhaite avant tout récupérer les moteurs pour les installer sur des L-29. « L’acheteur était un ami, alors je suis immédiatement parti voir l’avion chez lui : on a regardé l’installation en détail et on s’est dit qu’il aurait été dommage de le laisser pourrir pour simplement récupérer les moteurs, le travail de modification avait été vraiment bien conçu et bien réalisé. Je lui ai alors proposé de lui racheter et l’affaire s’est faite… »
Le Fouga traverse les Etats-Unis en diagonale, entre Vermont et Californie, installé sur une remorque. Et depuis quelques mois, Fred s’est tranquillement attelé à son remontage, aidé depuis le mois d’octobre par un jeune français, ingénieur en mécanique, venu à Cal City dans le cadre d’un stage d’étude.
L’avion est immatriculé dans la catégorie experimental et Fred Bourdais défriche progressivement le domaine de vol. Les chiffres donnés par son nouveau pilote ont de quoi donner le vertige aux habitués du Fouga : la consommation au ralenti est de 80 gallons/heure par moteur, ce qui est habituellement la consommation en croisière à 9000 pieds pour le Marboré VI. « A la pleine puissance au décollage, on passe à 640 gallons/heure pour les deux moteurs, avec… 251 gallons dans les réservoirs ! Autrement dit, on ne peut pas aller très loin plein gaz, mais on y va vite résume Fred. Je pense qu’on peut tout de même faire 250 ou 300 nautiques, selon l’altitude ».
Mais dans les faits, le plein gaz est inutile : à 90% de puissance, le Fouga remotorisé décolle en 400m et grimpe à 140 noeuds constant avec une pente de 25° et 5000 pieds/minute au vario. Le terrain de California City étant à 2400 pieds ASL, il faut plutôt compter 1400m de course au décollage pour un Fouga avec des Marboré VI !
« Je suis encore en phase d’essais poursuit Fred Bourdais, je mesure les consommations, la vitesse et l’autonomie pour tracer les abaques. A 13000 pieds, avec 90% de puissance, j’ai facilement accroché 330 noeuds avec un vent de face de 25/30 noeuds. Clairement j’entre dans un niveau de performances dignes des L39 qui couraient à Reno »
Bien qu’il soit plus lourd d’environ 200 kg à vide (poids des moteurs, présence d’une deuxième batterie et d’une gueuse de 20kg dans le nez pour rétablir le centrage), l’appareil décroche comme un Fouga « normal », autour de 90 noeuds.
A l’heure où sont publiées ces lignes, Fred Bourdais a réalisé trois vols. « L’avion est plein de bonnes surprises et je n’ai pas encore fini d’en faire le tour explique-t-il. Pour l’instant, il ne dispose d’une instrumentation qu’en place avant, mais on travaille pour réinstaller des instruments et pouvoir le piloter depuis la place arrière. L’important est que les moteurs donnent entière satisfaction. Comme j’en ai quelques uns en réserve, je pense équiper d’autres Fouga avec. L’intérêt du CJ610, c’est que tu peux en tirer 10.000 heures de potentiel si tu suis l’entretien recommandé par GE. Le Marboré, c’est 1800 heures max en changeant la chambre de combustion en cours de route. Et c’est un moteur sur lequel plus personne ne travaille au niveau industriel, alors qu’il reste de nombreux ateliers dans le monde capables de réaliser les GV des CJ610 ». A star is (re)born.
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