Maurice Noguès, vers l’Asie avec la nuit

L’on fêta le centenaire de la naissance de l’aviation. L’on commémora celui de la Grande Guerre et ce n’est que justice. Mais qui pense au siècle écoulé depuis les grands défricheurs du ciel de l’Entre-Deux guerres ?

Il y a un auteur, pourtant, qui semble avoir fait de ce « devoir de mémoire » sa mission. Une mission dont il s’acquitte avec brio et compétence. Ce bonhomme, c’est Bernard Bacquié, pilote de ligne désormais à la retraite, dont la bibliographie consacrée à des héros volants célèbres en leur temps mais aujourd’hui passablement défraîchis (à l’exception de Mermoz et Saint-Exupéry, toujours étincelants) est impressionnante.

Certes, il a consacré quelques ouvrages à ces deux-là. À Guillaumet aussi. Mais il a également remis dans la lumière – malgré ses zones d’ombre – Dieudonné Costes, le vainqueur de l’Atlantique-nord dans le sens est-ouest ou d’autres des Lignes Latécoère/Aéropostale moins célèbres. À chaque fois, il a résolu l’exercice avec élégance.

Un bel ouvrage

Tous ses livres se ressemblent dans la forme. Il est vrai que l’auteur est également l’éditeur. Et enquêteur, dénicheur d’archive ; et historien, avec des questionnements résolus, des dissipations d’erreurs communes… ; et écrivain, car ses récits se lisent invariablement avec le parfum d’aventure romanesque que son style vivant et enjoué, valorise ; et infographiste doué, n’ayant pas son pareil pour traiter et coloriser avec justesse de vieilles photos, bien mises en page ; et donc homme de goût produisant de beaux livres avec reliure cartonnée et toilée.

Bref, Bernard Bacquié met son talent aux multiples facettes au service de la cause, essentiellement celle des aviateurs des années 1920 à 1940.

À l’est, du nouveau

Ce volume passionnant de 192 pages au format 17 x 21 (c’est « standard » chez cet auteur-éditeur) est la dernière biographie en date (mais celle-là est auto-suffisante) de Maurice Noguès. L’homme de l’Orient, de la Franco-Roumaine, de la CIDNA, jusqu’à Saïgon… et jusqu’à Air-France. Car lors de la catastrophe de 1934 qui l’emporta, le trimoteur Dewoitine 332 Émeraude portait la « crevette » de la toute nouvelle compagnie nationale.

L’auteur commence par tordre le cou à un « conflit » d’homonymie. Non, le Noguès qui nous intéresse n’est pas le Nogues (sans accent), as de la chasse durant la Grande Guerre. Et pour dissiper, définitivement faut-il l’espérer, le malentendu, B. Bacquié n’en raconte pas moins la vie de ce pilote dénommé Marcel Nogues.

Celui auquel il consacre le cœur de cet ouvrage est bel et bien Maurice, issu d’une famille bretonne aisée, qui vend la Rolls-Royce qu’il s’est vu offrir en 1907 pour pouvoir s’acheter un biplan Voisin en 1910… C’est une authentique « Vieille Tige », pilote breveté avant la Première Guerre mondiale, guerre qu’il fera autant dans le bombardement que la chasse, donc avec un palmarès moindre. Mais c’est en 1922 qu’il se révélera pilote de ligne (il sera un pionnier du vol de nuit) sur les « berlines » Blériot-Spad, devenant vite chef-pilote de la Franco-Roumaine…

Homme plus discret qu’expansif, efficace et investi dans sa mission, Maurice Noguès a été un véritable défricheur de lignes aériennes, personnage somme toute attachant que l’on découvre en lisant le véritable roman qu’est son existence, illustré de dizaines de photos et documents (extraits de carnets de vol…) grâce aux artefacts que l’auteur a exhumés.

Un joli travail à lire en se faisant plaisir, sans modération.

Jean Molveau