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Le drone imprévu

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Aerobuzz

Elle reprit le contrôle juste avant que les roues ne touchent le sol. Leur mission, était, certes remplie. Mais à quel prix !

Elle tira fermement le manche vers l’arrière, les roues frôlèrent les hautes herbe mais le Robin DR-315 releva le nez, hésita puis reprit peu à peu de l’altitude, timidement d’abord puis plus franchement cependant que la pilote, Silène, expirait longuement, ayant auparavant bloqué sa respiration sans s’en apercevoir. Elle respira ensuite normalement. Elle tira le manche au maximum en voyant approcher la ligne de pins au bout du pré dans lequel elle avait failli s’écraser. Le Robin DR-315 réagit correctement, s’élevant brusquement et il passa au-dessus des cimes menaçantes. Silène entama alors un large virage pour retourner vers l’aérodrome d’Auch qui se trouvait à une bonne demi-heure de vol. Son voisin, Louis, semblait toujours inconscient. Elle se tourna vers les sièges arrière. Les deux passagers devaient avoir été pas mal secoués. Celui de droite, avait l’air d’être groggy bien qu’il tînt sa tête dressée. Une large balafre sur son front laissait couler un filet de sang qui descendait jusqu’au col de son blouson et disparaissait le long de son cou. Il avait le regard fixe, comme hypnotisé. Sa compagne, sanglée sur son siège, le menton sur sa poitrine, ne donnait aucun signe de vie.

Silène pivota vers l’avant ; le moteur ronronnait régulièrement, l’hélice tournait bien, traçant son sillage de transparence vibrante sur le bleu du ciel à peine piqueté des quelques altocumulus. Elle ressentit une dureté dans l’action des palonniers mais n’y accorda pas une attention excessive. Tout en surveillant ses instruments, elle repassa dans sa tête le film des évènements qui venaient de s’écouler.

Ciel clair, vent faible d’ouest, matériel tout juste révisé, horizon dégagé laissaient présager un vol sans histoire aux quatre occupants du Robin qui devaient assurer une mission d’observation et de photographie de la frange est, sur la zone forestière des Landes. Ils recherchaient les traces d’une attaque des pins par un parasite, sans doute le scolyte, qui aurait été détecté dans la forêt landaise autour de Bourriot-Bergonce, Roquefort-Sarbazan, le long de l’A65, et vers Bossès, plus à l’ouest. Cela faisait des taches grises de pins infectés et morts, se détachant des zones vertes d’arbres sains. Ils devaient faire des photographies et avaient équipé leur DR-315 d’une caméra, placée sous le fuselage, et d’un appareil photo, le tout commandé par Louis, son adjoint, placé à sa droite. Un travail de routine pour eux dont c’était le métier et qui avaient fait des quantités de photos aériennes. Théoriquement, Louis ne devait pas se servir des doubles commandes du Robin. Les deux passagers à l’arrière, deux techniciens de l’ONF, devaient leur préciser les zones touchées, à photographier en priorité. Ils avaient délimité sur la carte un grand rectangle allant de l’autoroute de Gascogne jusqu’aux villages de Rimbez et d’Arx et ils couvraient toute la surface en plusieurs passages parallèles est-ouest, depuis la limite du département des Landes et du Lot-et-Garonne, et en descendant vers le sud. Ils avaient presque terminé le balayage de la zone malade.

Tout se passait merveilleusement bien quand l’incident s’était produit. Silène tremblait encore en repensant à la brusque apparition de cette espèce d’affreux insecte sur l’avant droit de sa machine. Un drone ! Un drone aussi inattendu qu’un coup de tonnerre dans un ciel tout bleu. Par réflexe, elle poussa le manche en avant faisant piquer son avion vers le sol. Trop tard, un choc brutal contre le plexiglas qui fut percé sur une surface large comme deux mains. Le drone éclate en morceaux dont certains rebondissent contre le fuselage, d’autres qui pénètrent à l’intérieur. Elle a l’impression qu’un super ventilateur lui souffle sur le visage. Le DR-315, continue à descendre. Silène n’arrive pas à le redresser bien qu’elle tire sur le manche. L’altimètre indique 950 pieds et diminue régulièrement. Silène se voit en train de s’écraser en plein milieu des sapins. Elle aperçoit sur sa gauche une surface verte dégagée, une prairie. Elle agit sur le manche, qui par chance réagit dans le sens droite-gauche et elle dirige l’avion vers ce rectangle herbeux. L’altimètre indique 800 pieds, 700 pieds, 600 pieds. La passagère arrière hurle.

– Mais faites quelque chose ! On va s’écraser. Mon Dieu ! Mon Dieu ! Qu’est-ce que c’était ? Oh ! J’ai mal… J’ai mal…

Silène se tourne vers Louis pour lui dire qu’il attrape le deuxième manche et essaie à son tour de le tirer en arrière. Malheureusement, il est inconscient, la tête inclinée sur sa poitrine. L’altitude indiquée par l’altimètre continue de diminuer, 500 pieds, 400 pieds. Silène essaie toujours de tirer le manche en arrière pour redresser l’avion. Rien à faire, le manche résiste, semble bloqué. 300 pieds, 200 pieds. Tout à coup, Silène se rend compte que le manche de droite est coincé par les jambes de Louis. De son pied droit, elle s’efforce de les repousser. 100 pieds. Enfin, elle réussit. 50 pieds. Le manche peut bouger. Elle le tire violemment vers elle. L’avion réagit, remonte, ses roues soulèvent des touffes d’herbe. Il était temps.

Le passager arrière est toujours immobile, les yeux grands ouverts, fixes, vides de toute conscience. Sa voisine qui hurlait, ne dit plus rien ; elle a, elle aussi, sa tête penchée sur sa poitrine. Est-elle évanouie ? Est-elle morte ? Et Louis ? Pourquoi ne se réveille-t-il pas ? Il est toujours aussi immobile. Silène, tout à coup, pousse un cri sauvage et prolongé, un cri sorti du fond des âges, un cri libérateur des tensions qui se sont accumulées en ces quelques instants tragiques.

Ce cri fait réagir le technicien à l’arrière dont le regard perd sa fixité.

– Que s’est-il passé ? demande-t-il d’une voix tremblante cependant que l’air lui arrive violemment sur le visage par l’orifice du plexiglas percé.
– Nous avons été heurtés par un drone. Et vous avez été comme inconscient. Êtes-vous blessé ?
– Non ! Je ne crois pas. Non ! Ah… Si, dit-il en s’essuyant le sang qui coulait de son front.
– Regardez ce qu’a votre collègue.
– Oui. Tout de suite. Sylvia, Sylvia. Qu’est-ce que t’as ? Ah ! Elle saigne sur l’épaule. Elle a sa blouse entaillée. Et sa peau en dessous aussi. Elle ne saigne pas trop, ça n’a pas l’air trop grave. Sylvia, réveille-toi, réveille-toi… Sylvia.
– Zut, je n’arrive pas à avoir une liaison radio, dit Silène qui, depuis un moment, s’escrimait à appeler l’aérodrome d’Auch et à envoyer un message d’urgence. Mais, bon sang, répondez… Louis… Louis…

Mais Louis ne réagissait toujours pas. Sylvia finit par ouvrir les yeux en gémissant.

– Ah ! Te revois-ci parmi nous, dit son collègue. Avez-vous une trousse de secours ? demanda-t-il à Silène qui la lui passa aussitôt. Bouge pas, je vais te mettre un pansement pour arrêter l’hémorragie de ton épaule… Après tu me désinfecteras ma coupure sur le front.
Silène tentait toujours de contacter l’aérodrome, en vain.
– Nous arrivons dans une dizaine de minutes, annonça-t-elle. Louis… Louis…
Toujours pas de réaction. Elle eut beau le secouer, impossible de le ranimer. Le Robin ronronnait bien. S’il n’y avait pas eu l’ouverture dans le plexiglas qui les inondait d’un courant d’air violent, et cette panne inexplicable de la radio, le retour aurait été correct.
– Voilà l’aérodrome, dit-elle au bout de quelques instants. Je vais faire un passage au-dessus pour leur montrer notre arrivée en urgence et je reviens me poser sur la piste.

Elle commença la manœuvre qu’elle avait annoncée. Elle passa assez bas et en « battant des ailes », c’est-à-dire en balançant son avion de droite à gauche selon l’axe de roulis, puis elle remonta et revint s’aligner pour se poser. Il lui sembla que l’avion avait quelques difficultés à tourner, le palonnier étant toujours aussi dur. Regardant les ailes et la queue, elle s’aperçut que sa gouverne de direction semblait un peu gauchie. Elle décida de faire un autre tour avant de descendre. Elle tira sur son manche et reprit un peu d’altitude. Elle actionna difficilement ses palonniers. L’avion sembla réagir correctement et tourna quoique avec un certain retard et avec un mouvement plus accentué vers la droite que vers la gauche. Devant l’entrée des bâtiments de l’aérodrome, un groupe de personnes s’était rassemblé, pressentant un problème. Silène termina son tour et s’aligna de nouveau commençant à descendre. Elle donna des petits coups sur ses palonniers pour prendre exactement l’axe et c’est là que tout se compliqua. Ses pédales devinrent molles. Elles n’agissaient plus.

Silène jeta un regard vers l’arrière et s’aperçut, horrifiée, que sa gouverne de direction flottait dans le sillage de l’appareil, plus qu’à moitié arrachée. Impossible de redresser le vol pour se poser dans l’axe de la piste. Elle découvrit aussi que son antenne radio avait été coupée au ras du fuselage, probablement sectionnée par un débris du drone. Elle allait finir « dans les pâquerettes ». Malgré la gravité de la situation, elle eut un bref sourire. Pourvu que les trois roues tiennent bon. Heureusement que le terrain avait une large partie herbeuse de chaque côté du macadam de la piste. Le véhicule des pompiers de l’aérodrome sortit de son hangar et fila, sirène hurlante, en direction du lieu où le Robin allait toucher terre. Il était talonné par une ambulance faisant retentir son « do-mi-do » lancinant. Silène joua du manche et fit riper la queue de son Robin sur l’herbe jusqu’à ce que l’avion ralentisse et finisse par s’arrêter. Quand il fut immobilisé, le moteur coupé, elle ouvrit sa porte, descendit, fit le tour de l’appareil, ouvrit les portes de ses passagers, puis celle de Louis.

Les pompiers arrivaient. Ils ne s’attardèrent pas à contempler les dégâts subis. Ils prirent en charge les deux techniciens de l’ONF qu’ils réconfortèrent du mieux qu’ils purent et qu’ils évacuèrent. Ils descendirent aussi Louis. Malheureusement, pour lui il n’y avait plus rien à faire. Un morceau de plastique lui avait entaillé le cou du côté droit et il s’était vidé de son sang. Sa carotide avait été sectionnée au ras de son col, ce qui expliquait que Silène n’ait rien vu.

Quand elle eut pris conscience du malheur qui avait frappé son collègue Louis, à la fois associé et ami, la jeune femme s’évanouit à son tour. Ce dernier coup du sort, dans cette succession de malheurs, avait eu raison du sang-froid dont elle avait fait preuve depuis l’impact du drone.

Fin

Le Prix 2016 Mode d’Emploi

Sélectionnez parmi les 17 nouvelles de la catégorie Adultes du Concours organisé par les Rencontres Aéronautiques et Spatiales de Gimont, les 5 meilleures selon vous.

Le thème :
– « Elle reprit le contrôle juste avant que les roues ne touchent le sol. Leur mission était, certes, remplie. Mais à quel prix ! »

Les critères de notation :
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Votre Top 5 :
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Palmarès :
– Il sera rendu public le 1er octobre 2016 à Gimont (Gers) à l’occasion de la 12ème édition des Rencontres Aéronautiques et Spatiales de Gimont (30 septembre – 2 octobre 2016).

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