Elle reprit le contrôle juste avant que les roues ne touchent le sol. Leur mission était, certes, remplie. Mais à quel prix!
J’ai conservé ce funeste SMS du 27 octobre 2010 que Christelle m’a envoyé à 14h03.
« C OK j’ai posé le DR400 à Courch, attero difficile vent rabattants en entrée de piste, mais paysages merveilleux sur alpes ensoleillées BIZ cheri »
J’ai montré ce SMS aux gendarmes qui venaient enquêter après le terrible accident de ma femme, à la demande du BEA qui avait décidé de faire une recherche poussée des causes de l’accident.
Pourtant tout avait semblé normal, une météo Cavok sauf peut-être des turbulences plus fortes que prévues à l’atterrissage et puis cette neige épaisse, cette fichue neige fraîche de 20cm, collante en ce début d’après midi ensoleillé d’octobre.
Les gendarmes ont fait leur métier au mieux, cherchant à avoir des renseignements sur ma femme pour essayer de comprendre l’enchaînement qui a abouti à ce drame. Un peu lourds même, quand ils cherchaient à me faire préciser si j’étais suis sûr que les relations entre
Christelle et Jacques l’autre pilote qui l’accompagnait n’étaient que strictement utilitaires et dues à une activité commune. Je leur ai dit que je connaissais un peu Jacques, que je n’avais aucun doute sur ma femme, les gendarmes ont noté mon avis sur leur rapport. Bien sûr la
passion de ma femme pour l’aviation et le pilotage est déjà ancien, elle pilotait avant même que nous nous connaissions, elle avait tenté de m’y initier, mais ce n’était pas ma tasse de thé, en fait j’ai un peu peur dans ces petits coucous. Mon métier, je suis dentiste, est assez casanier et ne me prédispose pas à ce genre d’activité que j’ai toujours trouvé périlleuse, et je dirais aujourd’hui, avec raison. Je suis assez sportif, je fais du tennis et pratique un art martial depuis longtemps, mais cette recherche d’adrénaline qu’ont certains me dépasse.
Pourquoi est elle partie ce matin?
A 6 heures du matin, à 5h zoulou comme elle aimait dire, elle s’était préparée et était partie pour son club de Bron avant même que je ne sois levé. Je crois que c’est la dernière fois que j’ai relevé cette différence entre nos deux réveils. Depuis toujours elle réglait son réveil et sa montre sur l’heure UTC, ce temps universel qui disait-elle relie plus sûrement les hommes du monde entier que tout autre acte ou discours.
Et deux fois par an ce décalage entre nos montres passait de une à deux heures ou inversement. Comment faisait-elle pour ne pas se tromper? Je ne sais pas, mais dans sa tête aucune confusion ne lui a jamais fait rater un rendez vous et avec les enfants elle gérait parfaitement. Cette petite manie nous amusait.
Après sa mort, j’ai fouillé dans ses papiers, son agenda, j’ai récupéré ses documents personnels que le BEA m’a rendu quelques mois plus tard, j’ai tenté de comprendre, de comprendre l’incompréhensible, cette incompréhensible succession d’erreurs, de fatalité, de défaillances, de mauvais conseils, d’obligations. Un seul paramètre aurait été autre et ma femme serait aujourd’hui encore avec moi.
Sur sa tombe toujours fleurie, de nombreux témoignages de sympathie et d’amitié. Mes enfants et moi avons voulu lui faire une belle tombe, sobre et pour rappeler sa passion, nous avons fait inscrire cette très belle phrase de Saint-Exupéry : « L’essentiel ne se voit pas avec les yeux, mais avec le coeur » Ses amis du club ont déposé une belle plaque, ainsi que ses collègues, tous ont manifesté un chagrin et une sacrée reconnaissance à cette femme belle, intelligente et si active. J’ai regardé son carnet de vol, presque une anthologie de tous les aérodromes de France, de Corse, et de quelques pays voisins, Italie, Allemagne, Angleterre et des additions d’heures de vol : plus de 1745, ce qui est parait-il beaucoup pour un pilote non professionnel. Et sa licence avec son renouvellement périodique, l’inscription de sa qualification montagne altiport qu’elle devait renouveler rapidement et qui sera à l’origine de ce cauchemar. Puis son certificat médical prorogé, lui récemment par le docteur Gallon qui d’ailleurs est un ami. Dans le milieu médical nous nous connaissons tous et cette passion de ma femme nous avait rapproché, lui médecin urgentiste Samu agréé pour les visites médicales aéronautiques et moi voué à subir cette passion que je ne partageais pas.
C’est lui qui m’a informé peu après que Jacques avait un cancer en phase avancé et que sa survie n’était que de quelques mois. Nous avons longuement discuté pour savoir si cela aurait pu avoir un rôle même indirect sur l’accident? Le docteur Gallon pense que les gens qui savent que leur vie sera abrégée ont tendance a avoir un comportement inconscient plus suicidaire. Aurait il poussé ma femme à ce décollage improbable que tous à l’aéro-club de Courchevel déconseillaient fortement ? Est-ce la raison qui l’a poussé à donner ce très mauvais conseil de décoller pleins volets ? Certes, pleins volets, c’est un décollage à plus faible vitesse, mais c’est aussi l’assurance d’une traînée beaucoup plus élevée.
Quand j’ai reçu ce SMS rassurant, il s’était déjà passé beaucoup de choses fortes inquiétantes et qui auraient dû prévenir et empêcher ma femme de redécoller. L’a-t-elle fait sous la pression de Jacques ? Celui-ci l’aurait-il dans une certaine euphorie, mal conseillée? Gallon me dit qu’il est souvent obligé de prescrire des médicaments antidépresseurs aux cancéreux pour favoriser une meilleur combativité dans leur lutte pour guérir ou survivre. Ces médicaments euphorisants auraient-ils poussé Jacques à la faute par une vision trop optimiste de la situation?
Christelle avait soigneusement préparé sa route la veille, je savais d’expérience qu’elle avait aussi fait une étude extrêmement soignée de la météo. Combien de fois avait-elle renoncé à partir par des conditions qu’elle jugeait moyennes ! Et elle était donc partie ce matin pour ce vol de quatre heures de Lyon Bron LFLY, puis un transit vertical Saint-Ex.
LFLL, route plein Est et cheminement vers l’Alpe d’Huez, son altiport largement déneigé, une pose des roues, une accélération plein pot pour que l’avion arrive en haut, demi-tour sur la plate forme de stationnement, un décollage ultra court dans cette pente aiguë et un nouveau cheminement par les vallées de ces Alpes somptueuses en direction de Courchevel. Le temps sur les Alpes est Cavok, c’est-à-dire parfait pour la navigation à vue et le pilotage, pas de nuages bas, pas de vents forts, une visibilité parfaite, idéal pour ce voyage destiné à se poser sur deux altiports différents pour renouveler sa qualif montagne. Voila presque deux heures que Jacques et Christelle sont dans ce petit avion confortable mais néanmoins bruyant. Ma femme me l’a toujours dit: un vol de quelques heures est très fatigant: le bruit, les vibrations, la tension nerveuse, l’attention toujours soutenue qu’aucun moment de détente ne coupe, rendent épuisant ces vols de moyenne durée.
Et c’est la surprise, l’arrivée en vue de la piste de Courchevel et voici la piste couverte de neige. On doit se poser sur un altiport et non une altisurface enneigée. On a volé pour un renouvellement de qualif roues et non une qualif skis. L’avion est un Robin 180cv ultra classique, bien entendu non équipé de skis, jamais on n’avait pensé que Courchevel ne serait pas dégagé. Jacques qui s’est souvent posé à Courchevel n’a jamais vu la piste avec de la neige. Et en octobre qui y aurait pensé. A-t-on négligé le Metar de Courchevel LFLJ ?
Merde, qu’est ce qu’on fait? Un retour sur Lyon et c’est une qualif à refaire, car la pose sur un seul altiport ne donnera pas droit à un renouvellement. Il faut se poser sur deux altiports différents lors d’un même voyage, c’est la règle et la règle, jamais un pilote n’y dérogera.
L’avion n’est bien entendu pas équipé pour la neige. Non ce n’est pas une blague, certains avions peuvent être équipés de skis supplémentaires sur les trois roues qui se déploient après une manœuvre simple commandées depuis le cockpit. Mais ce n’est pas le cas sur ce Robin HCIM. Jacques mets la pression : vas-y, pose toi, on n’est pas venus pour rien, de toute façon la neige n’est pas très épaisse. Difficile d’en juger quand on est à 1500 pieds de hauteur! Et Christelle aura son adrénaline, l’atterrissage se passe bien, trop bien même car l’avion n’arrive pas jusqu’en haut de cette piste qui a la pente la plus forte de tous les altiports du monde. On tire au maximum sur toute la puissance des 180cv mais rien n’y fait. Une pente de 20% et déjà cette neige qui a su prévenir sans traîtrise nos deux pilotes qu’elle est bien là, bien réelle, bien présente et qu’elle ralentit prodigieusement le roulement.
Bon on met les freins de parking et les cales, on monte à pied jusqu’au club-house et les quelques membres du club tractent le Robin au treuil jusqu’à la plate-forme supérieure. Puis Christelle prend des photos que je retrouverai dans son smartphone, des sourires joyeux et conquérants à l’objectif, des accolades habituelles et quelques mots entre pilotes et membres habités d’une passion commune. Et des échanges banals que le BEA a reconstitués ensuite :
« Oui la neige est tombée cette nuit… »
« Non, on n’a pas eu le temps de déneiger car notre chenillard est momentanément arrêté….. »
« Mais les 20 cm de neige semble être en train de fondre sous ce soleil printanier….. »
Et Jacques : « Bon Christelle! On tente le retour, tu mets pleins volets, pleins gaz, réchauffe off, richesse max, tu tires sur le manche dès 50 nœuds et ça devrait passer. »
La pression du pilote chevronné est là, on fait confiance, quelques voix timides recommandent d’attendre, mais rien n’y fait. On repart face à cette pente vertigineuse, la pente est là, l’avion accélère puis plus rien.
Gaz à fond, le moteur hurle ses 180 chevaux, mais la vitesse n’augmente plus, 40 noeuds, 44 noeuds, 45 noeuds et c’est tout, plus rien à faire. La neige freine désespérément les petites roues. Le bout de la très courte piste est rapidement là, les trois roues toujours au sol malgré un manche violemment tiré en arrière, c’est le décrochage et la plongée dans ce ravin au bout de la piste, l’avion incontrôlable va se fracasser plus loin dans les sapins et contre la roche de Courchevel.
Elle est morte à cause de ce sombre crétin, au lieu de vivre aujourd’hui avec moi.
Maudit Jacques.
Nouvelle basée sur un accident réel, les prénoms ont été changés.
Fin
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Le thème :
– « Elle reprit le contrôle juste avant que les roues ne touchent le sol. Leur mission était, certes, remplie. Mais à quel prix ! »
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Palmarès :
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Courch, maudite neige !
La nouvelle copie tellement le rapport et les articles de presse parus à l'époque que l'anonymat des victimes (dont seul le prénom semble avoir été changé) qu'elle en devient irrespectueuse (et peu imaginative).
Courch, maudite neige !
On imagine la rage et le courage qui ont tenu le stylo (ou plutôt frappé le clavier).
Plus lapidaire est la version BEA qu'une simple recherche m'a permis de trouver :
https://www.bea.aero/docspa/2010/f-im101027/pdf/f-im101027.pdf
Je me permettrai cependant de proposer à l'auteur une vision de l'aviation qu'il ne semble pas partager avec la victime de cet accident. La pratique de l'aviation légère n'est pas une recherche d'adrénaline ou ne devrait pas l'être. Si l'on veut parler de molécule, c'est plutôt de sérotonine qu'il s'agit. On peut simplement aimer voler, aimer les avions et leur histoire. Oui, on peut voler simplement parce que ça rend heureux (et c'est sans doute très difficile à entendre pour quelqu'un qui a perdu le bonheur à cause d'un avion).