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Survol

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Aerobuzz

La mission était simple. Survol à basse altitude de deux canyons, largage de matériel pendant qu’Éric, son passager du jour, ferait quelques relevés topographiques. Enfin, retour à la base avant la tombée du jour. Avec un plan de vol soigneusement établi, et après des centaines d’heures d’entraînement intensif, cela n’aurait dû poser aucun problème à Chloé, une pilote chevronnée.

Elle avait cependant ressenti une certaine appréhension ce matin en enfilant sa combinaison marron claire. À vrai dire c’est lorsqu’elle glissa sa main droite dans son gant que son estomac avait commencé à se serrer. Rien de bien sérieux, elle avait déjà dirigé des missions plus complexes, plus dangereuses, mais tout de même, son corps lui faisait savoir qu’elle n’était pas parfaitement rassurée. Ce n’était pas un exercice, et encore moins une sortie de routine. Une fois équipée elle fit un dernier tour de l’appareil, comme d’habitude, salua Éric alors qu’il la rejoignait à bord et alla prendre place dans le cockpit pour les dernières vérifications avant le début de la procédure. La communication radio avec le reste de l’équipe ne serait maintenue qu’au tout début du vol et il valait donc mieux s’assurer que tout était en ordre avant de démarrer. Le cockpit était étroit, et les panneaux de contrôle extrêmement denses. Étonnamment, se retrouver assise face à tous ces boutons, à tous ces instruments et à leur cryptiques cadrans l’apaisa. Elle était en terrain connu, sur le bout des doigts. C’est d’ailleurs ce qu’elle faisait, comme un rituel, promener le bout de ses doigts sur les commandes tout en gardant les yeux clos, ultime moment de concentration.
Les premières minutes de vol furent calmes. Après s’être assurée que l’appareil était parfaitement stable et qu’ils étaient sur la bonne trajectoire elle bascula son système de communication en mode interne et parla à Éric.

– Tout se passe bien derrière ?
– Parfaitement. Je démarre les appareils et je vais débuter les calibrations d’ici cinq minutes, comme prévu.
– OK.

Cinq minutes c’est tout ce qu’il a fallu à la tempête pour se lever, s’amplifier et dresser un énorme mur opaque face à eux. En un rien de temps ils se retrouvèrent enfermés dans un violent tourbillon de poussière, chaque bourrasque martelant la carlingue et faisant dangereusement osciller les ailes en polymère. L’imagerie était impossible désormais. Penser à l’imagerie ramena Éric à la surface de son esprit.

– Éric ? Toujours entier ? l’interrogea-t-elle.
– Entier, oui. Mais ma cheville est brisée, répondit-il, les dents serrées.
– Merde ! s’exclama-t-elle en tournant instinctivement et inutilement la tête vers lui,
– Ça n’a pas l’air trop grave mais marcher est douloureux, tenta-t-il de la rassurer.

Il fallait qu’elle garde toute son attention sur la stabilisation de l’appareil. Les hautes montagnes qui entouraient leur trajectoire perturbaient très certainement les courants, et elle était déjà suffisamment basse pour risquer une collision. Un des écrans de contrôle profita de ce moment pour lui rappeler qu’elle s’approchait de la zone de largage. Cet équipement serait critique pour les prochaines équipes et ne pas le déposer impliquerait non seulement un délai mais aussi de devoir reprogrammer cette même mission. Ajoutant cette information à toutes celles qu’elle devait analyser, elle poursuivit son évaluation de la situation. Il fallait larguer le matériel. Non seulement elle accomplissait ainsi la mission mais cela allait aussi alléger l’avion. Il lui fallait donc s’aligner avec le canyon, le survoler à basse altitude et parachuter le colis. Elle allait avoir besoin d’Éric pour le préparer.

– Tu crois pouvoir préparer le largage ? demanda-t-elle
– Tu veux continuer la mission dans cette tempête ? s’étonna-t-il.
– Oui, nous serons plus légers, nous pourrons plus facilement reprendre de l’altitude, expliqua-t-elle.
– OK. Je vais voir ce que je peux faire. Je me suis bricolé une attelle ça devrait aller.

Il n’y avait que peu de choses à préparer, la plupart des détails ayant été réglés avant le décollage. Il lui fallait principalement allumer l’altimètre et vérifier les parachutes. Une fois certain que tout était en place il reprit contact avec Chloé.

– C’est bon, tout est prêt.
– OK. Arrime toi bien, j’ouvre le sas.

Une simple pression sur un des boutons du panneau de contrôle à sa droite et la première porte du sas s’ouvrit, laissant les quelques centaines de kilos d’équipement descendre à l’étage inférieur. En moins d’une minute la caisse était totalement engloutie et la porte du sas se referma dans un bruit sourd.

Ils étaient désormais très proches de la zone. Du moins c’est ce que les instruments indiquaient, le nuage de poussière plus dense que jamais empêchant tout contrôle visuel. Les ailes comme la carlingue étaient constamment bombardés de petits débris. Si le fuselage devait pouvoir résister sans trop de risque, il n’en était pas de même pour les vastes ailes, beaucoup plus légères et dont la grande surface était un point faible. Il fallait se sortir de cette tempête le plus vite possible. Se concentrant sur ses instruments, Chloé s’aligna du mieux possible sur le grand axe du canyon, et, au moment du survol de la zone de largage, déclencha l’ouverture du sas. La différence de poids se fit immédiatement sentir et elle entama alors un large cercle, pour faire demi-tour. Il fallait néanmoins laisser le temps au parachute de descendre, pour ne pas risquer de perturber sa trajectoire. Il était probable que le vent allait rendre sa descente plus brutale que prévu mais la caisse avait été conçue pour supporter de tels chocs et des amortisseurs gonflables se déploieraient automatiquement à l’approche du sol. Impossible de toute façon de contrôler sa descente, il avait été immédiatement englouti par les tourbillons de poussière.

Le demi-tour s’annonçait plutôt bien et Chloé avait même réussi à reprendre un peu d’altitude. Elle gardait néanmoins toute sa concentration. Il fallait se sortir de là le plus vite possible et rejoindre la base. Elle essayait de les contacter par radio mais ils étaient toujours hors de portée. Les vibrations de l’appareil étaient exténuantes, et elle pouvait sentir l’intégralité de son corps tendu, vers cet objectif, pas si lointain mais encore hors d’atteinte. Avoir repris un peu d’altitude la rassurait mais les oscillations des ailes continuaient de la rendre nerveuse. En tournant son regard vers l’aile gauche elle se rendit compte qu’elle avait été percée par un débris. C’était ce qu’elle redoutait le plus. Maintenant ce n’était plus qu’une question de temps avant qu’une fissure ne se propage dans le polymère, détruisant complètement l’aile. Après avoir pris une grande inspiration pour éviter de se laisser envahir par la panique elle décida de débuter une descente. En cas de besoin elle pourrait plus rapidement se poser en urgence.

– Éric ! J’ai besoin que tu surveilles l’aile gauche. Elle est endommagée, informa-t-elle son équipier.
– Foutu polymère ! Je savais qu’il n’était pas assez résistant. Léger oui, mais trop fragile, je leur avais bien dit, grogna-t-il en se rapprochant de l’unique hublot à l’arrière.
– Tu râleras plus tard, pour le moment restons concentrés.

Si elle voulait tant abréger la conversation c’est parce qu’elle venait d’apercevoir de la lumière. Une lumière non filtrée par des mètres de poussière rouge. Sans doute la fin de la zone de tempête. Loin d’être détendue pour autant elle se tenait prête à encaisser le choc qui ne manquerait pas d’accompagner le brusque changement de pression.

La transition fut en effet mouvementée, autant pour elle que pour Éric qu’elle put entendre crier de douleur lorsqu’il fut brinquebaler d’un côté à l’autre de l’avion. Quelques instants plus tard il reprenait son poste d’observation.

– Une fracture s’est formée. Ça n’a pas l’air joli, lui dit-il.

La prochaine décision à prendre n’était pas aisée. Se poser, mais comment rejoindre la base surtout avec une cheville cassée ? Continuer mais risquer de s’écraser en cas de dislocation de l’aile ? C’était sans doute une des situations les plus délicates que Chloé ait eu à affronter. C’est à se moment qu’une voix inattendue se fit entendre.

– Déjà de retour les enfants ?
– Peter ? demanda Chloé.
– Lui-même, à son poste devant le radar, continua-t-il d’une voix enjouée.
– On a été pris dans une tempête, Éric est blessé, l’aile gauche fracturée. Je vais me poser en urgence, envoie une équipe nous chercher, débita-t-elle d’une seule traite.
– OK ! J’ai votre position. Si tu peux descendre lentement en changeant de cap d’environ quinze degrés tu devrais trouver une large zone peu accidentée, la guida-t-il en ayant repris instantanément tout son sérieux.
– Je vais voir ce que je peux faire.
– On dirait qu’on a de la chance, nota Éric.
– On va voir.

Chloé était soulagée. Elle amorça la descente. L’aile était très endommagée, l’appareil extrêmement instable. Elle pouvait voir le sol approcher et espérait pouvoir se poser correctement sans pouvoir encore le garantir. L’avion était désormais hors de contrôle, vibrant de toute part, oscillant dangereusement de droite à gauche. Si l’aile se disloquait maintenant s’en était fini d’eux. Ils seraient soit carbonisés soit asphyxiés, loin de chez eux, loin de tout espoir de secours. Un profond soupir était tout ce qu’elle pouvait utiliser pour chasser ces sombres pensées.

Elle reprit le contrôle juste avant que les roues ne touchent le sol. Leur mission était, certes, remplie. Mais à quel prix ! L’avion était détruit, inutilisable. Éric, blessé, allait mettre des semaines à se rétablir. Elle laissa son regard errer sur ce sol rouge, désertique, s’étendant à perte de vue, à peine séparé du ciel orangé par un horizon rocailleux. Un tout petit et pâle soleil prodiguait juste assez de lumière pour qu’elle puisse distinguer le petit nuage de poussière que formaient les buggys de l’équipe qui venait les chercher. Elle savait que ce qu’elle accomplissait ici, sur Mars, était d’une importance fondamentale pour l’humanité. Après huit mois de trajet et six mois passés à établir une base ils commençaient à peine à explorer la planète. L’avion était ce qu’il y avait de mieux, permettant de se déplacer plus rapidement, en ligne droite, malgré les multiples montagnes et canyons sculptés sur cette surface rocheuse et inhospitalière. Un moyen de transport idéal et fournissant par la même occasion des observations inédites et vitales. Mais l’atmosphère est si fine que voler est extrêmement délicat. Elle savait tout ça, elle s’y était entraînée, sur Terre. La réalité était cependant encore plus coriace que ce à quoi elle avait été préparée. Ni elle, ni le reste de l’équipe n’était au bout de leurs peines. Inutile donc de s’apitoyer sur cet incident de parcours, il fallait déjà réfléchir au prochain survol.

Fin

Le Prix 2016 Mode d’Emploi

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Le thème :
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