C’était un mois de novembre ordinaire. Les rayons apaisants du soleil automnal avaient laissé place à un lugubre manteau de brume qui enveloppait la campagne environnante. La faune sauvage entamait son hibernation et il était rare à présent de croiser une biche ou un chevreuil au détour de la route.
D’une fenêtre de la salle des professeurs, Fanny observait des pigeons qui picoraient des miettes abandonnées dans la cour déserte. Elle se rappela avoir aperçu quelques faisans en se rendant à la commémoration du onze novembre. Elle frissonnait au souvenir de l’épais brouillard dont les fines gouttelettes avaient orné les parapluies, les parant de mille diamants. Le maire du village avait déposé une gerbe de fleurs, aux couleurs fades, emprisonnées dans un carcan de soie tricolore, puis l’assemblée avait écouté, l’air grave, les lèvres scellées, l’hymne de ralliement, avant de se retirer dans la salle des fêtes, qui n’avait désormais de festif que le nom qu’elle portait.
« Mme Réa, vous sentez-vous bien? s’enquit une voix masculine.
– Quelle surprise! s’écria Fanny en se tournant vers son interlocuteur. Je ne vous avais pas entendu entrer! Voilà donc un survivant des maux hivernaux qui vient me tenir compagnie!
C’était Jude, un collègue qui venait juste d’arriver.
– Quelle drôle de remarque! Que vous arrive-t-il? Vous paraissez maussade.
– Voilà treize ans que je fais ce métier avec passion mais il a tellement évolué qu’il ne correspond plus à mes valeurs.
– C’est le cas pour beaucoup d’entre nous.
– Oui, mais le ministère nous donne pour mission de préparer les futurs citoyens de demain. Or, vous savez comme moi qu’il ne s’agit plus de former nos jeunes à la liberté de penser, mais de les formater de telle sorte qu’ils respectent le cadre rigide et froid d’un tableau d’horreurs et de peur.
– Arrêtez! frémit Jude. Que cherchez-vous? Souhaitez-vous être dénoncée?
– Il n’y a pas de caméras ici, rétorqua Fanny, en parcourant du regard le plafond de la salle.
– Il peut y avoir des micros. Ressaisissez-vous! Vous ne pouvez pas tenir ce discours. Vous faites partie du système.
La sonnerie marquant le début des cours de l’après-midi retentit.
– Je vous prie d’excuser mes propos. Je ne sais pas où j’ai la tête par moment. Je me sens si impuissante face à la situation. Je n’arrive pas à m’adapter.
– Il va pourtant le falloir. Vous êtes un maillon essentiel de la chaîne. »
Chargée d’une pile de documents, elle sortit et se fraya un chemin dans le couloir à travers une foule de jeunes plantés au milieu ou adossés aux murs comme à travers une forêt laissée à l’abandon et jonchée d’arbres morts. Elle fit signe à un groupe d’élèves de la suivre jusqu’à la salle de classe et ils s’y installèrent sous le regard fixe des caméras de surveillance.
« Madame, est-ce vrai ce qui se raconte depuis ce matin? Il paraîtrait que Killian des 3e1 et son frère sont morts dans l’attentat du Capitole?
– Oui, malheureusement. L’information a été confirmée hier soir. La direction a organisé une minute de silence pour leur rendre hommage à 13h.
– Parce que vous croyez que ça va les faire revenir? Qu’ils vont se sentir mieux où qu’ils soient? fulmina un garçon du fond de la salle.
– Non, c’est certain, mais il est de notre devoir de leur rendre hommage et… »
Elle n’en pouvait plus de ces formules toutes faites qu’elle servait à ses élèves comme un automate. Son sentiment de culpabilité était si fort qu’il coupait court à tout.
Fanny rentra chez elle bien avant la tombée de la nuit, posa machinalement ses clefs dans le pot et ses chaussures sous le meuble de l’entrée. Dans le couloir qui menait au salon, elle marqua une pause devant le portrait de son mari. Il lui souriait. Sa petite moustache lui donnait un air enjoué. Elle amena à son visage son polo fétiche et inspira profondément. Malgré les années, elle se persuadait de croire qu’il portait toujours son odeur. Elle ne pouvait quitter la photo des yeux. Jamais il ne se serait plié à une telle censure. Il l’avait annoncé et elle ne l’avait pas cru. Elle lui avait même ri au nez lorsqu’il avait insisté et elle avait clos le sujet en le traitant de paranoïaque. Même si cette guerre sournoise se terminait un jour, jamais elle ne pourrait oublier les attentats, toujours plus nombreux, toujours plus violents avec leur nombre croissant de victimes. Rémi était l’une d’elles. Et Fanny? N’étaient-ils pas tous des dommages collatéraux de ces atrocités?
Dans la soirée, un bruit dans l’entrée retint son attention. Elle posa son livre et s’approcha à pas feutrés dans l’obscurité. Elle distingua une tache blanche sur le sol. Elle s’empressa de vérifier que la porte était verrouillée puis s’accroupit. C’était une enveloppe. L’heure du couvre-feu étant passée, il fallait que son contenu soit capital pour qu’un individu prenne le risque d’être arrêté dans le seul but de déposer une missive. La curiosité et l’angoisse la saisirent. Devait-elle l’ouvrir ou bien la jeter et faire comme si rien ne s’était passé? Elle eut l’impression de tenir entre ses mains la boîte de Pandore. Sa vie allait-elle basculer dans la clandestinité? N’était-ce pas ce qu’elle attendait secrètement?
Maladroitement, ses doigts décachetèrent le pli. Il s’agissait d’un rendez-vous. Prise d’angoisse, elle s’empressa de brûler le message dans la cuisine. Elle passa de longues heures à réfléchir. Que devait-elle faire? Malgré son envie de liberté et de choix assumés, elle redoutait de quitter l’enclos pour se rendre dans la forêt. Qui l’attendait? Pourquoi?
Le moment venu, tout de noir vêtue, elle ouvrit avec précaution la porte d’entrée. Dans l’entrebâillement, elle vit qu’il faisait encore nuit. Les lampadaires éclairaient la ruelle. Elle sentit la fraîcheur de la nuit sur son visage et cette sensation raviva ses sens. Après un coup d’oeil furtif de part et d’autre, elle sortit prestement.
Elle marcha d’un bon pas jusqu’à la rue Rabelais qui lui permit de sortir de la vieille ville sans emprunter l’escalier monumental, bien trop à découvert. Elle évita également le pont du Prieuré et franchit le Gers par le passage Saint-Pierre. Sur les quais, elle sentit l’odeur d’une cigarette fraîchement grillée. Elle se faufila entre deux voitures et attendit quelques minutes. Elle arriva avec un peu d’avance au jardin Ortholan et rejoignit l’aire de jeux qui était encore plongée dans l’obscurité. Un combat de chats faillit lui faire rebrousser chemin. Peu rassurée, elle attendit dans les ténèbres, grelottante, jusqu’à ce qu’elle perçoive un bruit de pas feutré sur le revêtement caoutchouteux. A travers la pénombre, elle distingua les traits familier de son collègue.
« Je suis heureux de vous voir, avoua-t-il en s’asseyant à ses côtés.
– Je ne sais pas si je dois en dire autant.
– Désolé pour la mise en scène, mais c’est pour notre sécurité. Nous sommes bien plus surveillés que vous ne le pensez. Votre portable, votre ordinateur, vos cartes de crédit, même vos consommations d’eau et d’électricité sont analysées en permanence. Comme vous le savez, la France est divisée: certains commettent des attentats, d’autres ont mis en place une surveillance accrue pour arrêter les terroristes, la majeur partie de la population est paralysée par les deux premiers et il reste un dernier groupe qui souhaite intervenir pour arrêter les actes de violence mais pas en suivant la politique actuelle qui crée une société de moutons livrés en pâture aux loups.
– J’appartiens à la dernière catégorie?
– C’est évident. »
La peur paralysa sa bouche, alors que ses jambes se mirent à trembler malgré ses efforts pour les contenir. Était-elle un mouton? Avait-elle le cran de mettre sa vie et son confort en péril?
Jude devina ce que cachait son silence.
« Vous ne pouvez plus faire marche arrière. Ils sont déjà à vos trousses.
– Pardon?
– Je vous ai donné rendez-vous parce que nos services ont reçu l’information. Je ne sais pas qui vous a dénoncée, mais les renseignements territoriaux ont prévu de perquisitionner votre domicile et de vous arrêter dans moins d’une heure.
Fanny se sentit défaillir.
– Vous avez le choix entre vous joindre à notre cause ou être internée dans un de leurs centres.
– Ce n’est pas ce que j’appelle un choix. Quelles sont les conditions? »
Après avoir discuté brièvement des détails de la mission, elle accepta sans hésiter. Ils se rendirent à pied jusqu’à la gare où une voiture les attendait. Le chauffeur les installa à l’arrière et ils démarrèrent.
« Nous n’allons pas à l’aéroport?” demanda-t-elle déconcertée.
– Entre les allées et venues des employés, les caméras de surveillance et le contrôle de l’espace aérien par la tour, c’est trop risqué. »
C’était tellement évident que Fanny se vexa d’avoir posé cette question. L’aéroport devait être bien plus vaste que dans ses souvenirs. Elle n’eut qu’une description partielle du réseau, mais il lui sembla suffisamment développé pour permettre une action sur tout le territoire. Les gens simples, pris en étau entre un système répressif et des groupes terroristes, s’alliaient en une complexe organisation.
Ils arrivèrent à l’aube devant les bâtiments d’un aérodrome de campagne.
« Où sommes-nous?
– A Gimont. Enfin, au lieu-dit Grateloube.
– Je croyais que ce projet avait été abandonné pour un problème d’urbanisme?
– C’est exact, mais depuis 2015 de nombreuses lois et codes ont été modifiés. D’autre part, l’aérodrome nous sert de base centrale dans le département. »
Ils approchèrent de l’appareil.
« C’est un Pilatus PC12-45e de 2010. Un vrai bijou, capable de décoller sur des pistes sommaires et courtes, d’une autonomie moyenne de 2900 km.
– C’est plus qu’il nous en faut! renchérit Fanny en souriant. Je connais cet appareil mieux que ma propre voiture! Je pensais ne plus jamais en piloter. »
Fanny se sentait comme une enfant à qui ses parents avaient promis un tour de manège. Jude la précéda et ouvrit l’appareil. Elle le trouva très séduisant avec son eau de toilette musquée et sa petite moustache à l’anglaise.
La jeune femme n’eut aucune difficulté à trouver l’ECU et mit le moteur en route. Jude s’installa à ses côtés. Elle termina sa check-list en début de piste, prête à lancer l’appareil.
« Avez-vous pensé à couper le transpondeur? Je ne tiens pas à ce qu’on nous repère.
– Nous volerons sans identifiant, mais les radars primaires vont nous détecter. »
Fanny lança le moteur à la puissance maximale et l’avion s’élança sur la piste. L’appréhension lui nouait les tripes. Plus de dix ans qu’elle n’avait pas été aux commandes. La piste était fidèle à ses attentes: l’appareil faisait des embardées au gré des irrégularités du sol. Elle tira sur le manche et les roues quittèrent la terre ferme. Elle ne dit rien, mais intérieurement elle jubilait. Elle avait accepté la mission sans savoir si elle réussirait à faire décoller l’avion et à présent elle croisait le sillage des oiseaux, ses fidèles compagnons du ciel. Le train rentré, elle poursuivit son ascension en douceur, puis rentra les volets et stabilisa l’appareil. Le soleil lui aussi venait de commencer sa course quotidienne et illuminait l’horizon de sa chaleur céleste. Le paysage se dévoilait progressivement pour laisser voir ses vastes étendues de champs et de forêts. Les passagers du Pilatus pouvaient à présent se délecter des Pyrénées qui s’offraient déjà blanches et majestueuses à leur regard. Fanny se rappelait de tous les sens du mot « liberté ». Elle se sentait enfin libre, aérienne, grisée par l’altitude et l’allégresse.
Ils se posèrent sans encombre sur la piste sommaire de l’aéroport de Carcassonne. Elle reconnut au loin l’ancien bâtiment où Rémi et elle s’étaient rendu un jour de juin. Aujourd’hui était également à marquer d’une pierre blanche: quelques heures de bonheur pour un souvenir éternel. Jude descendit de la carlingue récupérer ce pourquoi ils étaient venus tandis qu’elle surveillait les alentours. Il fut bref, referma la porte et s’installa. Fanny remarqua la boîte en métal carrée qu’il posa sur ses genoux.
« Foncez. Il faut que nous partions de là. » Sa voix était entrecoupée. Elle comprit que quelque chose ne se déroulait pas comme prévu. Les sens en alerte, elle se positionna sur la piste et décolla.
« Ils nous attendaient.
– Qui donc? s’inquiéta-t-elle.
– Les renseignements territoriaux.
– Comment le savez-vous? Je n’ai rien remarqué. Elle le dévisagea. Il était blême, son visage ruisselant de sueur. Il compressait de sa main le côté droit de son abdomen et des interstices de ses doigts s’échappait un flot de sang pourpre.
– Mais qu’est-ce que…? Elle n’arrivait pas à formuler sa question tant les émotions étranglaient ses mots.
– Ils m’ont attaqué.
– Mais, je n’ai rien vu ni entendu! Que peut-on faire?
– Rien. »
Ce dernier mot était si inconcevable à Fanny qu’elle faillit en perdre le contrôle.
« Vous vous trompez. Il y a sûrement une solution.
– Fanny, je sais de quoi je parle… Mon foie est touché. L’hémorragie est abondante… je serai mort avant que l’avion ne touche le sol.
– Non, ce n’est pas réel, tentait de se persuader Fanny.
– J’en ai bien peur. Fanny, écoutez: s’ils nous ont trouvé à Carcassonne, c’est qu’ils connaissaient notre point de départ… c’est là qu’ils vous attendront… Faites ce qu’ils attendent de vous… surtout rappellez-vous… vous avez le droit… le devoir d’être libre… Ne les laissez pas vous… manipuler.
– Taisez-vous. Vous devez garder espoir.
– C’est peine perdue… Soyez forte… Mon sacrifice… ne doit pas… être vain… »
Fanny n’arrivait plus à voir l’horizon tant ses larmes lui troublaient la vue. Ce collègue si étranger et finalement si proche d’elle était mort. Jude était mort.
Une alarme retentit. Un message « Fuel Low Level » s’afficha sur l’écran principal. Le réservoir était à sec. Comment était-ce possible? Elle pensa à une panne du capteur mais le moteur commença à avoir des ratés. Elle n’était qu’à quelques miles nautiques de la piste de Gimont. Elle pouvait l’apercevoir par les vitres du cockpit. Il allait falloir planer pendant toute l’approche et ne pas se rater. Il y avait trop végétation pour espérer se poser avant. Elle s’assura de garder les ailes horizontales en surveillant l’assiette. A l’approche de la piste, elle sortit les volets et le train pour ralentir l’avion mais sans descendre en dessous de la vitesse de décrochage. Elle n’était plus qu’à quelques mètres du sol. Une deuxième alarme retentit, l’appareil allait partir en vrille. Il n’était pas stabilisé, la ligne d’horizon tanguait comme si elle se trouvait sur une barque au milieu d’une mer déchaînée. Les mains crispées sur le manche, elle ne savait plus si elle devait prier ou en finir. Elle reprit le contrôle juste avant que les roues ne touchent le sol.
Leur mission était, certes, remplie. Mais à quel prix! Elle eut beau appliquer les freins, l’avion sortit en bout de piste et fut stoppé par un talus. Ils avaient réussi… elle avait réussi: Jude n’était plus qu’un pantin désarticulé retenu par son harnais. La boîte était tombée et gisait à ses pieds sur la moquette tachée de sang. Fanny se détacha et la saisit. Que pouvait-elle bien contenir qui mérite qu’ils sacrifient leur vie? Elle s’apprêtait à l’ouvrir lorsqu’elle vit deux policiers la tenir en joue à travers les vitres du cockpit. Elle leva les mains en évidence au-dessus de sa tête, se rappelant des derniers mots de Jude.
Elle fut amenée dans une salle d’interrogatoire exiguë et aseptisée, éclairée par un éclairage au néon. Plusieurs heures passèrent sans qu’elle ne vît personne. Menottée à une table, souffrant des variations d’un des tubes défectueux, elle laissait son esprit imaginer le pire traitement que les renseignements territoriaux puissent administrer à une traîtresse. Il n’était plus question de présomption, elle leur avait offert des preuves irréfutables. Alors qu’elle se sentait prête à avouer n’importe quel crime qu’ils souhaiteraient lui faire endosser, une femme et deux hommes entrèrent et prirent place face à elle. Ils posèrent de nombreux dossiers devant eux. La véracité des propos de Jude se vérifiait: tout son passé, ses moindres faits et gestes devaient être retranscrits, déformés et amplifiés dans ces liasses de feuilles.
« Madame, sachez que l’entretien est enregistré. » déclara la femme en posant un petit appareil noir à ses côtés. Comme s’ils voulaient me faire croire que nous ne sommes pas surveillés au quotidien, grommela Fanny.
« Comment vous appelez-vous? questionna l’homme en costume.
– Vous devez l’avoir griffonné dans tout ce fatras, répliqua-t-elle.
– Répondez à la question! ordonna celui à la chemise grise.
Fanny n’avait aucune envie de rentrer dans leur jeu, mais les dernières paroles de Jude la firent fléchir.
– Je m’appelle Fanny Réa.
– Êtes-vous mariée?
– Oui, à Rémi Fayer.
– Avez-vous gardé votre nom de jeune fille? Vous avez déclaré vous appeler Fanny Réa.
Fanny resta perplexe. Que cherchaient-ils?
– Que faisiez-vous juste avant votre arrestation?
– Je rendais service à un collègue, expliqua-elle les larmes aux yeux. Il m’avait demandé de l’amener en avion à Carcassonne pour… Elle sentait qu’elle en disait trop.
– Pour récupérer ceci? demanda l’homme en costume en posant la boîte sur la table.
Fanny détourna le regard.
– Pourriez-vous nous parler de votre collègue? demanda la femme.
– Il était nouveau au collège, mais nous partagions les mêmes idéaux.
– A quoi ressemblait-il?
– Vous l’avez vu, rétorqua Fanny.
– Non, ce n’est pas nous qui vous avons appréhendé. Nous sommes chargés d’enquêter.
– Il était élégant, grand, brun, avec une petite moustache. Il faisait très anglais. Il avait beaucoup de charme.
– Ne ressemblait-il pas à votre mari?
– Laissez mon mari en dehors de ça! Mon mari est mort! hurla Fanny hors d’elle. Vous avez été incapable de le protéger!Bon sang, il se rendait à un concert!
– Vous souvenez-vous de la date de ce concert?
– Comment l’oublierais-je? C’était le treize novembre 2015.
– Savez-vous quel jour nous sommes?
Fanny ne comprenait pas où ils voulaient en venir. A quoi cela pouvait-il lui servir de connaître la date du jour? L’homme à la chemise grise répondit à sa place.
– Nous sommes le 15 novembre 2026.
– Et alors?
– Reconnaissez-vous cet individu? demanda l’enquêteur en costume en posant devant elle la photographie d’un homme d’une quarantaine d’années.
– Non, je suis désolée.
– Il s’agit de Jude Foster, 37 ans, professeur de biologie au collège Louise Michel de l’Isle Jourdain.
– Non, ce n’est pas possible.
– Nous sommes formels, poursuivit l’homme à la chemise grise. Il a été tué dans l’attentat du Capitole qui a eu lieu ce vendredi.
– Non, tonna Fanny. Il était avec moi ces deux derniers jours. Vos hommes l’ont tué ce matin parce qu’il avait décidé de défendre son pays en homme libre.
Les trois individus échangèrent des regards qui trahissaient de la pitié et du désarroi. La femme prit la parole:
– Madame, la situation n’est pas celle que vous croyez. Je m’appelle Sophie Duclair et je suis psychiatre. Je suis mandatée par le Procureur général du tribunal d’Auch pour clarifier vos motivations.
– Vous allez me persuader de ma folie, c’est ça? Répéter que j’ai tout inventé, afin de m’interner sans esclandre comme tous ces innocents qui ont refusé d’adhérer au système!
– Vous vous méprenez, écoutez-moi.
Fanny ne voulait plus rien entendre. Elle porta ses mains à ses oreilles et commença à se balancer avec autant de violence que d’apaisement.
– Madame, je vous en conjure! Vous vous appelez en réalité Ann Fayer. Vous êtes d’origine anglaise. Vous avez conservé le nom de votre mari, Rémi Fayer, qui est décédé dans les attentats parisiens du 13 novembre 2015.
– Non, c’est impossible. Je m’appelle Fanny Réa, dit-elle entre deux sanglots.
– Votre esprit a créé ce double. Fanny Réa est l’anagramme de Ann Fayer. Vous avez subi un traumatisme en apprenant le décès de votre collègue et ami Jude Foster dans l’attentat du Capitole. Les dates coïncident. Vous étiez déjà fragile et cette douleur a été plus forte que ce que vous pouviez supporter.
– Comment est-il mort?
– Il a reçu une balle dans l’abdomen.
– Je ne peux pas vous croire, se lamenta Fanny.
– Tenez, regardez les documents. Vous vous êtes rendue au collège hier comme si c’était un jour de semaine ordinaire. Depuis le décès de votre mari vous vous êtes investie dans votre travail pour vous protéger et ce lieu représente pour vous un cocon, mais votre esprit vous a fait imaginer un monde parallèle qui n’existe pas!
– Il existe! Comment expliquez-vous les caméras dans toutes les salles? Même chez moi, il y en a dans la cage d’escalier!
– Ce sont des détecteurs de fumée.
– Mensonge! C’est ce qu’on veut nous faire croire! Et le couvre-feu? Les patrouilles?
– C’est votre subconscient qui a associé la tombée de la nuit à un couvre-feu. Trouvez-vous rationnel que dans une ville comme Auch, vous aillez réussi à vous rendre de chez vous au jardin Ortholan sans rencontrer une seule patrouille!?
– Si je ne suis pas surveillée, comment avez-vous eu connaissance de tous mes faits et gestes?
– Nous avons lancé un appel à témoins pour retracer vos deux derniers jours. Vous vous êtes ensuite rendue à la gare où vous êtes montée dans un taxi qui vous a conduit à l’aérodrome de Gimont. Le chauffeur a fait une déposition dans laquelle il relate que vous parliez toute seule. Vous avez volé un PC12 qui y stationnait. On se demande d’ailleurs comment vous avez su couper le transpondeur et faire l’aller-retour indemne!
– Mon mari travaillait comme mécanicien chez JCB Aero. Il avait aussi son brevet.
– Et il vous aurait appris à piloter?
Fanny ne répondit pas. Elle n’était plus là mais dans les cieux avec ses deux amours. Elle pouvait sentir la brise légère d’un matin de printemps et observer au loin la ligne d’horizon.
– Madame Fayer, poursuivit la psychiatre qui tentait tant bien que mal de capter l’attention de Fanny, vous vous êtes mise dans de beaux draps mais nous allons vous aider. Vous n’êtes, à première vue, pas responsable de vos actes et cet entretien plaidera en votre faveur. Un gendarme va vous conduire à votre cellule. »
Fanny se leva et suivit le gendarme jusqu’à sa cellule. Elle s’assit sur le lit sommaire et fixa le mur. Un sourire se dessina sur son visage. Elle avait bien fait d’écouter les conseils de Jude. Il n’était pas mort pour rien. Elle serait disculpée et après une période de soins plus ou moins longue en centre psychiatrique, elle serait libre, libre d’agir.
Sophie Duclair s’apprêtait rentrer chez elle lorsqu’elle interpella l’un des enquêteurs:
« Monsieur Ronsard. Permettez-moi de vous demander: que contenait la boîte?
– Oh, rien de bien important. Un morceau de papier avec une inscription.
– Que disait-elle?
– Rien de bien intéressant. Un mot en lettres capitales.
– lequel?
– LIBERTÉ. »
Fin
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Le thème :
– « Elle reprit le contrôle juste avant que les roues ne touchent le sol. Leur mission était, certes, remplie. Mais à quel prix ! »
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Palmarès :
– Il sera rendu public le 1er octobre 2016 à Gimont (Gers) à l’occasion de la 12ème édition des Rencontres Aéronautiques et Spatiales de Gimont (30 septembre – 2 octobre 2016).
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