Par Frédéric Marsaly
On fait parfois des rencontres marrantes sur Internet. Même sur un malentendu. Prenons par exemple Bertrand qui me contacte un jour pour avoir « des billes » sur la Sécurité Civile : « Je vois les Canadair tous les jours en passant sur le taxiway de Marseille et je n’ai jamais eu l’occasion de les approcher ! » Au fil de la conversation, je découvre qu’il est pilote d’avion-cargo, basé à Marseille.
« Tu voles sur quoi ? »
« Sur ATP ! »
« Haaa ouais, pas fréquent comme bestiole ! »
« Tu connais ?! Si tu passes à Marseille, si tu veux, je t’emmène sur une rotation ! »
Trois mois plus tard, je le rencontrais pour la première fois sur le parking, devant l’aérogare « Aviation Générale » de Marignane. La compagnie de Bertrand assurait alors des liaisons fret quotidiennes au départ de Marseille vers l’Afrique du Nord et la Méditerranée. Le BAe ATP dont la carrière commerciale fut un échec cinglant avait terminé sa carrière de commuter et avait trouvé une nouvelle jeunesse en cargo grâce à sa puissance, son volume et sa robustesse.
Du jump seat où je me sangle j’ai une vue panoramique sur le petit théâtre des opérations et sur un équipage au travail. Ils ont l’habitude de voler ensemble, la compagnie est petite.
Passé la Sardaigne, au large de la Sicile, la silhouette de l’Etna émerge des nuages comme une île improbable, à 19.000 pieds plus bas, un sillage nous laisse songeur, un porte-avions ou un énorme porte-conteneur ?
Quelqu’un parlait du « plus beau bureau du monde »… C’est aussi un « Balcon avec vue imprenable » sublime. Être un simple observateur aujourd’hui m’autorise ce plaisir primaire, celui d’être simplement contemplatif.
Est-ce le plaisir de voler ou simplement celui d’être plus haut que le monde ? Est-ce le plaisir de l’aviateur, de l’avion, ou celui simplement d’être au balcon face au plus beau des paysages, de le regarder sans filtre. Est-ce le pur plaisir contemplatif et empli de curiosité du gamin collé à la fenêtre du train pour voir défiler les villes ? C’est différent de l’avion léger, c’est différent de l’avion de ligne, c’est… entre les deux. Et le temps passe vite à regarder défiler les nuages même s’ils sont peu nombreux aujourd’hui.
Malte approche, nous descendons. Quelques fermes à saumons sont visibles dans les eaux calmes. Au pied des impressionnantes falaises au sud de l’île, une plateforme off-shore est en cours de remorquage. Le paysage est hallucinant, rocailleurs, ocre, sec.
Dernier virage, bien établis sur l’ILS de Luqa, Bertrand nous pose tandis que sur notre gauche je repère les traces encore visibles, pour celui qui sait les voir, de l’ancienne base RAF de Hal Far. Dans le ciel, aucune traînée, George Beurling a rangé son Spitfire depuis longtemps…
Au parking cargo, les équipes vident en un clin d’œil les quelques tonnes de marchandises que nous avons amenées jusqu’ici. Ça discute pour savoir à quelle heure le fret du vol retour nous sera livré. La situation n’a pas l’air très claire. Il faut s’adapter, s’organiser. En milieu d’après-midi, après avoir attendu vainement une livraison, nous repartons à vide avec quelques gueuses dans l’arrière de la soute pour respecter le centrage de l’avion.
On a perdu beaucoup de temps, Cédric a un train à prendre ce soir pour retrouver sa famille en région parisienne lui qui travaille la semaine en célibataire géographique. On a 60kt de vent de face sur le retour, la montre tourne, ça va être tendu !
En pleine nuit alors qu’Ajaccio se dessine sur notre droite, à gauche, loin, au large, un halo lumineux diffus, ce sont peut-être les lumières d’Ibiza. Nous prenons l’alignement de la piste pratiquement à la hauteur de Toulon, les remous du mistral perturbé par l’Estaque nous secouent. Tiens, y’a match ce soir au Vélodrome !
On se pose face au nord. Sur le parking, Cédric fonce pour son train. On ferme l’avion avec Bertrand et les personnels au sol. Son téléphone sonne. Cédric a raté la navette pour Aix, le dernier TGV pour Paris est dans 15 minutes.
Bertrand me largue à une station de bus et fonce récupérer son copilote pour l’amener en urgence à la gare.
Au-delà du plaisir du jump-seat, c’est la réalité d’un métier qui se dévoile, celui des contraintes, des évènements imprévus, des problèmes à résoudre sans attendre. Celui des sacrifices qu’on fait pour exercer sa passion et que les familles payent aussi, des petites « contingences matérielles » qui gâchent la fête !
Le soir à l’hôtel, j’ai du mal à dormir. Les images se succèdent. J’ai passé 3 heures dans un nouveau pays, j’ai surtout vu l’essence même d’un métier, loin du glamour apparent des gallons dorés.
Un SMS tombe. Cédric a attrapé son train de toute extrême justesse. La nuit est belle et j’entends ronfler le Spitfire de Beurling !
Frédéric Marsaly
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Monsieur Frédéric Marsaly, votre récit me transporte tel un roman de St ex. Merci pr le partage et l'écriture