Il aura fallu attendre 28 ans pour connaître la suite de l’album « Les oiseaux noirs » resté en suspend à la page 16 suite au décès de Jean-Michel Charlier, le scénariste de la série Buck Danny. Francis Bergèse a accepté de sortir de sa retraite pour poursuivre cette aventure, dont la fin a été imaginée par le duo de scénaristes Zumbiehl – Buendia. Alors qu’ils se préparaient à partir pour le 44ème festival de bande dessinée Angoulême (26-29 janvier 2017), nous avons rencontré les protagonistes de ce miracle éditorial que les fans de la série n’espéraient plus et qui n’était pas joué d’avance…
Alors que s’ouvre le Festival International de la Bande Dessinée d’Angoulême, pour les grands mordus d’aviation que nous sommes ici, l’événement phare de cette 44e édition est sans conteste le dernier Buck Danny. Et quel Buck Danny !
La frustration du fan n’est plus !
Avant, quand on était un inconditionnel des Buck Danny et qu’on parlait des Oiseaux Noirs, on avait forcément un goût amer dans la bouche, car la BD n’avait jamais été achevée, suite au décès du scénariste Jean-Michel Charlier, en 1989. La frustration des fans venait surtout du fait que les rares planches existantes (1A à 16B) et les scénarios des pages 17 à 23 avaient été publiés en complément d’un double album intitulé « Ennemis intérieurs » (qui regroupait la BD n°44 « Les agresseurs » et la n°45 « Les secrets de la mer Noire »). L’histoire des Oiseaux Noirs, alléchante, plantait un décor au parfum de guerre froide, saupoudré de U-2, de SR-71, et s’arrêtait brutalement en plein milieu du récit. On se sentait totalement dépossédé, comme tiré d’un rêve en sursaut. Mais ça, c’était avant…
Bergèse est remonté en selle
« A qui sait attendre, le temps ouvre ses portes », dit le proverbe. Les lecteurs auront donc attendu 28 longues années pour ouvrir Les Oiseaux Noirs. Disons-le tout de go : si les dessinateurs Formosa et Arroyo ont le trait affûté pour emmener les avions de Danny, Tumbler et Tuckson vers les hautes sphères, qui mieux que Monsieur Francis Bergèse lui-même pouvait dessiner Les Oiseaux Noirs ?
En effet, alors qu’il avait annoncé sa retraite en 2008 après avoir terminé le n°52 « Porté Disparu », Bergèse a ressorti sa table à dessin et s’est remis au travail. Ce n’était pourtant pas gagné, car le dessinateur avait toujours refusé de reprendre cet album puisqu’il ne connaissait pas les tenants et les aboutissants du scénario de Charlier : « Il (Charlier) était déjà très malade quand on a commencé Les Oiseaux Noirs. A un moment, j’ai cru qu’il allait mieux, car il était très productif. La semaine où il est décédé, il m’a même envoyé 7 pages de scénario d’avance ; chose qui n’arrivait jamais. Mais rapidement, je me suis rendu compte que ce que je recevais n’avait plus rien à voir avec l’histoire qu’il m’avait raconté auparavant », explique Francis Bergèse. « C’est pour ça qu’après son décès, j’ai toujours refusé de terminer cette BD. Je m’en sentais complètement incapable et j’ai préféré laisser cette responsabilité à d’autres. Je me suis lâchement effacé », plaisante-t-il.
Zumbiehl et Buendia dans le sillage de Charlier
Ces « autres » sont Frédéric Zumbiehl et Patrice Buendia, à qui ont doit déjà les scénarios des Buck Danny et des Buck Danny « Classic ». A deux, ils ont réussi à trouver un sens au décor déjà planté, ainsi qu’une suite logique et cohérente à l’histoire débutée par Charlier, 28 ans plus tôt.
Mais quand Alexandre Paringaux, le directeur éditorial, a contacté Bergèse pour lui faire part de cette reprise de flambeau, ce n’était pas forcément gagné : « Quand Alexandre m’a contacté et m’a dit qu’ils allaient finir cette BD, je ne pouvais pas laisser quelqu’un d’autre le faire, mais je n’ai pas donné mon accord immédiatement. Avant de prendre une décision, je voulais lire un synopsis détaillé. J’en ai reçu deux qui étaient très bien, et j’en ai choisi un. Si ça ne m’avait pas convenu, je n’aurais jamais dessiné », reconnaît Francis Bergèse.
Si Les Oiseaux Noirs compte trois scénaristes, dont un qui a emporté son secret dans la tombe, la transition entre la page 23, là où s’arrête le scénario de Charlier, et la 24 où débute le nouveau est imperceptible, et il faudrait vraiment être très pointilleux pour noter une différence : « Je connaissais trop Charlier pour être objectif et catégorique, mais je trouve que ça passe tout en douceur. Je pense que les lecteurs n’y verront que du feu. Il faudrait leur demander », confie Bergèse.
Suivre les traces de Charlier : un sacré défi
Si jusqu’ici, Zumbiehl et Buendia avaient excellé pour imaginer des histoires aussi intrigantes que vivantes, imaginez-vous avoir à terminer un Van Gogh ou un Rembrandt achevé à 50%, et vous réaliserez l’ampleur du défi auquel ces deux hommes ont dû faire face : « Ca n’a pas été facile du tout, confie Frédéric Zumbiehl, car ces 23 premières pages étaient une longue mise en place très détaillée, à laquelle Charlier n’avait laissé aucune ligne directrice. L’avantage, c’est que ça nous a laissé carte blanche pour continuer l’histoire, mais la difficulté c’est qu’il fallait se mettre dans un ton qui n’était pas le nôtre pour respecter le style de Charlier ».
Pour ce genre d’exercice de style très complexe, être à deux est aussi un avantage et un inconvénient, car chacun alimente de ses idées la progression du scénario, mais les visions des choses peuvent parfois s’entrechoquer. En ce sens, le duo Zumbiehl-Buendia a formidablement bien fonctionné : « Avec Patrice, après en avoir beaucoup parlé, on a réfléchi chacun de notre côté pour définir deux axes. Ensuite on s’est réuni pour présenter nos travaux respectifs, voire les modifier, afin d’envoyer nos deux synopsis à l’éditeur qui les a transmis à Bergèse. Enfin, on a concentré nos forces sur le scénario retenu. Ça s’est vraiment bien passé car nous avons, Patrice et moi, des qualités différentes qui sont très complémentaires. En tant qu’ancien pilote de chasse, j’ai surtout axé sur la technique aéronautique, et Patrice, lui, sur la partie aventure au sol », explique Frédéric Zumbiehl.
Travailler avec Bergèse, c’est facile !
Créer un scénario de BD est une chose complexe, surtout pour des albums aussi techniques et détaillés que les Buck Danny. A chaque nouvel album, Zumbiehl et Buendia doivent, bien entendu, écrire les dialogues, décrire les ambiances, etc, mais ils doivent aussi donner des indications très précises et faire eux-mêmes de petits dessins pour que les dessinateurs Formosa et Arroyo comprennent leurs visions des choses.
Frédéric Zumbiehl explique brièvement comment on crée une BD aéronautique : « On écrit d’abord un scénario semblable à n’importe quel autre, sauf qu’on doit régulièrement faire de petits schémas : par exemple pour un combat aérien un peu compliqué, on doit dessiner les angles, les trajectoires, etc. Le scénario est ensuite découpé case par case dans un storyboard crayonné par le dessinateur, puis on en discute longuement tous ensemble avec le directeur de collection, on apporte des modifications, on en rediscute, on remet ça à plat et, enfin, quand tout le monde est d’accord, l’encrage et la colorisation sont effectués. ».
Cependant, l’expérience et le savoir-faire de Francis Bergèse sont tels que travailler avec lui a presque été un jeu d’enfants : « Il a travaillé comme à l’époque de Charlier : on a lui envoyé le scénario et on n’a plus eu de nouvelles de sa part pendant plusieurs semaines, jusqu’à ce qu’on reçoive une BD finalisée, parfaitement dessinée et colorisée, bref, prête à être imprimée. Je n’avais jamais vu ça ! On n’a même pas eu besoin de lui envoyer de la documentation. J’étais très impressionné. Francis Bergèse, c’est vraiment « Monsieur Buck Danny » », dit Frédéric Zumbiehl.
C’était la der des ders pour Bergèse
Si vous allez au Festival de BD d’Angoulême, qui se tient jusqu’au 29 janvier 2017, ne ratez surtout pas le stand des éditions Dupuis, car ça sera la dernière fois que vous pourrez y croiser Francis Bergèse, et récolter une de ses précieuses dédicaces croquées. En effet, s’il a tenu à terminer Les Oiseaux Noirs, cette fois, il a bel et bien pris sa retraite et il ne dessinera pas le tome 2 (contrairement à ce qui a été indiqué).
C’est un autre dessinateur qui devra s’acquitter de cette tâche ; un défi tout aussi énorme que fut celui d’achever le scénario de Charlier. Arroyo, Formosa ou quelqu’un d’autre, pour l’heure on ne sait pas qui aura le talent (et le courage) de prendre la relève de ce deuxième opus des Oiseaux Noirs. Les éditions Dupuis-Zéphyr ne souhaitant pas communiquer sur l’identité de cette personne, tout ce qu’on sait, c’est qu’Alexandre Paringaux le fait travailler d’arrache-pied afin que « son » Buck Danny soit le plus fidèle possible à l’original.
Quant à Bergèse, avoir terminé cette BD est, pour lui, le plus bel hommage qu’il pouvait rendre à son ami : « Maintenant que j’ai terminé Les Oiseaux Noirs, j’ai un sentiment de devoir accompli. Je devais vraiment ça à la mémoire de Jean-Michel Charlier », conclut-il.
Acheter en ligne : Buck Danny Hors Série – tome 1 – Les oiseaux noirs 1/2
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Cela ne peut être que grandiose. De tous les albums de Buck ceux de la trilogie de l'Apocalypse, co-réalisée avec Charlier, sont lesquels m'ont le plus marqué. Du B-52G abattu au-dessus de l'Arctique jusqu’à cette planche avec un des Tomcat a couvert sous un DC-10 d'Aeromexico. Tout semblait excellent pour être adaptée a l’écran.