Claude Lelaie raconte de l’intérieur les essais en vol de l’A380

Claude Lelaie a dirigé les essais en vol de l’A380. A travers le récit détaillé de cette phase cruciale du développement du très gros porteur d’Airbus, il signe un véritable traité pratique qui pourrait devenir une référence en la matière.

« Je ne veux pas que les gens croient que ce sont mes mémoires », se défend Claude Lelaie. « C’est l’histoire des essais en vol de l’A380. J’ai pris des notes au jour le jour, dans le feu de l’action, avec l’idée d’écrire un livre pour expliquer précisément ce que sont les essais en vol ». En fait, le travail qu’il a réalisé avec ses collègues sur le super jumbo jet européen, sert de support à Claude Lelaie pour signer un ouvrage de « référence sur les essais en vol ». Il y décrit les différentes techniques mises en œuvre, en illustrant par des exemples précis. Les chapitres coulent avec aisance.

Il en ressort que bien que les pilotes d’essais aient commencé à voler en virtuel sur l’A380, longtemps avant le premier vol (27 avril 2005), et qu’ils aient été associés à la définition de l’appareil, les essais en vol ont revêtu une importance capitale dans la mise au point de l’avion. Aussi fidèle soit-elle, la simulation ne peut pas remplacer 2.000 heures de vol effectuées avec quatre avions d’essais, assure Claude Lelaie. « La mise au point du système d’atterrissage automatique, par exemple, ne peut pas se modéliser en simulateur à cause de l’effet de sol. Un grand partie du travail se fait de manière artisanale, avec l’expérience des uns et des autres ». Et c’est aussi, à ce niveau que réside l’un des intérêt de ce livre, voire l’une des révélations… Le rôle central des hommes et des femmes impliqués dans le programme, qu’ils soient pilotes, ingénieurs, techniciens ou mécaniciens, à l’heure du numérique…

« L’A380 est un avion très confortable aujourd’hui, mais au début il ne l’était pas du tout. Le moindre coup de manche créait des accélérations latérales désagréables, tout particulièrement à l’arrière de l’appareil. Aucun des réglages à notre disposition ne permettait de résoudre les problèmes ». C’est là que les ingénieurs ont eu l’idée d’installer un système de pilotage des ailerons qu’ils ont baptisé « VDA » pour « valse des ailerons ». Sur chaque ailes, les trois ailerons se braquent de manière différentielle dans un ordre précis. « Cette cinématique étrange avait pour but de casser des oscillations de la voilure, car il y en avait deux à des fréquences proches qui pouvaient se coupler », explique Claude Lelaie dans son livre (p.120). « Cette idée brillante des ingénieurs » ne pouvait évidemment pas être modélisée. Elle a du être testée en vol, puis affinée à différentes vitesses au cours de nombreuses heures de vol d’essais.

« Sur un avion nouveau, avant qu’il ne devienne un produit, il y a des milliers de modifications plus ou moins importantes à réaliser. Il y a des cas simples et d’autres qui ont demandé beaucoup de travail ». Le livre regorge d’exemples et c’est ce qui rend passionnant ces 380 pages. « J’ai voulu écrire les choses sans rien cacher. Je n’aurais pas publié ce livre au lendemain de la certification, mais aujourd’hui, la réputation de l’A380 est faite. Je n’ai peut-être pas tout dit, mais ce que je n’ai pas dit n’enlève rien au livre », se défend Claude Lelaie.

Il montre ainsi une photo spectaculaire des trappes du train de voilure arrachées pendant un essai à très grande vitesse. L’auteur n’ose pas imaginer les commentaires de la presse, si cette photo avait été rendue public pendant la campagne d’essais. « Les pros des titres accrocheurs », comme il nomme certains journalistes, se seraient déchaînés en mettant en cause la fiabilité de l’A380. Un chapitre sans concession est d’ailleurs consacré aux médias. Un autre, encore plus édifiant, intitulé « le planning des essais en vol », dévoile les tensions internes à Airbus qui ont régné entre d’un côté Noël Forgeard, PDG d’Airbus puis d’EADS, avec ses adjoints, et de l’autre côté les essais en vol, dès lors que le programme A380 n’est pas parvenu à tenir ses délais. C’est aussi cela la réalité des essais en vol d’un programme aussi ambitieux que celui de l’A380 et Claude Lelaie, la retranscrit avec talent. Ce document fera date.