Il n’est pas le plus connu des dessinateurs de bandes dessinées d’aviation, c’est pourtant lui qui a dessiné le plus grand nombre d’histoires de pilotes héroïques.
Un festival de bande dessinée est un lieu où les lecteurs viennent faire dédicacer des albums par des auteurs assis derrière des tables. Quand on aime la BD, tôt ou tard, il faut y aller. On y rencontre en général deux catégories de dessinateurs. Les moins connus qui tuent le temps en griffonnant un bout de papier ou en buvant un café avec un voisin qui comme lui se demande ce qu’il est venu faire ici et les vedettes qui tracent mécaniquement des dessins sur les pages de garde des albums que leur présentent, avec un infini respect, leurs admirateurs intimidés.
Félix Molinari appartient à la catégorie des dessinateurs à succès qui d’un bout à l’autre du week-end sont assiégés par des lecteurs toujours plus nombreux. Certains auteurs redoutent ces rencontres avec leur public, d’autres les écourtent. Lui les recherche et y prend visiblement un immense plaisir. Ses lecteurs aussi.
Agglutinés autour de sa table, ils le regardent manier ses feutres de couleurs et ils l’écoutent parce que Félix parle autant qu’il dessine. Et ce ne sont pas des paroles en l’air. Il pose ses crayons magiques pour plonger dans l’attaché-case qui ne le quitte jamais. Le temps de trouver une coupure de presse ou une photo écornée qu’il fait circuler dans la foule de ses admirateurs et il reprend son dessin. Alors qu’il colorie son P40, le document passe de mains en mains. Commentaires, questions, anecdotes… Le dialogue s’installe naturellement et le tutoiement s’impose de lui-même au bout de quelques mots échangés. Félix est bavard, mais il sait aussi écouter.
Malgré ses soixante et onze ans, il est toujours partant et c’est en général lui qui fait la fermeture. Le festival se vide, les organisateurs épuisés par deux jours d’enfer commencent le démontage, mais lui continue à dessiner tout en parlant. Il en faut plus pour l’interrompre. « J’ai commencé à fréquenter les festivals au milieu des années quatre-vingt-dix, quand j’ai sorti mes premiers albums. Jusque-là, je n’avais jamais eu de contact avec les lecteurs. Ca change tout. J’ai un retour sur ce que je fais, ils me donnent leur appréciation. Ceux qui viennent m’aiment bien ». Pendant près de quarante ans, Félix Molinari a dessiné, à la chaîne des récits de guerre publiés en petit format. Du consommable qui sortait à jet continu de chez un éditeur de Lyon, alors plaque tournante de ce que les historiens de la BD appellent aujourd’hui « les petits formats ». Il s’agissait de mensuels illustrés, en 13 x 18 cm, d’une centaine de pages, réunissant deux ou trois récits complets. Ils s’intitulaient Tora, Zembla, Rodéo, Strange, Kiwi, Super-Boy ou encore Blek. Ils ne coùtaient que quelques francs. C’étaient les mangas français des années soixante.
Juste après la guerre, il débute sa carrière en dessinant des décors pour cet éditeur. C’était. Depuis toujours il voulait faire de la bande dessinée et apparemment il avait des prédispositions pour le dessin à en juger par le prix qu’il avait reçu lorsqu’il était encore à l’école communale pour un portrait de Pétain. Pour ce fils d’immigrés italiens qui avaient fuit le régime fasciste de Mussolini c’est plutôt cocasse mais la récompense était un beau livre sur l’aviation. Il fait la grimace en évoquant ce souvenir coquasse.
En matière de dessin, son maître était et demeure encore aujourd’hui Milton Caniff, l’un des plus grands auteurs américains de comics strips, publié simultanément dans des centaines de quotidiens américains de la côte Est à la côte Ouest. En 1941, l’Oncle Sam l’avait appelé à la rescousse pour soutenir le moral des troupes en partance pour le bourbier du Pacifique. Le jeune Félix l’avait découvert dans les poubelles des GI stationnés à Lyon après la Libération. Il était subjugué par la qualité du travail sur les ombres : « la luminosité de son dessin en noir et blanc est extraordinaire. La puissance des reliefs est obtenue par le noir. Je me suis inspiré pendant longtemps de son style. Mes premières BD sont marquées par le noir. Aujourd’hui, la couleur m’empêche de l’utiliser comme je le souhaiterais ».
Un an à peine après avoir débuté sa vie professionnelle, il parvient à convaincre son patron, de lancer son propre héros et c’est ainsi qu’en février 1948, il n’a pas encore 18 ans, il crée le personnage de Garry, « un fusiller marin américain qui pilotait aussi bien des avions que des chars. Un type comme on en fait plus »â€¦ Il va lui faire vivre les plus extraordinaires aventures jusqu’en 1986… À raison d’une soixantaine de planches par mois ! Les premiers scénarios sont écrits par son patron et pour la mise en image, il fait appel à son imagination et à ses souvenirs, en particulier ceux de sa première rencontre avec des militaires américains. C’était en 1944, du côté de Bourg-en-Bresse où il avait trouvé refuge dans une ferme. « Ce jour-là, je gardais les vaches, quand j’ai vu débarquer une Jeep. C’est la première fois que je voyais un engin aussi curieux. Il y avait à son bord six ou sept militaires. J’en avais vu défiler dans les rues de Lyon des soldats en uniformes. Mais ceux-là portaient des blousons et ils étaient décontractés ». Il venait de rencontrer Garry.
Ce qu’il va découvrir quelques années plus tard dans le Vercors va également le marquer profondément. « Après la guerre, quand j’ai appris ce qui s’était passé dans le maquis du Vercors, je me suis rendu sur place, avec ma première Vespa. Les traces des combats étaient encore présentes partout… Je crois que les dessinateurs de bandes dessinées ont une faculté particulière pour imaginer les situations et les personnages à partir de détails ».
Pendant toutes ces années où il passera ses journées à dessiner des aventures guerrières, il puisera aussi son inspiration dans les images d’actualité qu’il découvre chaque semaine au cinéma. Le Pacifique d’abord, puis la Corée. Les débarquements des troupes américaines sur les plages de cocotiers. La progression difficile dans la jungle. Les combats aériens. Un jour son éditeur lui propose de lancer une bande dessinée d’aviation et lui met entre les mains l’histoire des Tigres Volants. En 1970, il crée la série, qu’il dessinera jusqu’en 1982. A cette époque, il tente en vain de convaincre son éditeur de passer à l’album. Le petit format est en perte de vitesse. Les maisons d’édition ont disparu les unes après les autres. La mode est au grand format, à la couleur et aux couvertures cartonnées. Sans résultat.
Il y a une dizaine d’années, Félix Molinari qui a alors abandonné la BD pour l’illustration publicitaire, est contacté par un éditeurs à la recherche d’un dessinateur pour mettre en image un récit fantastique « les héritiers d’Orphée » dans lequel des aviateurs américains et nazis se livrent à une course poursuite dans l’Hilamaya. « J’ai tout de suite dit oui, j’allais enfin accéder à l’album, cette BD que l’on range dans une bibliothèque ». Du fantastique, il va revenir à l’aviation, avec le premier épisode des Tigres Volants, qu’il signe avec Nolane. Et très vite, il va se rendre compte que les lecteurs d’albums sont plus exigeants que ceux des petits formats.
« Le Fana de l’aviation » m’est tombé dessus parce que j’avais dessiné un capot moteur sur un Piper J3. Pendant quarante ans, j’ai dessiné des avions plus ou moins ressemblant sans jamais essuyer la moindre critique. J’avais un peu de documentation sur les appareils américains, mais absolument rien sur les japonais. Je dessinais de mémoire en essayant de me souvenir des images d’actualité. Tout passait ». Avec le recul et la nouvelle manière de travailler qu’il a adoptée, ses anciens dessins de Zéro l’amusent, mais aujourd’hui, il ne dessine plus sans filet. En une dizaine d’années, il s’est constitué une solide documentation. Sa Bible est une histoire des Tigres Volants parue aux Etats-Unis qu’il a faite entièrement traduire par sa fille.
« L’album est plus exigeant, plus particulièrement dans le domaine de l’aviation ou aucune erreur n’est permise. Pendant des années, mes Tigres volants portaient des blousons avec un bouton sur l’épaule. J’allais même jusqu’à leur faire un soufflet dans le dos… sans doute parce que j’avais du trouver que c’était plus élégant. Quand j’ai dessiné le premier album, je ne me suis pas posé plus de questions. A peine était-il sorti que j’ai reçu une documentation complète sur le sujet avec des annotations. Le lecteur qui me l’avait envoyée m’a téléphoné plusieurs fois et m’a envoyé des polaroïds qu’il avait faits dans des musées. A ce moment-là, j’ai commencé à me demander où j’avais mis les pieds ! ». Au fil des albums et surtout de ses rencontres dans les festivals, il s’est ainsi constitué un réseau de correspondants qui l’alimentent. Lors d’un meeting aérien il s’est même offert une copie à l’identique du fameux Avirex type A2 des Tigres Volants. Il le porte systématiquement en dédicace. Aujourd’hui, ses Tigres portent le modèle réglementaire sur lequel il pourrait écrire une thèse de doctorat… ou au moins faire une conférence. D’ailleurs, il ne s’en prive pas dès que l’occasion lui en est donnée par un lecteur lors d’une séance de dédicace.
Au plus fort de sa carrière, Félix Molinari dessinait de front plusieurs séries. Les personnages passaient entre les mains de différents dessinateurs en fonction de la disponibilité du titulaire. Les lecteurs s’en accommodaient. Aujourd’hui, il dessine deux séries, « Les tigres Volants » sur un scénario de Richard Nolane et « Les survivants de l’Atlantide » avec Jean-Yves Mitton, les aventures de corsaires au temps de la marine à voile, dans des îles peuplées de jeunes femmes dévêtues. C’est différent. Cette série, plutôt destinée aux adultes, a également trouvé son public. Privilégiée par l’éditeur, elle fait de l’ombre à la première. Au début, Félix les alternait. Maintenant, il arrive qu’il enchaîne deux épisodes des « Survivants ».
Il lui faut environ quatre mois pour dessiner les 44 planches qui composent un album des « Tigres Volants » et au moins six mois pour « les Survivants ». C’est un travail à temps plein et malgré ses soixante-dix ans passés, il n’envisage pas de réduire la cadence. « L’album m’a redonné un coup de fouet et a renforcé mon attachement à la bande dessinée ». Il lui a surtout ouvert les portes des festivals où il peut rencontrer ses lecteurs et avoir des contacts avec d’autres auteurs. Ici il faut citer Francis Bergèse, avec lequel il partage sa passion pour l’aéronautique. L’auteur de Buck Danny est une source fiable de documentation pour Félix, mais c’est avant une grande histoire d’amitié entre les deux hommes.
Félix Molinari est un homme heureux qui profite pleinement de la vie. Son seul regret est d’avoir découvert trop tard les festivals de BD. C’est la raison pour laquelle il ne faut pas lui parler de retraite. Un conseil : si le dessinateur des Tigres Volants vient dédicacer dans votre région, ne le manquez pas. Vous ne regretterez pas le moment que vous passerez en sa compagnie pendant qu’il dessinera, spécialement pour vous, le P40 ou le Corsair dont vous avez toujours rêvé.
Gil Roy. Aviasport N°546 / Novembre 2001
BONUS –
Des petits formats à l’album, plus de cinquante ans de carrière
Au début, Félix Molinari était étonné de rencontrer dans les festivals des lecteurs qui connaissent sa carrière mieux que lui. Il en a pris l’habitude maintenant ; les collectionneurs de bande dessinées ont de nombreux points de communs avec les spotters qui draguent les tarmacks. Quand il ne sait pas répondre à une question, il va chercher son dictionnaire de la bande dessinée mondiale, à la lettre M comme Molinari et là, il trouve tout ou presque.
Il a débuté sa carrière fin 1947 (il avait alors 17 ans) chez un éditeur lyonnais de bande dessinée, les éditions du Siècle qui deviendront plus tard les éditions Impéria. Il y restera jusqu’en 1987, date à laquelle la maison d’édition cesse son activité. Il commence par dessiner l’Aigle des mers et la Caravane héroïque, d’après des films. En 1948, il crée Garry dont le dernier épisode sera publié en 1987, puis Super Boy en 1958 (jusqu’en 1972)et enfin Les Tigres volants en 1970. Il s’agissait alors de récits d’une soixantaine de planches publiés dans des mensuels pour la jeunesse. En 1985, il dessine une nouvelle série intitulée Crampons, des histoires de footballeurs, alors que le football est la dernière de ses préoccupations.
En 1992, il publie son premier album « les Héritiers d’Orphée » (scénario d’Aubert / éditions Soleil) avant de cosigner avec Nolane le premier épisode des Tigres Volants (Soleil) qui inaugure enfin la série d’aviation dont il rêvait depuis si longtemps. Elle est d’une certaine manière le prolongement de celle qu’il avait lancé en 1970 en petit format. Il réalise ensuite le premier volume de la série « Les Survivants de l’Atlantide » (Soleil)qui en compte 7 aujourd’hui.
A ce jour, cinq albums des Tigres volants ont été publiés : raids sur Rangoon (1994), mission à Singapour (1995), Tonnerre sur le Yang Tsé (1996), Etoile rouge (1998) et Opération « homme de Pékin » (2000). Le scénariste, Richard Nolane, comme son dessinateur, Félix Molinari, sont tous deux passionnés par l’aventure de ces mercenaires américains venus combattre les japonais, aux commandes de Curtiss P40. Leur soucis est de coller le plus près possible à la réalité historique, tout en essayant de surprendre leurs lecteurs en mettant en scène, dans le ciel de Birmanie, les avions les plus inattendus. Dans le prochain épisode, l’histoire tournera autour d’un Messerschmitt 109 que les japonais avaient récupéré pour le mesurer au Zéro. Authentique ! garantit Félix Molinari qui aujourd’hui sait que ses lecteurs ne lui pardonneraient aucune liberté qu’il pourrait prendre avec la réalité historique ou technique. Il revendique néanmoins une légitime créativité : « nous ne devons pas nous en tenir à la réalité, nous devons apporter un peu de romanesque dans nos récits ».
G.R.
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