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Il a joué ATR gagnant

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Martin R.

Lionel Guerin est devenu le plus important exploitant d’ATR en Europe. La compagnie qu’il a créée en 1999 est aujourd’hui un modèle de réussite. En bon manœuvrier qu’il est, Lionel Guérin sait qu’il faut toujours naviguer sur le trait pour atteindre le but fixé.


Et même s’il a raccroché son uniforme de pilote de ligne lorsqu’il a créé sa compagnie, en 1999, il continue à passer, tous les six mois, sa visite médicale du personnel navigant. Comme s’il ne voulait pas lâcher ce fil d’Ariane qu’il tient précieusement entre ses doigts et qui le relie à son rêve d’enfant. Comme s’il voulait aussi se convaincre qu’il n’avait pas renoncé définitivement à piloter.  » Je ne pense pas que je piloterai à nouveau un avion de ligne, même si, lorsque j’ai lancé Airlinair, j’ai passé une qualification de type ATR. Il n’est pas possible de diriger une compagnie et de voler en ligne en même temps. Mais mon rêve est de trouver un Stampe pour aller voler la tête dehors, au-dessus des champs « .

La valeur montante du transport aérien français

C’est un fait, alors qu’il arrive à la cinquantaine, Lionel Guérin coiffe déjà plusieurs casquettes et celle de pilote de ligne serait à l’évidence de trop. Il est le patron d’une des plus remarquables compagnies aériennes régionales européennes qui s’est permis le luxe, l’année dernière, d’afficher un confortable bénéfice. A l’époque où le transport aérien bat des records de pertes qui se chiffrent en milliards de dollars, ce résultat est plutôt rare. Il préside, également, depuis trois ans, la Fédération nationale de l’aviation marchande et par les temps qui courent, les dossiers chauds ne manquent pas. Les redevances de la DGAC, la taxe Chirac de solidarité, la hausse des tarifs d’Aéroports de Paris, la psychose sécuritaire… et bien d’autres encore. Entre sa compagnie et la fédération, le grain à moudre s’accumule !

Il ne pensait d’ailleurs pas se faire élire. C’est un peu par hasard, faute de candidat déclaré, qu’il s’est retrouvé porte-drapeau des transporteurs français. Il n’imaginait pas non plus un jour diriger sa propre compagnie aérienne. Son rêve était de devenir pilote de ligne. Et encore, l’envie lui est venue en volant.

C’est presque une constante chez lui, cette absence de préméditation. Il le reconnaît humblement. Lionel Guérin n’est pas du genre à écrire l’Histoire à posteriori, à la lumière des événements. Mais, il est aussi certain que lorsqu’il entrevoit une nouvelle direction, qu’il se découvre un nouvel objectif, il fait ce qu’il faut pour réussir. Et c’est là qu’il sait merveilleusement bien tirer parti de ses expériences antérieures.

A l’école du vol à voile

L’aviation est son univers depuis sa plus tendre enfance.  » Mon père a d’abord été navigateur dans l’armée de l’air avant de devenir pilote d’aviation d’affaires. Il m’emmenait souvent avec lui « . Dès qu’il a l’âge, il fait son premier camps aéronautique national.  » Ceux qui avaient un BIA pouvaient prétendre à des bourses pour voler en planeur. C’était une formule extraordinaire qui permettait à celui qui n’avait pas les moyens de découvrir l’aviation « . Il était alors en Seconde scientifique.  » C  » à l’époque,  » S  » aujourd’hui.  » J’ai vraiment pris goùt au vol à voile « . Il vole beaucoup et partout. A Saint-Auban-sur-Durance comme à la Montagne Noire.

Lors de ses stages, il fait évidemment la connaissance de pilotes de ligne et logiquement, il décide de se présenter au concours de l’ENAC. Mais en 1975, quand il est en âge de tenter sa chance, la voie royale est temporairement fermée, le concours est annulé pour cause d’absence de débouchés. Le transport aérien hexagonal est dans le marasme. Les compagnies font le gros dos et ont suspendu tout recrutement en attendant des jours meilleurs. Il bifurque alors vers une école d’ingénieur aéronautique. Il est admis à l’Ecole nationale supérieure de mécanique et d’aérotechnique, l’ENSMA, à Poitiers.

 » A mon arrivée, j’ai remonté le club de vol à voile qui au bout de quelques mois comptait une soixantaine de membres. Il y avait des élèves, mais aussi des professeurs et même le concierge de l’école. Il m’arrivait de faire jusqu’à une trentaine de baptêmes par jour « . En parallèle, il prend également en charge la junior entreprise. Le profil du futur patron commence à se dessiner à travers cet esprit d’entreprise qui l’anime très tôt.

Un ingénieur aéronautique passionné

Son diplôme d’ingénieur en poche, il est d’abord recruté par une entreprise pour s’occuper d’informatique avant d’être embauché par Europe Aero Services comme responsable technique du centre d’Orly. Il a en charge, le suivi technique des deux Caravelle 10 B3 et du Boeing 727 de la compagnie charter déjà en grandes difficultés et qui survit.  » J’ai beaucoup appris pendant ces deux années « .

Malgré le caractère passionnant de la tache qui lui est confiée, il ne perd pas de vue son objectif de devenir pilote de ligne. Il attend patiemment son tour. Il réussit enfin le concours A’ qui lui permet, grâce à son diplôme d’ingénieur, de rejoindre l’ENAC.  » Entre temps, j’avais passé tous les certificats théorique du pilote de ligne « .

Il est envoyé à Montpellier pour passer le PP-IFR, puis à Saint-Yan pour le PP1. La formation est assurée, alors, sur Corvette.  » C’était l’époque faste du SEFA « . Il sort de Saint-Yan en 1985.  » C’était le moment où les EPL (élèves pilotes de ligne) étaient au chômage. Il n’y avait pas d’embauche « . C’était aussi le temps où les formations de l’état était systématiquement en opposition de phase avec les besoins des compagnies.  » Je traînais au Bourget dans l’espoir de trouver un emploi. J’ai passé une qualification Beech 200 pour mettre plus de chances de mon côté. Mais en fait, j’ai été pris dans la foulée par Uniair comme copilote sur Corvette. Je suis rapidement passé commandant de bord. Il fallait avoir le PP1 et totaliser 1.500 heures de vol. Je n’en avais que 800. J’ai bénéficié d’une dérogation. Je suis resté un an comme commandant de bord. Ces années dans l’aviation d’affaires ont été merveilleuses. J’ai volé à travers l’Europe entière. Nous allions partout, en Islande comme sur le Dakar. Je faisais des évacuations sanitaires. C’était passionnant « .

Ce terme revient souvent dans la bouche de Lionel Guérin, sans doute parce que tout ce qu’il fait, il le fait à fond. Son engagement est total. C’est aussi la raison pour laquelle, à cinquante ans à peine, il vit sa troisième carrière professionnelle. Après avoir débuté comme ingénieur aéronautique et avoir été pilote de ligne, il est aujourd’hui patron de compagnie aérienne.
A la fin des années 80, le transport aérien mondial connaît un formidable retour de cycle. Les compagnies recommencent à embaucher. L’aspiration vers le haut fonctionne à plein rendement. Les nationales pillent les régionales qui pillent ce qu’elles peuvent, des sociétés d’avions taxi aux aéro-clubs. C’est l’époque où un chef-pilote d’un petit club peut, sur un simple coup de téléphone, se retrouver en quelques semaines en place droite d’un ATR42 et quelques semaines plus tard encore sur Fokker 28. Lionel Guérin choisit de passer le concours Air Inter.

Les années Air Inter

 » Je voulais entrer à Air Inter, pas Air France. J’avais connu des pilotes sympas d’Air Inter, sur les terrains de vol à voile, et je trouvais cette boîte…sympa « . Il réussit son concours et devient copilote sur Mercure. Il y reste un an, jusqu’à ce que la compagnie reçoivent ses premiers Airbus A320.  » J’ai fait partie de la première équipe de pilotes formés, juste après les cadres « . La polémique sur le pilotage à deux est à son paroxysme. Avec le recul, tout cela paraît dérisoire et a des relents de corporatismes aigus. Le jeune pilote de ligne qu’il est, est conquis par cet  » avion avant-gardiste « .

Au bout d’un an, il devient chargé de mission. Il hérite du dossier informatique d’Air Inter. Sa formation d’ingénieur et son expérience professionnelle le rattrapent. En parallèle, il continue à voler. Il passe sur A330 où il reste deux ans, avant de revenir sur A320 comme commandant de bord, fonction qu’il assumera jusqu’à ce qu’il quitte Air France, qui entre temps a absorbé Air Inter.  » L’A320 est l’avion que je connais le mieux. J’ai volé onze d’années dessus. Je totalise 4.000 heures de vol environ « . 4.000 heures en 11 ans, c’est peu, reconnaît-il. Cela s’explique par les fonctions d’encadrement qu’il a assumées quasiment tout au long du temps qu’il a passé en compagnie.  » En 1997, lors de la fusion d’Air Inter avec Air France, je suis devenu instructeur. J’étais également responsable des standards opérationnels « .

De ces années passées à Air Inter, puis Air France, en tant que pilote de ligne, il affirme avoir retiré un savoir-faire en matière de gestion d’une compagnie aérienne. Un discours peu courant dans la bouche d’un pilote de ligne. Contrairement à nombre de ses confrères, son univers ne s’est pas limité à un cockpit.  » Pendant ces onze années, je n’ai pas fait que piloter. Ces diverses expériences me permettent, aujourd’hui, de faire les choses carrées et surtout d’accompagner la croissance « .
Son passé de pilote lui confère également une certaine autorité vis-à-vis de ses équipages.  » Cela facilite les rapports. Le dialogue est franc et direct. Nous allons plus vite au cœur du sujet. Nous ne pouvons pas nous raconter des carabistouilles !  » Dès le démarrage de sa compagnie, il a signé un accord d’entreprise avec son personnel navigant. Un accord qui régit les conditions de travail reconduit d’année en année depuis, comme à Air France…

Le choix démodé du turbopropulseur

Parti d’une feuille blanche, en 1999, la compagnie exploite aujourd’hui 23 ATR 42/72 (25 dès ce printemps) et emploie au total 400 salariés dont près de la moitié de pilotes.  » Nous avons énormément embauché. Nous avons redonné espoir à des anciens d’Air Lib, d’Air Jet, d’Air Littoral, d’Air Atlantique… On recrute aussi dans les aéro-clubs. En fait notre recrutement repose sur un tiers de pilotes expérimentés, un tiers de débutants et un tiers d’anciens militaires. Ce mélange d’expériences permet d’avoir un très bon niveau professionnel si on parvient à réussir le mixage. C’est bon pour la sécurité des vols « .

La sécurité des vols, c’est une de ses préoccupations permanentes. C’est normal pour un patron de compagnie aérienne. Lui, en fait une priorité.  » J’en parle tout le temps « , reconnaît-il. Il a en a d’ailleurs fait un thème de ses vœux qu’il a adressés cette année à chacun de ses salariés. En 2005, Airlinair a eu à déplorer deux événements qualifiés de  » majeurs  » par son patron. Le premier s’est produit sur un appareil en maintenance. Les freins ont lâché alors qu’un mécanicien était aux commandes pour un essai moteur. L’avion a heurté un obstacle. Le second est lié à l’effacement du train à l’atterrissage à Lyon-Bron. L’avion ramenait l’équipe de football de l’Olympique Lyonnais à Lyon. Fort heureusement, ces deux événements n’ont entraîné que des dommages matériels.  » Il s’agit là d’une véritable alerte en grandeur réelle qui doit nous faire réfléchir « , a écrit Lionel Guérin, dans ses vœux.  » Personne n’est à l’abri d’un dysfonctionnement fatal. Seuls la rigueur, le respect des consignes et le partage des erreurs peuvent nous protéger « . En 2005, la compagnie a consacré plus de 1,2 million d’euros à la formation. Et cette année, elle va continuer à recruter, pour faire face à la mise en ligne de nouveaux appareils, mais aussi pour remplacer des pilotes aspirés par des compagnies plus importantes. Loin de s’en plaindre, il s’en félicite. C’est pour lui, la reconnaissance de la formation qu’il dispense et du niveau professionnel de ses équipages.

Airlinair est en effet devenue une référence dans le domaine de l’exploitation du turbopropulseur. Depuis que Britair s’est séparé de ses derniers ATR, Icare, l’école de Britair, s’appuie sur Airlinair.  » C’est notre documentation technique qui fait office de référence dans le TRTO et nous assurons la partie vol « . Après le rapprochement entre les deux compagnies, l’année dernière, avec l’entrée de Britair (filiale d’Air France) dans le capital d’Airlinair (à hauteur de 19,5%), Lionel Guérin ambitionne de prendre une participation dans Icare.  » Nous sommes l’un des principaux utilisateurs du simulateur ATR « .

La compagnie monotype

Pour le constructeur franco-italien, Airlinair est également devenu une référence, un modèle du genre. Lionel Guérin a longuement mùri son affaire. Il en est arrivé à la conclusion que s’il voulait réussir sans le transport aérien régional, il devait construire une compagnie aérienne monotype en s’appuyant sur l’ATR, à ses yeux l’avion le mieux adapté aux contraintes du transport régional français, voire européen.  » C’est un avion fiable et économe en carburant  » Mais en 1999, il incarnait surtout un choix à contre-courant . Le transport régional européen avait basculé dans le réacteur et la mode était aux Embraer 135/145 et aux CRJ.  » J’ai invité les collectivités locales à Toulouse, pour leur faire visiter les chaînes de montage ATR et les convaincre que cet appareil était un avion moderne « .

Aujourd’hui, les 23 ATR d’Airlinair assurent une centaine de vols par jour. Une dizaine d’appareils vole sous les couleurs d’Air France, trois sous celles d’Europe Airpost et un sous celles de la compagnie algérienne Tassili Airlines en Algérie. Ces affrètements représentent environ la moitié du chiffre d’affaires, l’autre moitié est réalisée avec les vols à la demande et l’exploitation du réseau propre de la compagnie. Cet équilibre est l’une des clés du succès.

Airlinair s’est spécialisé dans les lignes subventionnées (OSP, obligation de service public) à faible capacité qui relient les petites villes de province à Paris.  » Du cousu main « . Un créneau qui n’intéresse pas Air France. Donc pas de risque d’agacer le géant français qui ne montre aucune pitié pour ceux qui osent marcher sur ses plates-bandes. Lionel Gérin en a conscience.
Ces lignes propres sont toutefois commercialisées par la compagnie nationale. Airlinair a en effet noué des liens étroits avec le groupe Air France, tout en préservant son indépendance. L’année dernière, Britair, filiale d’Air France, a pris une participation de 19,5 % dans Airlinair.  » Cette prise de participation est une manière pour nous de nous ancrer de façon durable du bon côté. Le transport aérien est une activité complexe lorsqu’il s’agit d’atteindre un équilibre. Quand on peut trouver des bonnes alliances, il faut les mettre en pratique. On ne peut pas exister seul « .

La carte Air France

Ni exister, ni se développer non plus. Et Lionel Guérin ne manque pas de projets de développement. Il songe à élargir son réseau à l’Europe, mais en attendant l’ouverture de sa première ligne vers une ville en dehors des frontières de l’hexagone, il va mettre en service deux nouveaux appareils au printemps.  » Nous allons continuer à développer le secteur ATR72, de 70 sièges. Avec l’augmentation du prix du carburant, ce qui s’est passé sur le créneau des 50 places, va se reproduire sur celui des 70 sièges. Le rapport entre jet et turbopropulseur est encore plus à l’avantage de l’ATR72. Et il faut savoir que plus on baisse le prix du billet, plus le nombre des passagers augmente. Il suffit regarder ce que font les low cost « .

En septembre dernier, Airlinair a mis en place un site internet de vente qui lui permet de faire du discount. Lionel Guérin n’a pas envie de transformer sa compagnie en low cost, mais internet offrant une grande réactivité à ceux qui sont bien organisés, il peut brader les places inoccupées et améliorer ainsi son rendement. Gérer une compagnie est un exercice de haute voltige. Lionel Guérin qui se définit comme un bon manœuvrier se défend plutôt bien dans ce domaine aussi.

C’est la raison principale pour laquelle ses pairs l’ont élu à la tête de leur fédération. Depuis 2003, il est en effet président de la Fédération nationale de l’aviation marchande. Même s’il reconnaît avoir été un peu poussé, il trouve qu’il est légitime de s’occuper d’une cause qui le passionne, de donner de son temps pour les autres. Et du temps, il en faut. Les dossiers brùlants ne manquent pas.  » J’ai beaucoup hésité. Je ne pensais pas avoir le temps. Aujourd’hui, je suis content, d’être là où je suis. Cela m’a ouvert des horizons que je n’imaginais pas. Dans une entreprise, on passe son temps, la tête dans le guidon « .

Gil Roy. Aviasport N°615 / Mai 2006

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Martin R.

Martin R. est le développeur et webmaster d’Aerobuzz depuis sa création en 2009. Développeur de formation, il a fait ses classes chez France Telecom. Il lui arrive d’oublier ses codes le temps de rédiger un article sur un nouveau produit multimedia ou sur un jeu.

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