Le caricaturiste attitré du Fana sort le troisième album des aventures délirantes du Lieutenant Mac Fly. Rencontre avec un dessinateur discret aux talents insoupçonnés.
Une petite maison basse chaleureuse et accueillante. Une grande pièce unique pleine de livres et de recoins. Des instruments de musique dans un jardin d’hiver. C’est ici que vit et travaille Jean Barbaud avec sa femme et sa fille. « Aussi loin que je puisse remonter dans mes souvenirs, j’ai toujours dessiné. Mes grands-parents tenaient une maison de la presse. J’étais un petit privilégié, parce que je pouvais piocher dans les magazines de bande dessinée ». C’était la grande époque des petits formats, des super héros vêtus de peau de bêtes et des récits de guerre : Zembla, Tora Tora, Garry, les Tigres Volants…
Ce ne sont pourtant pas les aventures des pilotes américains dans le Pacifique dessinées à la chaîne par des auteurs anonymes qui s’appelaient entre autres Molinari qui éveilleront en Jean, sa passion de l’aviation. « Ce sont des circonstances beaucoup plus diffuses qui m’ont marqué sans que j’en sois vraiment conscient ». Jean possède dans son cénacle familial son héros personnel en la personne d’un oncle qu’il n’a jamais connu. « Dans les années cinquante, il est allé suivre une formation de pilote militaire aux USA, sur T6. Après avoir été recalé sur T28, il est devenu pilote d’hélicoptère et il a été abattu en Algérie aux commandes du H21. Je l’ai croisé quand je devais avoir trois ans. Plus tard je me suis replongé dans son histoire ».
En fait, comme beaucoup d’adolescents des années soixante, Jean Barbaud est venu à l’aviation par les maquettes. « J’y suis revenu plus tard par la lecture de revues. Après le bac, j’ai fait la connaissance d’un illustrateur qui était branché espace et aéronautique. Nous faisions documentation commune. C’est comme cela que le virus s’est définitivement installé ».
A Tours où il a grandi il a pu aussi voir de près des Super Sabre, des Crusader et des Phantom. Les avions de Buck Danny. « Dans l’armée de l’air, c’était l’ère du T33. Sur la base où j’allais avec mon père à l’occasion des meetings, c’était l’ambiance Tanguy et Laverdure ». Avec le recul, il juge aujourd’hui la bande dessinée aéronautique « un poil trop sérieuse » à son goût. « Je trouvais sympas les premiers Tanguy, Buck Danny et Dan Cooper. C’était la grande époque. Je n’avais pas le même âge non plus. Il faudrait peut-être les sortir du contexte militaire… »
C’est au cours de ses années lycée qu’il réalise ses premières BD aéronautiques en adaptant des histoires courtes de Pierre Clostermann extraites de son recueil de nouvelles « Feu du Ciel ». « Mon style se voulait alors réaliste. Il était plutôt catastrophique ». A ce moment, il se lance également dans l’adaptation d’un roman d’espionnage. « Ces travaux m’ont permis de constituer un dossier de présentation pour entrer à l’école de dessin publicitaire de Tours. Le dessin publicitaire était une voie qui rassurait mes parents, mais qui ne m’attirait pas plus que cela ». Aujourd’hui où le dessin est revenu en force dans la communication, des agences de publicité font régulièrement appel à lui pour réaliser des BD commerciales.
A sa sortie de l’école, l’un de ses profs lui propose de travailler sur un projet de dessin animé qui débouchera quelques mois plus tard sur la série « Il était une fois l’Homme ». Jean crée les personnages qui feront les beaux jours des mercredis de FR3 avant d’entreprendre leur tour du monde. Ils seront déclinés en livres, en cassettes vidéo et aujourd’hui en DVD. « Je n’avais ni expérience, ni exigence. C’était pour moi deux ans de boulot garantis. Ca a été une bonne affaire pour le producteur ». Cela reste, à défaut de droits d’auteur sonnants et trébuchants un bon souvenir pour leur créateur. Jean n’en garde pas d’amertume. Les gens positifs n’ont pas de regrets.
La société de production grandit et quitte Tours pour Paris. L’exode était encore provincial. Les flux migratoires ne s’étaient pas encore inversés. Et bien que le TGV n’ait pas encore mis Paris à une heure de Tours, Jean ne suit pas le mouvement. Il privilégie son cadre de vie. Il continue à travailler en exclusivité pour le studio sur la nouvelle série intitulée « Il était une fois l’espace » pour laquelle il crée de nouveaux personnages. « On retrouve Maestro, le savant à la barbe blanche, et l’homme de la rue qui devait être le plus banal qui soit. Il y avait aussi deux méchants, une espèce de grosse brute et un petit vicieux ». Des personnages qui ont marqué une génération de gamins.
Cette création l’entraîne dans des recherches sur les costumes. Il crée une ribambelle d’extra-terrestres. « Il fallait donner libre cours à son imagination ». Les vaisseaux spatiaux et les décors futuristes sont confiés à un assistant. Lui apporte sa touche. C’est dans ce détail qui tue que Jean se révèle. Le trait souligné qui fait toute la personnalité unique du dessin. Derrière ce flegmatique père de famille sur lequel les années n’ont pas de prise, pas plus physiquement que mentalement, se dissimule un éternel gamin malicieux.
C’est aussi dans ce studio qu’il fait la connaissance d’Afroula avec qu’il vit depuis. Elle travaillait sur des modèles de décors et de costumes, elle faisait également des recherches de couleur. C’est elle aujourd’hui qui fait la mise en couleur de la série Lieutenant Mc Fly. Et parce que la couleur entre dans la démarche artistique et contribue à mettre en valeur le dessin, Afroula figure en couverture aux côtés du scénariste et du dessinateur.
« Dans les trous du planning, j’ai bossé sur Inspecteur Gadget, ce qui m’a entraîné au Japon, à deux reprises, puis à Los Angeles, deux ou trois fois, où, avec Afroula, nous faisions partie d’une équipe multinationale composée de canadiens, de japonais et d’américains ». Au total, il a travaillé une vingtaine d’années dans le dessin animé. « En parallèle, j’ai bâti un projet d’album de BD qui se composait d’un gag par planche. Il s’agissait d’une série animalière avec des tigres volants ». De vrais tigres facétieux. Une douzaine de planches sont parues dans les fanzines Mosquito et Sapristi. Sans suite.
C’est à la lecture d’une interview, qu’il prend contact avec le scénariste Thierry Cailleteau, auteur notamment de la série Aquablue avec Vatine. Un grand classique de la bande dessinée actuelle. « Il avait passé son brevet de pilote pour voir l’aviation de l’intérieur. Il est un bon raconteur d’histoires, mais pas un gagman ». Cailleteau décline la proposition et met Jean en relation avec un authentique gagman, Fred Duval. Ensemble, ils bâtissent un projet d’album. Exit les tigres volants. Cette fois, il s’agit des péripéties d’un équipage d’une forteresse volante pendant la seconde guerre. Avec les quatre premières planches, ils font la tournée de tous les éditeurs. Sans succès. Au bout d’un an et demi, ils jettent l’éponge. « Je n’étais pas pressé. J’avais le dessin animé qui m’occupait et me faisait vivre ».
Depuis 1983, Jean collaborait avec le Fana qui publiait tous les mois ses caricatures d’avions pour illustrer la rubrique maquette. Il a du s’y prendre à deux fois pour se faire embaucher. « J’avais fait des caricatures d’avions que j’avais mis en situation. Je les ai expédiées à différentes revues. Michel Marrand, le rédacteur en chef du Fana, à l’époque, m’a dit qu’il reconnaissait la valeur de mon travail mais que dans une revue sérieuse comme le Fana, il ne pouvait pas faire entrer des dessins. Il m’a conseillé d’aller voir les revues de BD qui m’ont renvoyé vers les revues d’aviation ».
Il réussit tout de même à intéresser le rubricard d’une revue de bande dessinée qui présentait régulièrement des maquettes d’avions. Pour que son courrier ne passe pas inaperçu, il avait dessiné sur l’enveloppe un Aerocobra. Il fait mouche. Georges Grod, le « rubricard », le met en contact avec le nouveau rédacteur en chef du Fana, Michel Benichou qui lui propose de faire un essai. « Au départ, il s’agissait d’occuper les marges en haut de pages avec trois ou quatre dessins panoramiques ». Le tout premier dessin qui paraît en 1983, représente un Hurricane.
Depuis 20 ans, tous les mois, avec une régularité sans faille et un à-propos toujours aussi étonnant, Jean Barbaud surprend ses lecteurs et leur arrache un éclat de rire. « Je réalise mes caricatures au feeling. Pour les avions que je connais, j’imagine sous quel angle les attaquer. Pour les autres, je me plonge dans ma documentation pour trouver l’angle sous lequel il faut l’aborder ».
Jean possède un talent incroyable pour dénicher le détail qui caractérise l’avion et le faire ressortir en mettant l’appareil en situation. Certains avions s’imposent d’eux-mêmes. « Il est évident que le Martin 167 Maryland avec son espèce de double décrochement sur la longueur du fuselage doit être traité de profil ou par l’arrière pour mettre en avant ce détail caractéristique ». Le plus souvent l’élément caractéristique est moins trivial et une véritable mise en scène de la machine est indispensable. « Le Cutlass par exemple doit être représenté avec son train avant en position détendue, en attitude de catapultage parce qu’il est intéressant de le montrer haut sur pattes, très cabrer. »
Le cauchemar pour le caricaturiste est l’avion parfait comme le Spitefire. « C’est le deuxième avion que j’ai eu à dessiner pour le Fana. Ses lignes sont régulières. Si j’exagère un détail, je m’approche d’une autre version. Il m’a fait transpirer. A l’inverse, un avion complètement tordu n’est pas un cadeau non plus. Soit il faut le pousser un peu plus ou alors on a l’impression qu’il n’est pas déformé ».
Torturer un profil pour en souligner la ligne ou gonfler une verrière n’autorise pas pour autant le dessinateur à toutes les libertés. Si c’est dans la démesure que le style de Jean se singularise, c’est aussi dans le respect du moindre détail qu’il est apprécié des lecteurs du Fana. Il arrive même que certains d’entre eux reprochent à la revue que la maquette présentée soit moins fidèle à l’original que le dessin.
Outre une maîtrise totale de son art pictural, Jean possède une solide culture aéronautique et une connaissance approfondie des matériels volants passés et présents. « Au début, je lisais pour le plaisir des revues d’aviation, mais dans les années soixante-dix la documentation ne courrait pas les rues. En faisant de la maquette, j’ai entassé de la documentation, puis je suis allé vers du plus pointu ». Ses archives personnelles sont soigneusement rangées dans son atelier installé au fond d’un jardin en friche végétale entretenu avec un soin particulier.
Cet univers aux airs de jardin mystérieux matérialise une distance entre la chambre à coucher et l’atelier. Un moyen pour éviter de se précipiter sur ses pinceaux à la première insomnie. Jean et Afroula ont installé leurs planches à dessin sous les toits d’une très vieille bâtisse en pierre pleine de charme. C’est ici que les aventures de Mc Fly prennent vie et que les illustrations pour le Fana se dessinent, sous les grandes fenêtres de toit qui éclairent la vieille charpente et les trésors de livres et de revues, d’objets aéronautiques et de bande dessinée. C’est ici, dans ce cocon que Jean puise son inspiration.
Chaque dessin n’est pas seulement une caricature, mais aussi un véritable gag. « Petit à petit, j’ai essayé de raconter une histoire… ou de faire un mauvais jeu de mot ». C’est aussi une manière de se compliquer la vie pour le plaisir. « Le gag peut venir de manière tout à fait inattendue, mais en aucun cas, il faut attendre devant sa planche à dessin. Le problème est qu’il y a un délai à respecter et parfois l’idée vient après que le dessin soit parti ».
Certains gags ont marqué les lecteurs. C’est le cas du triplan F-DR1 : « je voulais faire un jeu de mot avec triple andouille. J’ai trouvé une ville en région parisienne qui s’appelle Ouille. L’avion se perd dans le brouillard pour se retrouver à Ouille. Il faut souvent trouver un alibi au jeu de mot… »
En 1993, Jean a eu la bonne idée de réunir une centaine de ses dessins dans son livre « 100% pur zinc » dont les textes ont été écris par Thierry Cailleteau. Le livre a été épuisé en trois mois preuve s’il en est que c’était vraiment une bonne idée. Les amateurs qui n’ont pas réagi suffisamment vite ont du attendre l’année dernière, qu’il publie une nouvelle édition intitulée « Gueule de zinc » et enrichie de ses dernières réalisations.
Entre temps, le projet BD a enfin vu le jour, sans que Jean et son scénariste n’aient à faire le tour des éditeurs cette fois-ci. Au vu de la première planche, Guy Delcourt a fait signer aux auteurs un contrat. Thierry Cailleteau, auteur à succès de la maison, avait préparé le terrain.
Jean Barbaud et Fred Duval renoncent aux aventures de l’équipage de la Forteresse pour mettre en scène un pilote de l’US Air Force qui évolue de nos jours. Il devait initialement s’appeler Lieutenant Edwards, mais le nom a été abandonné quand les auteurs se sont rendu compte qu’Edwards n’était évocateur que pour les passionnés d’aviation. Pour le grand public cela ne renvoyait à rien. D’où Mc Fly.
A la demande de l’éditeur, ce nouvel héros va devoir vivre des aventures en une ou deux pages. « Delcourt pensait que les revues aéronautiques se battraient pour les prépublier ». Ce qui ne fut pas le cas.
Jean mène alors de front le dessin animé et la bande dessinée. Il lui faut deux ans pour produire son premier album qui sort en 1999. « Il a reçu un bon accueil des revues aéronautiques. La presse BD a été moins enthousiaste ». Le deuxième sort en 2001. « Libérés de la contrainte du gag en une ou deux planches, nous avons pu nous lancer cette fois-ci sur des histoires plus développées. C’est mieux pour le spectacle aérien ! ».
Ce deuxième album concrétise le statut de dessinateur de BD de Jean qui se consacre à sa nouvelle activité principale à temps complet. Dessiner un album de 46 pages qui se lit en moins d’une heure demande plusieurs mois de travail. « Il faut compter deux à trois jours de travail par planche, uniquement au niveau de l’exécution. A cela s’ajoute le travail préalable d’esquisse. On parle du gag avec le scénariste. Je lui propose une esquisse. Cela me prend en moyenne une demi-journée. » Jean fait lui-même le lettrage et confie à Afroula la mise en couleur. La proximité du dessinateur et de la coloriste est un atout évident.
Il y a tout un monde entre dessiner des caricatures pour illustrer un article d’une revue aéronautique et raconter des histoires en bande dessinée. « C’est un autre exercice. En BD, je dois dessiner l’avion sous toutes ses coutures. Ce n’est pas non plus le même lectorat de pinailleurs. Les avions doivent être un peu plus déformés, un peu plus cartoon ».
Contrairement à Thierry Cailleteau, Fred Duval n’est pas un féru d’aviation. « Quand il met en scène des américains, il parle systématiquement de F16. Pour les russes, c’est du Mig. A moi d’aller chercher l’avion qui me plait le mieux ».
Dans le premier album, la vedette était le F16. « Nous nous inscrivons dans le mode du cliché et de la parodie. Notre pilote a le look cow boy. Il vit sur la base 51. Nous avons voulu mettre en scène l’avion de chasse américain le plus vendu. C’était aussi l’avion de référence de la guerre en Yougoslavie ». Pour le deuxième épisode, Mc Fly volait sur le A10, popularisé par la guerre du Golfe.
« L’anecdote qui a déclenché le scénario du troisième album est l’interception de l’Orion américain par les chinois. Le scénariste a bâti un embryon d’excuses pour emmener Mc Fly en Chine afin de mettre en scène des avions exotiques dans un décor original. Il y a également des flash-back. Le père du héros était pilote pendant la guerre du Vietnam ce qui nous permet de montrer des Mig 17 et des F4 Phantom. Le livre est très découpé avec des allers retours entre le Vietnam, la Chine et les USA, entre l’époque actuelle et le passé récent. »
Les auteurs font également une allusion à George W. Bush. « Là aussi nous sommes dans le cliché… mais pas tant que cela ! Et on finit par de l’extraterrestre parce que le scénariste aime bien l’espace.».
Alors que Jean a désormais tout misé sur la bande dessinée, il est impatience de connaître l’accueil que va réserver le public à ce troisième album. « J’espère que les lecteurs ne trouveront pas le récit trop décousu ». L’éditeur attend de connaître les chiffres de vente pour lancer la préparation du quatrième. La série est à un tournant capital de son existence et cela Jean le sait mieux que quiconque. Le festival d’Angoulême devrait donner une première indication avant la sortie de l’album en librairie ce mois-ci.
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Il était une fois Jean Barbaud…
ne connaissant pas le pape de la bd, je me permets aprés avoir consulté sa biographie
de le féliciter!!!!!! et bon courage dans la continuité de la bd!!!!!!
Il était une fois Jean Barbaud…
Jean Barbaud est le pape de la caricature aéronautique, et, ce qui ne gâte rien, il a la patience et la gentillesse nécessaires pour donner des conseils à de vieux gribouilleurs comme moi, qui essaient de l'imiter...Mais, qu'il dorme tranquile, c'est bien lui le leader ! Ce n'est pas un paralysé de la voilure, à la retraite, et fana des agités de la voilure, qui lui fera de l'ombre.