Par Philippe Jarry
Cela ne fait pas même une année que l’avion de transport commercial immatriculé F-OCAZ a fait son premier vol lorsqu’il se présente en approche sur l’aéroport de Washington-Dulles. F-OCAZ est le tout premier Airbus, désigné A300 B1 et c’est le prototype 001. Il entreprend une grande tournée des Amériques pour y être présenté aux Autorités aéronautiques locales et aux Compagnies aériennes. Si l’Amérique du Sud qui fera partie de la tournée n’est pas un marché essentiel, le continent nord-américain est bien le marché No1 pour le transport aérien.
Cette tournée commerciale n’est donc pas rien pour le Constructeur européen dont les membres ont toujours peiné à pénétrer ce marché tenu par les géants que sont Boeing, Douglas et Lockheed. Les Britanniques Viscount et BAC-111 ont connu ici des succès très relatifs. Quant à la Caravelle, elle y a nourri un concurrent redoutable qui s’est outrageusement emparé – au travers d’un pseudo-accord de fabrication sous licence – du concept de biréacteur moyen-courrier conçu par Sud-Aviation.
Une fabrication qui n’a jamais vu le jour et qui a donné naissance à une dynastie de DC-9/MD-80 dont près de 3 000 ont été construits face aux 280 Caravelle : cherchez l’erreur ! Sans parler du Concorde, encore en essais en cet automne 1973, et qui est toujours au centre d’un indémêlable conflit avec les Autorités américaines et qui chauffent à blanc les relations aéronautiques entre Américains, Français et Anglais.
L’équipe toulousaine s’est démenée pour obtenir que, lors de chacune des étapes du périple, un maximum de visiteurs professionnels vient voir l’avion. Ce jour d’octobre, l’avion est à l’aéroport de Washington-Dulles et deux vols de démonstration sont prévus.
Par l’ambassade de France, j’ai pu obtenir le droit d’être embarqué à condition qu’il y ait un désistement parmi les invités : personnels de la FAA, du ministère des Transports, et membres de compagnies aériennes. Toute la journée, je vais attendre le verdict du responsable de la tournée et, en fin d’après-midi, Philippe Wertheimer me tend mon pass : victoire !
Dans le salon automobile, une singularité dans ce tout nouvel aéroport où les avions sont rangés bien à l’écart de l’aérogare, je me trouve être le point de mire de l’équipe d’Airbus Industrie, tous semblant penser : « Mais que fait ici ce jeune homme ? » En effet, en tant qu’étudiant dans une des Universités de Washington, je détonne un peu. Je me fais aussi discret que possible !
Me voici maintenant à bord de l’A300 B1, le 001. Je reçois une petite sacoche (je la conserverai précieusement) qui contient trois brochures décrivant l’avion et ses performances. L’une d’elle s’intitule : The A300 HAS TWO ENGINES. C’est tout à fait inattendu : à cette époque, seuls les avions commerciaux de petite taille (DC9, 737, BAC-111 et autres Caravelle) sont dotés de deux moteurs. Dès que l’on monte en taille, on en met trois (727, Tridents, DC-10, Tristar…). Deux moteurs pour un avion destiné à transporter 250 passagers et qui va dépasser 120 ou 130 tonnes est-ce bien raisonnable ? Ces Européens ont de ces idées…
L’A300B est ici pour faire ses preuves pendant deux jours. Décollage vers la ville de Charleston en Virginie Occidentale. Le vol prendra à peine une heure trente : c’est suffisant pour montrer ses possibilités, son intégration facile dans le réseau dense du trafic aérien dans la zone Est du ciel américain et pratiquer plusieurs approches.
Si certains invités restent dans la cabine pour écouter les arguments en faveur de l’avion ou se régaler de petits-fours, je me faufile jusque dans le cockpit déjà bien encombré : autour des deux pilotes et du mécano-nav, les curieux s’entassent déjà… En place gauche officie un certain Bernard Ziegler.
Je me tasse dans un coin et risque un : « Et un fils de pilote ? » à quoi BZ répond : « Ok, mais à genoux derrière moi et vous ne bougez plus ! » Inutile de dire que je j’obéis, trop content de m’en tirer ainsi. Voilà un vol qui dépasse mes espérances.
C’est à peu de jours près mon 24 ème anniversaire : quel cadeau ! J’ai volé à bord du tout premier des Airbus. Comment pourrais-je imaginer que, huit années plus tard, je ferai mon entrée à Airbus Industrie, occupant successivement les fonctions de Airline Marketing senior Analyst, Sales Manager, Sales Director, Vice-President Marketing, Vice-President A3XX Market Development and Customer Interface, Vice-President Aircraft Strategy, Senior V-P Strategy, V-P A30X Market… Le tout sur trente années.
En ce jour d’octobre 1973, je quitte l’A300B1, cet étrange avion un peu ventripotent, que ses lignes ne rendent pas bien attirant. Jusqu’aux couleurs choisies : un jaune fadasse et un orange qui ne sont pas vraiment des couleurs fréquentes pour décorer un avion. Quant à son destin commercial, qui le comprend, et qui l’imagine ? D’ailleurs, lorsqu’il est sorti d’usine à Saint-Martin du Touch l’année précédente, on a pris la précaution de mettre en face un Concorde rayonnant, avec son profil athlétique de conquérant du ciel.
Cet A300 que personne ne regarde est pourtant le premier de plus de quinze mille Airbus de toutes familles qui mèneront l’industrie européenne au premier rang mondial.
Philippe Jarry
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Ah ! merci, Collègue, de parler de l'ADN des Caravelle, un truc que les moins de quarante ans ne peuvent pas connaître...
Mais ici, c'est l'ADN du Jarry que je ressens. C'est dommage, ça devrait être enregistré et il faudrait qu'il vous la fasse à la outre-quiévrain. Il imite bien le Belge. Et le Nippon aussi ! Il doit bien avoir une histoire débridée à raconter. C'est saké bien avec le Phiphi des Ailes Anciennes !
Mon commandant, puisque vous mentionnez le Belge, notez que le second A300, un B1 lui aussi (ils ne furent que deux!) fut acheté par la compagnie charter belge TEA. L'avion leur donna du fil à retordre en opérations : au sens propre puisque ce prototype n'avait pas été débarrassé d'une partie de son câblage électrique -essais... de plus, comme B1, il n'avait pas la même longueur que les B2 et B4: unique, donc! son patron s'adressait directement à M. Roger Béteille pour répondre aux questions! Il faut dire qu'à cette époque (les années 70s), nous avions tellement peu de clients qu'on les connaissait par leurs noms et les avions étaient connus de tous par leur MSN... Quant aux Japonais, c'est une autre histoire!
Vous avez eu de la chance de pouvoir voler sur ce proto…
Comme pilote de ligne et au sein d'Air France j'ai volé comme cpt sur B2 et B4.
Personnellement je l'appréciai comme un "bon camion".
Pas véloce, un peu primaire pour le pilotage. Il faut dire que je venais de 3 ans comme cpt DC10 lequel était un avion très bien pensé et très ergonomique, avec des aides au pilotage bien en avance sur son temps.
Mais l'A300 m'a "bluffé" lors d'approches automatiques réelles par mauvaise visibilité jusqu'à la CAT III C.
Il fallait seulement bien le mettre sur les axes et aux bonnes vitesses. On sentait l'ADN des Caravelles dans ce domaine.
Il est vrai que la Caravelle a ouvert le bal des att sans visi... ce qui s'est transmis sur des avions suivants: combien de fois ai-je vu nos avions se poser à Londres -Heathrow quand d'autres étaient détournés cause brouillard...Ce que vous écrivez sur le DC-10 ne me surprend pas: je l'avais notamment entendu dire de la part de pilotes de l'UTA: c'était un avion de pointe: Douglas avait encore la main avant de la perdre en passant sous le contrôle de McDonnell dont le métier était tout autre et l'intérêt pour l'aviation commerciale assez réduit...Sic transit..