Giscard venait d’être élu. Satolas s’appelait encore (à tort, il n’est pas situé sur la commune !) Satolas. C’était exactement vingt six ans avant qu’au terme de démarches épiques qu’il me faudra conter un jour, nous réussissions avec Frank Béjat, le regretté Bruno Faurite et l’aide de Gallimard et du ministre communiste des transports de l’époque Jean-Claude Gayssot, à faire enfin porter par l’aéroport de Lyon, à l’occasion du centième anniversaire de sa naissance en l’an 2000, le nom de Saint Exupéry, le célèbre aviateur-écrivain lyonnais, adoré du monde et prophète alors peu célébré en son pays.
J’étais à l’époque, conjuguant mes deux passions et ma double vie avérée sol et vol, intellectuelle et aéronautique, vice-président fondateur à la fois de la nouvelle université Lyon III-Jean Moulin voulue par Pompidou, Soisson et mon camarade de la rue d’Ulm Michel Bruguière, plume de l’Elysée, et vice-président de l’aéroclub de Méribel, créé par les deux pionniers français du vol en montagne (ils étaient trois avec Michel Ziegler) et en même temps commandant de bord et copilote sur Boeing 707, après l’avoir été sur Constellation puis sur Caravelle, dont l’une fut grâce à eux baptisée Savoie.
Universitaire la semaine, avec quand même quelques escapades nocturnes de Bron à Niort pour le compte de Jet Services au décollage et sur l’Aztec de la Pan Européenne naissante pour apporter à la MAAF les chèques des assurés, j’assouvissais les week-ends ma frénésie d’atterrissages sur skis et en glaciers sous la conduite des deux maîtres qui m’en avaient là la fois donné le virus et inculqué les rares exigences.
Logeant pour ce faire, l’Altiport et ses chalets n’existaient pas encore (ils datent de 1978), dans la cave de l’Altibar Air Alpes que me louait à l’année le tenancier Roger Ferrara et où j’ai passé des nuits mémorablement glacées que ma femme eut tôt fait de m’interdire avec les enfants !
Nano Chappel et Robert Merloz, puisque c’est d’eux qu’il s’agit, héros montagnards et aviateurs dans leur double genre, de la Résistance aux altisurfaces, avaient vite remarqué, ça ne devait pas être trop difficile à voir, que ma passion de l’air et de l’altitude, satisfaite dans nos Piper et Mousquetaire alpins, méritait peut-être bien une invitation à connaître et savourer aussi la grande aviation, la leur.
De fondue, savoyarde, à enchaîné, ils se liguent un jour pour m’inviter à partager, dans le cockpit s’il vous plaît, je crois rêver, un prochain vol passant par Lyon à bord d’un Boeing 707, leur nouvel avion quadriréacteur d’Air France, dont ils constitueraient l’équipage souverain.
L’occasion s’en présente plus vite que prévu, avec un Paris-Casablanca-Paris faisant une brève escale à Lyon pour embarquer un complément de plein (de passagers). A dream come true !
La semaine suivante, muni de la seule invitation verbale du captain en guise de billet, (autre temps, autres moeurs !) sans avoir à franchir ni PIF (poste d’inspection filtrage) ni PAF (Police Aux Frontières), je les suis, sans l’ombre d’un contrôle de quelque nature que ce soit, directement à l’avion par la porte équipage.
Ils s’installent dans le poste, et, ô surprise, me font asseoir immédiatement sur ce dont je découvre en même temps le nom et la chose, le jump seat réservé au troisième membre d’équipage sur les vols long-courriers ou à l’instructeur quand sa présence est requise.
Je me tais, fasciné par l’environnement inoui des cadrans, manettes, boutons, instruments etc… dont une photo achetée aux Etats Unis et collée au mur de ma chambre ne m’avait donné qu’une idée lilliputienne, et totalement saisi par l’atmosphère de concentration, de travail rigoureux, de mots précis, de questions-réponses échangées méthodiquement qui font Nano et Robert oublier aussi consciencieusement que complètement leur invité d’un jour.
Avant qu’à la fin de l’égrenage de la check list avant mise en route, un silence total assourdissant ne s’établisse dans le poste. Puis l’ordre du Commandant au copi, on démarre le 1, puis le 3 puis le 2 et le 4 enfin. Le copi fait et le commandant surveille. Les moteurs tournent, les instruments sont allumés et réglés, la cabine est vérifiée, tout est paré pour le départ.
On sort du parking à l’époque en marche avant et je découvre la phraséologie qui autorise le roulage : clair à droite, dit Robert, clair à gauche confirme Nano. Le « pachyderme » pour moi jeune pilote de Jodel, s’ébranle majestueusement puis tout s’enchaîne rapidement avec la même rigueur et la même impassibilité de mes amis, le taxiway, l’alignement, la mise en puissance, bruyante, le lâcher des freins, le décollage à des mots que je comprendrais plus tard : V1, V2, rotation. C’est une montée directe vers MTL, à l’époque pas de départ Romam, le VOR de Montélimar que je connais et pratique aussi pour mes navigations.
Tout s’est passé très vite, si vite, je reste muet et interloqué jusqu’à ce que Nano me sorte de mon anesthésie d’émerveillement : nous sommes maintenant en croisière, en route vers Marseille, au niveau de vol 340 (encore des mots inconnus), tu vas t’asseoir à ma place, Robert coupera le pilote automatique et tu pourras tenir le manche !
Je n’en reviens pas, c’est évident, mais il me pousse à prendre sa place, non sans, précaution nécessaire me dit-il, m’avoir coiffé de sa casquette au cas où quelqu’un (hôtesse, passager,…) viendrait à ouvrir la porte du cockpit et s’étonnerait de trouver un pilote sans uniforme à gauche…
Comme prévu Robert déconnecte le PA, j’ai pour seule consigne de maintenir l’altitude indiquée, 34.000 pieds, en agissant si besoin, et délicatement à cette altitude, sur le manche. Aussitôt l’avion commence à « marsouiner » et j’essaie de corriger en poussant sur le manche quand je crois que l’avion monte, et en lui tirant dessus quand il me semble qu’il descend.
Robert et Nano m’expliquent que c’est normal de ne pas pouvoir piloter au manche à cette altitude et que tenir un niveau de vol à la main est mission quasi impossible sur un jet de cette taille.
Nous sommes donc au bout de quelques minutes en train de décider d’arrêter cet incroyable jeu quand une hôtesse, Babette Chappel ce soir-là, la fille de Nano, vient nous informer qu’il y a un passager très mécontent qui vient de se cogner la tête au plafond des toilettes. Le PA est aussitôt ré-enclanché, je repasse sur le jump seat, et le vol se poursuit sans encombre avec le vrai équipage, qui passe beaucoup de temps à m’apprendre plein de choses sur le 707 et son pilotage.
Arrivée de nuit à Casa, les passagers débarquent, l’un d’eux, sans doute celui dont Babette était venu nous parler, et qui avait souffert de mes soubresauts aux commandes, prend l’hôtesse à partie en haut de l’échelle de coupée : « Vous direz de ma part au commandant qu’il ferait bien de retourner à l’école ». J’entends juste la phrase de mon jump seat, Babette ne la relève pas, le Captain c’est son père, mais celui qui les avait secoués un peu fort, c’est moi !
Les pilotes restent à bord pour le vol retour et je découvre le traitement de faveur réservé aux seigneurs-seniors de la compagnie par le chef d’escale Air France, thé chaud à la menthe servi dans le poste sur un plateau agrémenté de cornes de gazelle. Le vol retour n’étant pas complet, Robert et Nano me proposent de le faire en siège passager, ce que, épuisé par toutes les émotions et péripéties de l’aller, j’accepte bien volontiers. Nuit au Sofitel de Roissy, au tarif équipage Air France, avant retour à Lyon, en quatre heures par le Mistral, qui nous ramène directement à la gare de Perrache alors que j’habite près de celle des Brotteaux où le train amiral de la SNCF ne s’arrête pas.
Pour un premier jump seat, quel véritable et mémorable « jumping » seat !
Gérard David
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Merci, que du bonheur pour un rappel de ce que j'ai aussi vécu.