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Le manche et le crayon

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Martin R.

Si les deuxièmes rencontres de la Bande Dessinée aéronautique se déroulent, début mars, dans le cadre prestigieux du musée de l’air et de l’espace, ce n’est pas un hasard. Beaucoup d’auteurs de BD présents à cet événement sont aussi des passionnés d’aéronautique. Ils ne se contentent pas de raconter des histoires d’aviateurs en images. Ils sont, pour une partie d’entre eux, également des pilotes. Portraits croisés.


Même si l’anecdote est connue de tous, ce n’est pas une raison pour se priver de la raconter, une fois encore. Ne boudons pas notre plaisir d’autant qu’il y en a toujours un qui ne la connaît pas, ou qui ne s’en souvient plus. Comme les histoires drôles. Celle-ci n’est pas particulièrement comique et elle concerne évidemment, les deux plus grands : Jean-Michel Charlier et Victor Hubinon, respectivement scénariste et dessinateur de la série Buck Danny. Ils sont venus à l’aviation par la bande… dessinée.

A la sortie de la seconde guerre mondiale, ces deux jeunes belges se nourrissaient des aventures des pilotes de l’US Air Force, qu’ils lisaient dans les comics trouvés dans les corbeilles à papier de la base américaine de Liège. Puis, comme ils rêvaient de devenir dessinateurs, ils en sont venu à raconter leurs propres histoires guerrières fortement inspirées des récits de Milton Caniff et autres auteurs américains de cette époque glorieuse. Et c’est comme cela que Buck Danny est né, en 1947.

Charlier-Hubinon, un équipage de choc

Très rapidement, les deux auteurs prennent conscience que s’ils veulent que leurs récits soient crédibles, ils vont devoir apprendre à piloter. C’est ce qu’ils font. Et Charlier va se découvrir une véritable passion pour l’aviation. Les deux auteurs commencent évidemment par passer leur brevet de pilotes privés au sein de l’aéro-club Motor Union de Lièges. Ils s’aperçoivent rapidement que pour continuer à voler, ils doivent devenir professionnels pour autofinancer leurs heures de vol. A cette époque la bande dessinée ne paye pas encore. Malgré le succès de leur série, leurs finances sont encore bien maigres.

Ils convainquent leur club d’acquérir un nouvel appareil adapté aux besoins de leur formation, avec lequel ils pourront notamment s’entraîner à la voltige et au vol sans visibilité. Ils dénichent l’oiseau rare (parce que pas cher…), un vieux Tiger Moth, dans les surplus de la Royal Air Force. Le convoyage d’Angleterre vers la Belgique va se révéler épique. Le vieux biplan se désentoile en lambeaux au-dessus de la Manche et les falaises françaises vont s’avérer infranchissables. Un long détour par Dieppe sera nécessaire. Ils nourrissent leurs inspirations à la sueur de leur front.

Une fois professionnels, ils multiplient les petits boulots : baptêmes de l’air, remorquage de banderoles, distribution de journaux, etc. Ils dessinent la semaine et volent le week-end sur le Piper Cub de l’aéro-club de Lièges. Charlier réussit même à se faire embaucher par la Sabena, la compagnie nationale belge. Il va y rester pendant un an, comme copilote sur cargo. Il volera successivement sur DC 3, DC4 et Convair Samaritan. Sans espoir de devenir commandant de bord, il rend son uniforme de pilote de ligne pour se consacrer à plein temps à la bande dessinée qui commence à devenir plus lucrative.

Une relève à la hauteur

Si la série Buck Danny est devenue une référence, c’est bien évidemment grâce à l’imagination de Charlier et au coup de crayon d’Hubinon. Mais c’est aussi, du fait du souci du réalisme qui les a toujours animé et de la crédibilité des situations décrites. Les quinze millions d’exemplaires vendus en près de 60 ans de parution, ne sont pas dus au hasard. Les auteurs ont su satisfaire l’exigence de leurs lecteurs, qui sont, pour beaucoup d’entre eux, des passionnés d’aviation avant d’être des amateurs de la bande dessinée. La BD n’est qu’une manière de nourrir leur passion. Certains sont aussi pilotes. Ils apprécient le réalisme de l’action. Un réalisme qui caractérise les albums de Buck Danny comme ceux de Tanguy et Laverdure, une autre série dont le scénariste, était à l’origine, Jean-Michel Charlier, et le dessinateur Albert Uderzo.

Ces deux séries figurent encore aujourd’hui, au palmarès des meilleures ventes de la bande dessinée. Ceux qui ont succédé à Jean-Michel Charlier sont animés par le même souci d’être à la hauteur de l’attente de leurs pinailleurs de lecteurs. Comme Charlier, Francis Bergèse pour Buck Danny et Jean-Claude Laidin, pour Tanguy et Laverdure, savent de quoi ils parlent. Le premier est un pilote, ancien de l’ALAT et de la Ferté-Alais, le second, également pilote privé, a fait ses classes dans l’Armée de l’Air comme parachutiste, d’abord en tant qu’instructeur puis leader de l’équipe de présentation de voile-contact  » les Circaëtes « .

Francis Bergèse a bouclé la boucle. A l’âge de 7 ans, il rêvait de devenir pilote en recopiant dans ses cahiers d’écolier les dessins d’Hubinon. En lui servant de modèle, Buck Danny lui a aussi donné envie de devenir pilote. Il a débuté par le vol à voile, en 1958, dans sa Drôme natale (Valence et Romans). Puis, pour assouvir sa passion, il s’engage dans l’ALAT fin 1960. Il va y rester un peu plus de trois ans et voler sur Nord 3202, Piper L-18, L-21B (135 ch) et BM (150 ch), NC-856 et L-19 (A et E). Il totalise un peu plus de 500 heures de vol sous les cocardes.  » C’est peu par rapport à la plupart de mes camarades de promotion « , reconnaît-il.  » Arrivé à la fin des opérations en Algérie, on m’a baladé d’unité en unité qui déménageait. J’ai beaucoup cloué de caisses et j’ai même été contrôleur à la tour de Chéragas, près d’Alger « .
De retour dans le civil, il s’installe en région parisienne où il se lance dans une carrière d’illustrateur. Il fait du remorquage planeurs au Plessis-Belleville et à Beynes.  » Puis il y a eu la période bénie de la Ferté-Alais. Jean Salis m’a fait une grande confiance en me proposant de piloter une large partie des appareils de sa collection dont le Caudron G.III et les répliques de Fokker DR.I Triplan et de Breguet XIV « . Puis ce fut le retour dans la Drôme, remorquage et vol à voile jusqu’à l’achat d’un Gardan, remplacé, il y a quelques années par un Piper Arrow III.

Au total, en un peu moins de 48 ans de carrière et 2.000 heures de vol, Francis Bergèse a volé sur 96 types de machines volantes différentes.  » J’ai eu aussi la chance de prendre les commandes, en double, d’un grand nombre d’appareils, de l’avion de transport au chasseur en passant par l’hélicoptère, expériences très enrichissantes pour un auteur de BD d’aviation, mais peut-être encore plus pour un pilote de l’aviation légère « .

Aujourd’hui, son Piper Archer est basé, dans la Drôme, à Romans, à quelques kilomètres de là où vit et dessine l’auteur à succès de Buck Danny. Dès qu’il le peut, il utilise son avion pour se rendre en dédicace, sur un festival. Parfois, son vieux copain, Félix Molinari, le dessinateur des Tigres Volants l’accompagne. Et c’est chaque fois une aventure.

Vols expérimentaux

Dans un autre registre aéronautique, Roger Leloup est aussi un aviateur à sa manière. Le père de Yoko Tsuno est un passionné de sciences et d’aéronautique. Chacun de ses albums est le prétexte pour mettre en scène des machines volantes mythiques (comme le Catalina dans son dernier album), mais aussi des engins futuristes aux formes aérodynamiques inédites et aux modes de propulsion inconnus. Mais ces aéronefs, aussi révolutionnaires soient ils, reposent toujours sur des technologies en cours de gestation. L’auteur se projette de quelques décennies dans le futur. C’est tout. Et c’est ce qu’apprécient ses lecteurs.

Roger Leloup construit systématiquement des maquettes de tous les engins volants sortant tout droit de son imagination et parfois, il réalise des modèles réduits qu’il fait voler. Ce dessinateur est un aéromodéliste de haut niveau qui a remporté à plusieurs reprises le titre de champion de Belgique de la discipline. Il a représenté son pays dans des compétitions internationales. S’il se vante de faire voler les engins les plus inattendus, l’une de ses spécialités est le vol à voile.

Le vol à voile c’est aussi la passion de Christophe Gibelin, l’auteur des Ailes de Plomb. Mais en vraie grandeur.  » J’ai débuté le vol à voile à l’âge de dix-huit ans . Pour gagner de quoi payer mes vols, pendant l’été, je faisais de la maçonnerie le matin et j’allais dépenser mes sous l’après-midi même dans un planeur. Mais mes vacances n’étaient pas assez longues ou mes gains dans le bâtiment trop faibles, toujours est-il qu’à cette époque, je n’ai pas pu passer mon brevet. Ensuite j’ai arrêté de voler pendant plus de dix ans pour reprendre il y a quelques années; juste le temps d’être lâché et breveté « .

Un passage obligé par la pratique

Christophe Gibelin fait partie de la génération montante des auteurs de bande dessinée aéronautique. Sa série  » Les Ailes de Plomb  » entraînent le lecteur dans les années cinquante et mêle avec talent l’aviation, la politique et l’espionnage. En couverture de quatrième album qui paraît en ce début d’année, figure un magnifique Caudron Simoun. Lors de sa participation aux Premières Rencontres de la BD du Musée du Bourget, en mars 2004, Christophe a passé de longues heures, avant le début des séances de dédicaces, à croquer tous les détails du Simoun exposé au musée et en particulier l’intérieur et le tableau de bord. Le souci du détail et l’exigence du réalisme sont aussi deux atouts qui font que cette bande dessinée a très vite conquis un public parmi les amateurs d’aviation.

 » Pour réaliser une série aéronautique, une formation de pilote est aussi indispensable que l’étude de l’anatomie pour les personnages. Je ne sais pas si ça permet de rendre les machines plus vivantes mais une chose est sure c’est qu’en sachant comment elles se comportent dans l’air, en l’ayant éprouvé soi-même, je suis plus en mesure de le formuler, tant au niveau du scénario que du dessin. Et puis les sensations que l’on a, les éléments que l’on voit là-haut, il n’y a pas d’autre solution que d’y aller pour les connaître. Je crois que c’est lors de la mise en couleurs que je mets le plus à profit toutes ces expériences mémorisées en vol ; certainement parce que dans mon travail c’est avec ce médium-là que j’essaie d’insuffler mes ambiances « .

Ces qualités se retrouvent également dans le travail de Romain Hugault, un auteur prometteur qui maîtrise de manière remarquable la technique d’illustrateur. Sa première bande dessinée publiée à l’automne dernier a été épuisée en quelques semaines. Elles racontent les destinées croisées de quatre pilotes, de quatre nationalités différentes, engagés dans la seconde guerre mondiale.

Romain est pilote privé depuis 9 ans. Il vole à l’aéro-club Renault à Chavenay. Il totalise 300 heures. Son père, pilote de transport dans l’armée de l’air, n’est sans doute pas étranger à sa passion pour l’aéronautique. Un temps pressenti pour devenir le nouveau dessinateur de la série Tanguy et Laverdure, ce jeune auteur peut donner toute la mesure de son talent dans une œuvre plus personnelle. Il travaille actuellement sur son deuxième album avec Régis Hautière, scénariste de la très remarquée  » Dog Fights « , une bande dessinée aéronautique qui vient de paraître et qui dépoussière le genre. L’association devrait faire des étincelles.  » L’histoire se situe dans les années 35 et met en scène un pilote de Caudron de course, pendant la coupe Deutch de la Meurthe « , précise Romain. Les lecteurs qui ont découvert ces deux auteurs s’attendent au meilleur.

De l’ULM au Spitfire

L’histoire de l’aviation, c’est aussi la passion de Manuel Perales, cet auteur espagnol qui a adapté le roman de Pierre Clostermann  » le Grand Cirque  » et qui s’est attaqué à raconter l’histoire du Normandie-Nienmen. Un travail colossal. Ce dessinateur est paraplégique, ce qui ne l’empêche pas de voler sur ulm pendulaire.  » Je maraudais tellement souvent autour du terrain, que l’amitié est vite née entre les moniteurs de l’aéro-club et moi. La réglementation administrative espagnole ne prévoyant pas d’admission possible pour des candidats paraplégiques, j’ai du faire mon apprentissage  » en cachette « , en simulant de simples vols de baptêmes de l´air, puis ensuite, j’ai été obligé de piloter avec en permanence un moniteur à mes côtés « . En trois ans, Manuel a ainsi totalisé 450 heures clandestines de vol.

Sur certains modèles d’ulm, il devait voler les pieds attachés par une sangle, afin de les maintenir fixés aux repose-pieds.  » Quand nous atterrissions sur les terrains d´aéro-clubs voisins, et pendant que j’attendais, assis sur mon siège, mon moniteur qui allait chercher un rafraîchissement au bar, les curieux s’approchaient pour me demander la raison pour laquelle je ne descendais pas et pourquoi j’avais les pieds ainsi attachés. Comme je finissais par me lasser de leur donner chaque fois les véritables explications, je préférais couper court en leur disant que c’était la coutume des moniteurs de mon aéro-club pour éviter que leurs élèves peureux puissent s’échapper avant le décollage. Tu peux imaginer la tête qu’ils faisaient, et la manière dont ils regardaient mon camarade qui revenait avec les boissons à la main « .

La BD révélatrice de vocations

Si Romain Hugault est venu à l’aviation par son père, colonel de l’armée de l’air, Jean-François Vuillermoz, alias J.Aiffvé, est venu à la bande dessinée aéronautique par son fils, pilote de Casa dans la même armée de l’air. Ce scénariste, auteur de la série  » La stratégie des sentinelles « , dont le 5ème épisode vient de paraître, n’aime pas faire référence à cette parenté dont il tire pourtant une immense fierté. Il craint que cela nuise à la carrière de son fils qui est aussi son meilleur conseiller technique. La série BD met en scène, en effet, des pilotes militaires de Casa. La coïncidence n’est évidemment pas fortuite.

J. Aiffvé n’a rien à craindre. Les militaires français aiment la bande dessinée non seulement parce qu’elle renvoie d’eux une image positive, mais aussi parce qu’elle met en scène leur univers quotidien. Beaucoup de pilotes, depuis des générations, ont découvert leur vocation en lisant Buck Danny, Tanguy et Laverdure ou encore Dan Cooper. C’est le cas en particulier du général Marc Alban, qui a terminé sa carrière active sur Mirage 2000. Et ce n’est pas un hasard non plus, si c’est pendant qu’il était encore directeur du musée du Bourget que se sont tenues, dans ce lieu prestigieux, les Premières rencontres de la bande dessinée aéronautique.

Il y a les auteurs qui sont venus à la bande dessinée par l’aviation et il y a ceux qui ont fait le chemin inverse, comme Philippe Francq, le dessinateur de Largo Winch, l’un des plus grands succès de la bande dessinée de tous les temps. Cette série qui a pour cadre le monde des affaires met régulièrement en scène des jets privés et des hélicoptères. Et c’est précisément, en se rendant, en repérage, sur un terrain d’aviation, entre Montpellier et Béziers, que Francq s’est découvert une passion pour le pilotage des hélicoptères.  » Je cherchais simplement un hélicoptère avec une bulle et des tubulures « . Le dessinateur a fait une série de photos d’une Alouette 2. Le chef-pilote de la société lui a proposé de faire un tour. Dans la foulée, il a débuté une formation de pilote privé, qu’il suit sur Alouette 2 et Hughes 300.

Sans aller aussi loin, quand il s’est agi de mettre en scène un 747 (Largo Winch épisodes 5 et 6), le dessinateur est allé passer deux jours sur l’aéroport de Schiphol, à Amsterdam, où KLM lui a ouvert en grand les portes des ses ateliers de maintenance. Il a pu photographier à loisir des Jumbo Jet en grande visite.  » J’ai fait une quinzaine de films. Je ne vois pas comment j’aurais pu dessiner sans aller sur place. La scène n’aurait jamais pu avoir la dimension qu’elle a eu « .

Sans le souci du réalisme des auteurs, la bande dessinée aéronautique ne serait pas ce qu’elle est devenue. Une référence.

Gil Roy. Aviasport N°614 / Janvier 2006

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Martin R.

Martin R. est le développeur et webmaster d’Aerobuzz depuis sa création en 2009. Développeur de formation, il a fait ses classes chez France Telecom. Il lui arrive d’oublier ses codes le temps de rédiger un article sur un nouveau produit multimedia ou sur un jeu.

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