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Culture Aéro

Le manuscrit du Petit Prince exposé à Paris

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Frédéric Marsaly

C’est le livre francophone le plus connu au monde et pourtant c’est la première fois que son manuscrit original est présenté en France. Le « Petit Prince », écrit par Antoine de Saint-Exupéry, à New York en 1942, n’avait encore jamais quitté la « Grosse Pomme ». C’est dire si l’exposition organisée au Musée des Arts Déco est un évènement considérable, une opportunité exceptionnelle d’approcher, enfin, l’origine, la matière brute, touchante et sublime, d’une œuvre devenue universelle.

Dans ses innombrables missives, Saint-Exupéry aimait à griffonner personnages et portraits avec un style certain. Alors qu’il se trouvait à New York depuis le début de l’année 1941, originellement pour quelques mois, qu’il avait connu le succès avec « Flight to Arras » l’édition en langue anglaise de « Pilote de Guerre, son éditeur Curtice Hitchcock, pour détourner l’auteur d’un certain mal-être, l’incita, l’encouragea même, à s’atteler à la rédaction d’un conte pour enfants.

Formé au dessin dès son plus jeune âge, Antoine de Saint-Exupéry ornait ses courriers et ses dédicaces d’autant de croquis comme sur cet exemplaire de « Terre des Hommes. » ©. F. Marsaly / Aerobuzz.fr

Saint-Exupéry fit le choix de l’illustrer lui même en mettant en scène un personnage qui était apparu depuis longtemps sur ses griffonnages. Pour la couleur, c’est l’explorateur Paul-Émile Victor, un ami de longue date, qui lui souffla d’utiliser des crayons-gouaches, outil qu’il avait utilisé pour illustrer son propre ouvrage, qui paraît après guerre, « Apoutsiak, le petit flocon de neige. »

Le tapuscrit original de « Pilote de Guerre » utilisé pour les corrections de l’auteur, exposé au Musée des Arts Décoratifs de Paris. © F. Marsaly / Aerobuzz.fr

The Little Prince of New York

Ainsi l’écrivain s’était mu en auteur-dessinateur-coloriste, cas de figure extrêmement rare dans le monde de l’édition. C’est aussi en raison de cette implication totale dans cet ouvrage que Saint-Exupéry alla au bras-de-fer avec son éditeur pour le choix et le positionnement final des illustrations. Après un travail acharné, le texte long de 30 000 mots avait été apuré, lissé à l’extrême, et ne comportait plus que 15 000 mots, mais pas un seul n’était désormais superflu !

La couverture la première édition en langue française du Petit Prince, publiée à New York en 1943. Le dessin original est également exposé à Paris. © MAD Paris

La première semaine d’avril 1943, alors que l’édition originale du « Little Prince » apparaissait pour la première fois dans les vitrines des librairies de New York, Saint-Exupéry embarquait sur un paquebot à destination de l’Afrique du Nord pour rejoindre ses compagnons du Groupe de Reconnaissance 2/33 et par là même son destin, toujours mystérieux, un peu plus d’un an plus tard. C’est le dernier ouvrage qu’il publia de son vivant.

Le cadeau fait à Sylvia

Il laissa certaines de ses affaires à son amie Sylvia Hamilton, dont 141 feuilles de papier « pelure d’oignon » sur lesquels il avait rédigé, corrigé, affiné le texte final de son conte, et 35 autres pages sur lesquelles se trouvaient de nombreux dessins non retenus pour la version définitive de son livre. Les dessins originaux utilisés pour illustrer le Petit Prince ont, eux, suivi des routes différentes, notamment parce qu’ils étaient en possession de son épouse, Consuelo.

« Le Petit Prince regardant un massif montagneux. » Aquarelle originale de 1942.  © Coll. Succession Saint-Exupéry – d’Agay.

Le 3 août 1943, par courrier, son éditeur l’informait que l’ouvrage se vendait bien : « nous approchons le cap des 30 000 exemplaires en langue anglaise et 7000 en français et les ventes se poursuivent régulièrement(…) au rythme de 500 à 1000 exemplaires par semaine. »  On était encore loin du raz-de-marrée qui, 79 ans plus tard, fait que 150 millions d’exemplaires de ce livre La Fondation Saint-Exupéry évoque même le chiffre effarant de 200 millions d’exemplaires, soit l’ouvrage le plus lu au monde, exception faite des textes religieux. ont été vendus en plus de 360 langues et dialectes.

En 1968, Sylvia Hamilton, épouse Reinhardt, vendit son trésor à la Pierpont Library, devenu depuis la Morgan Library & Museum sis au 225 Madison Avenue à New York  qui le préserva mais qui ne l’exposa qu’à de rares occasions, notamment en 2014.

« Le papier utilisé pour ce manuscrit est extrêmement fin et donc extrêmement fragile. De plus, certains de ces feuillets sont abîmés, portent des traces de café ou des brûlures de cigarettes » précise un représentant de la Fondation Saint-Exupéry. Ces documents précieux sont donc très difficiles à exposer. Leur voyage transatlantique, organisé avec Air France, est donc un évènement d’une portée considérable.

80 ans plus tard

Initialement prévue en 2021 pour les 75 ans de la première édition française, chez Gallimard, en 1946A ne pas confondre avec la première édition en français de 1943 de Raynal & Hitchcock, l’exposition avait été repoussée mais finalement arrive à point nommé pour commémorer les 80 ans de son écriture.

Quelques documents précieux exposés sous une citation éloquente. © F.Marsaly / Aerobuzz.fr

Le Musée Morgan a prêté une trentaine de feuillets du fond Reinhardt qui ont été encadrés par leurs soins avant d’être acheminés dans les soutes d’un Boeing 777 début février. Ces documents ont été  sélectionnés en fonction de leur intérêt littéraire ou graphique mais aussi de leur état. Les visiteurs vont donc découvrir l’intense travail d’écriture de l’écrivain mais aussi des brouillons, des ébauches et des dessins inédits.

Ces trésors venus d’outre-Atlantique ont été complétés par d’autres, et non des moindres, qui ont fait partie des œuvres sélectionnées par l’auteur pour figurer dans son conte. Se retrouver devant l’original de « La migration d’oiseaux sauvages », du « meilleur portrait » du Petit Prince ou du dramatique dessin montrant la rencontre du héros avec le serpent est une opportunité tout simplement unique.

« Voilà le meilleur portrait que, plus tard, j’ai réussi à faire de lui ». Aquarelle originale. © Collection Succession Saint-Exupéry – d’Agay

D’ailleurs, l’exposition regorge de dessins jusqu’ici resté inédits voire inconnus car préservés dans des collections privées. Certains étaient même ignorés jusque-là de la Fondation Saint-Exupéry et leurs qualités graphiques ont surpris jusqu’aux plus pointus des experts. Parmi ces documents, celui présentant une possible fin alternative au conte, un Petit Prince pendu, est une découverte clairement frappante tant elle contraste avec la relative douceur de l’histoire originale.

Un dessin surprenant montrant que l’auteur avait pensé à une autre fin pour son héros. © F. Marsaly / Aerobuzz.fr

Les reliques d’un aviateur-écrivain-illustrateur

Avec une telle profusion d’œuvres graphiques, qu’ils s’agisse d’ébauches griffonnées, de brouillons à différents stades d’avancement ou de dessins aboutis, cette exposition propose donc un regard différent sur l’œuvre d’Antoine de Saint-Exupéry. Car l’ensemble de ces dessins, qui sortent clairement du cadre du seul manuscrit, constituent une vraie œuvre picturale cohérente. Ne faudrait-il pas ajouter la mention « illustrateur » à la formule « Aviateur-écrivain » qu’il a incarné jusqu’ici ? On le soupçonnait, le Musée des Arts Décos le confirme.

Bien d’autres objets et documents sont venus s’ajouter aux reliques américaines comme le tapuscrit original de « Pilote de Guerre », des tirages originaux des photos de John Phillips prises en Sardaigne en 1944, une épatante collection de « Petit Prince » publiés dans autant de langues et dialectes différents dont quelques éditions originales dédicacées, pièces rares parmi les pièces rares.

Exemplaire original, dédicacé par l’auteur à Annabella, actrice française épouse, à l’époque, de Tyrone Power. © F. Marsaly / Aerobuzz.fr

La fameuse table de l’atelier de Bernard Lamotte sur laquelle ses amis ont laissé leur signature et où figure un splendide Petit Prince, normalement exposée au siège d’Air France à Roissy, est enfin visible du grand public.

Un dessin célèbre sur une table qui l’est tout autant. © F. Marsaly / Aerobuzz.fr

Au chapitre reliques, on notera des morceaux du Caudron Simoun écrasé lors de la tentative du raid Paris-Saïgon, et aussi l’exemplaire de « Terre des Hommes » de son mécanicien Prévot. Plus anecdotique, l’exemplaire de La Pléiade que Thomas Pesquet a amené avec lui dans l’espace est là aussi.

La présence d’extraits du manuscrit originel du « Petit Prince » est en soi un évènement mais l’ensemble rassemblé et présenté au public au Musée des Arts-Déco représente sans doute la plus enthousiasmante exposition possible autour de l’œuvre d’Antoine de Saint-Exupéry.

Le « Petit Prince » est donc de passage à Paris, ne pas répondre à son invitation serait d’une impolitesse inacceptable !

Frédéric Marsaly

 

« À la rencontre du Petit Prince » au Musée des Arts Décoratifs

  • Jusqu’au 26 juin 2022 au Musée des Arts Décos, 107 rue de Rivoli à Paris 1er.
  • Plein tarif : 14 €, 10 € tarif réduit et entrée gratuite pour les moins de 26 ans.
  • Renseignements complémentaires sur : le site du MAD
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Frédéric Marsaly

Frédéric Marsaly, passionné par l'aviation et son histoire, a collaboré à de nombreux média, presse écrite, en ligne et même télévision. Il a également publié une douzaine d'ouvrages portant autant sur l'aviation militaire que civile. Frédéric Marsaly est aussi le cofondateur et le rédacteur en chef-adjoint du site L'Aérobibliothèque.

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  • Quant aux dessins de Saint-Ex antérieurs à sa période new-yorkaise, oui bien sûr beaucoup sont arrivés jusqu'à nous. On y décèle le style de son futur petit personnage mythique : très solennel dans des costumes avec des effets papillon dans leurs parties basses. Mais jamais une tête blonde hirsute ! Pour finir, savez-vous que j'ai fourni nombre de photos d'archives à la Succession Antoine de Saint-Exupéry, dont la photo unique du Bloch 174 A 3 n° 24 avec lequel il se couvrit de gloire (aux yeux des pilotes de D-520 qui l'accompagnaient) dans son vol mémorable sur Arras ? D'ailleurs, à l'unisson des autres machines de l'escadrille, c'était un avion non décoré de "La hache d'A. Bordage" (apparue seulement à la fin de la guerre), comme illustré par Romain Hugault à la remorque de Paul Lengellé. Mais les auteurs de B.D. s'encombrent peu souvent de scrupules par rapport à la vérité historique. Je suis le premier à reconnaître les talents d'illustrateurs de R. Hugault (autant pour les femmes que pour les machines volantes), mais pas vraiment ceux d'un 'historien.

  • Merci Monsieur Marsaly,
    Oui, c'est un bonheur que ce manuscrit arrive enfin en France. Peut-être qu'il s'agit d'une petite compensation à toutes les vacheries que nous font nos "amis" américains, y compris celles sous-marines. Mais je voulais dire qu'en 2017 nous avions déjà eu droit à quelques exemplaires des feuillets coloriés de Saint-Ex venant de la collection de Sylvia Hamilton. J'avais été autorisé à en faire des photos. Aussi, l'année suivante, avais-je publié l'illustration, figurant en page 24 de "The Little Prince" (dont je possède un original), en page 181 de mon ouvrage "Saint-Exupéry ses combats" (ignoré de G. R., comme mes deux autres livres sur Antoine de Saint-Exupéry). Curieusement cette illustration du Petit Prince assis sur un chaise, contemplant le soleil se coucher à l'horizon de sa planète, était en couleurs - et je l'ai publiée ainsi -, alors que dans "The Little Prince" et "Le Petit Prince" elle est en noir et blanc. Je l'avais d'ailleurs composée avec une extraordinaire photo de Sain-Ex, assis sur un canapé chez Sylvia Hamilton, en train de croquer une poupée à la chevelure blonde hirsute. Aucun auteur avant moi - excusez mon humilité ! - n'avait révélé que le physique du Petit Prince avait été inspiré par une petite poupée achetée dans une boutique de New-York. Je m'étais permis de publier cette illustration puisqu'aux États Unis d'Amérique une oeuvre tombe dans le domaine public au bout de 50 ans. Et, comme en France Gallimard l'a reproduite dans une autre version (en noir et blanc), je ne pouvais donc tomber sous le coup de la Loi française qui protège chez nous l'oeuvre française de Saint-Ex jusqu'au 1er janvier 2045 (70 ans légaux après sa mort auxquels s'ajoutent 30 ans au motif qu'il est mort pour la France). Je terminerai par ceci : si les Anglais vont devoir rendre les morceaux de frises du Parthénon qu'ils avaient volé, et nous ramener en Égypte l'obélisque qui pourrait devenir un jour celle de la discorde, ce serait bien que ce manuscrit revienne définitivement chez nous, puisque c'est aussi un monument.

    • Quelques précisions. Je ne doute pas de votre anecdote concernant la petite poupée, mais il me semble qu'on retrouve des silhouettes ressemblant au Petit Prince sur les dessins de St-Ex bien avant son arrivée à NY.

      En ce qui concerne les droits du Petit Prince, l'information qui m'a été donnée directement par un responsable de la Fondation Saint-Exupéry c'est que l’œuvre de Saint-Exupéry, dont le livre le Petit Prince, tombera dans le domaine public en France le 1er janvier 2034. Par contre, les droits d'exploitation spécifiques du personnage et de certaines citations resteront protégés.

      • Oui, j'ai eu un échange avec Olivier d'Agay sur le sujet. Mais je ne suis pas d'accord avec lui. D'ailleurs, la date retenue par la Loi pour le classement dans le domaine public est toujours au 1er janvier suivant l'année dé décès augmentée du temps de latence (50, 70 ou 100 ans pour Saint-Ex en France). Je vous donne ma référence quant à la propriété littéraire et artistique : le livre de 984 pages de Pierre-Yves Gautier, professeur à l'Université Panthéon-Assas (Paris II) chez PUF Droit. Je n'ai jamais vu, ni dans le libellé de la Loi sur la Propriété intellectuelle, ni dans le livre-thèse de P-Y. Gautier, un temps de latence égal à 90 ans. Bien entendu, nous parlons de droit patrimonial. Le doit moral perdurera, mais celui-ci n'est pas vraiment codifié lorsque l'oeuvre est tombée dans le domaine public. Il oblige seulement à citer l'auteur de l'oeuvre. Quant au reste, pour avoir également échangé avec une responsable des Éditions Gallimard, je peux affirmer qu'il s'arrange la sauce à leur convenance. Par exemple, il voulait m'interdire de porter une courte citation de Saint-Ex sur une de mes illustrations. Mais enfin, où cela est-il écrit dans la Loi ? À partir du moment où la citation est courte et n'est ostensiblement pas orientée vers des recopies trop répétées des passages d'une oeuvre, rien n'interdit de la reproduire sur le support de notre choix, papier blanc, bleu, rose ou illustration. Mais je me suis laissé dire qu'il y avait certains enjeux...

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