Par Frédéric Lert
Nous sommes quelques mois après les attentats du 11 septembre 2001 et je suis en train d’écrire un Docavia sur le B-52. Insouciance d’une jeunesse qui s’évapore et m’impose de travailler dur pendant quelques mois pour pondre un livre qui ne sera lu que par 3.000 personnes.
Une introduction finement lubrifiée auprès de la 10th Air Force me permet de prendre langue avec le général qui la commande, puis avec son équipe de communicants et, de fil en aiguille, le 93rd Bomb Squadron de l’Air Force Reserve. Et me voici donc à Barksdale, en Louisiane, serrant la main d’une quantité impressionnante de réservistes aussi passionnants qu’accueillants, cumulant un emploi civil la semaine (pilote de ligne, médecin, professeur…) et des responsabilités militaires le week-end. Je suis poli, je me tiens correctement, mes jeux de mots incompréhensibles impressionnent fortement l’équipe de communication de la base et on me propose de revenir à l’occasion pour participer à une mission d’entraînement à bord d’un B-52H.
– Ca t’intéresse Fred ?
– I want my nephew !
Perplexité et regard troublé de mon interlocuteur devant ma réponse indéchiffrable, mais l’affaire se fait et je suis donc de retour sur la base quelques mois plus tard.
Suspendu au plafond comme une saucisse, j’ai un écran sous les pieds et j’apprends à diriger mon parachute pour me poser virtuellement à l’endroit désiré. Dans le mode « terrestre », la clairière dans la forêt est atteinte sans problème particulier. Puisque je suis l’invité d’honneur, j’en profite pour faire un petit caprice : j’aimerais bien compléter ma formation en me parachutant sur un porte-avions. Je n’invente rien, on me l’a proposé un peu plus tôt mais à ce moment-là je n’avais pas dit oui, je ne voulais pas gêner.
A présent, mes inhibitions sont passées par-dessus bord et par deux fois je fais un carreau sur le pont du Nimitz entre les deux catapultes avant. Je repartirais bien pour un troisième tour mais mon escorte, qui a des gamins à récupérer à l’école, met un terme à la plaisanterie : je suis au point, ça ira comme ça, il est temps pour moi de quitter la base et de rentrer au Motel 6. Le vol est prévu pour demain et il y a de toutes façons peu de chances que j’aie à me poser sur un porte-avions au milieu du Kansas, puisque c’est par là-bas qu’est prévu le vol d’entrainement.
Scénario, trajectoires, contacts radios… Tout est détaillé sur un immense écran dans une belle salle sombre et climatisée où ont été préparés quelques mois auparavant les bombardements de l’Irak et, qui sait, quelques années plus tôt, la vitrification de Leningrad ou de Mourmansk.
Passage dans les vestiaires, changement de tenue, me voilà équipé de pieds en cap avec combinaison de vol, parachute sur le dos et casque, on prévoit du ravitaillement en vol et le port du chapeau en peau de locomotive est obligatoire. Départ à l’avion en camionnette avec le reste de l’équipage et une montagne de sacoches de documentation. Les iPad n’existent pas encore.
Il faut courber l’échine pour monter dans l’avion : le B-52 est impressionnant en vol mais vu de près c’est un avion étroit, conçu à une époque où les widebody n’existaient pas. Donc je courbe l’échine et agrippe l’échelle qui permet d’entrer dans le fuselage au niveau de l’antre des navigateurs. C’est la classe éco : c’est petit, c’est sombre, ça sent l’hydraulique et la transpiration et surtout il fait une chaleur à crever tant que l’avion ne s’est pas réveillé et que la ventilation n’a pas été mise en route. Une deuxième échelle de quatre ou cinq barreaux permet d’accéder au pont supérieur.
En face, la cuvette des WC que personne ne souhaite utiliser. A droite, la business class avec le poste de travail de l’officier de guerre électronique, tournant le dos à la marche. A gauche enfin, la first avec les sièges éjectables des deux pilotes. Et derrière eux, le jumpseat tant convoité, utilisé en temps normal par un instructeur.
Le jumpseat n’est pas un siège éjectable : en cas de pépin, les pilotes s’éjecteront devant moi et, s’il me reste des bras, des jambes et des yeux, il me faudra descendre au sous-sol, attendre que les navigateurs veuillent bien s’éjecter (vers le bas) et plonger la tête la première en criant très fort Géronimo ! dans le trou béant qu’ils auront laissé derrière eux. Une belle histoire à raconter en cas de survie !
Je suis installé, brélé, bien réveillé. Mise en route, les huit colonnes d’instruments moteurs battent la mesure en cadence. Tout va bien. Roulage, un coup de crabbing à gauche, un coup à droite pour tester le train d’atterrissage. Le taxiway se décale d’un côté du pare-brise puis de l’autre avant de revenir au centre. Baragouinage en américain dans la radio et décollage bien à plat, comme c’est expliqué dans les livres. Le transit vers le champ de tir se fait en basse altitude. Tabassage modéré, l’avion bat consciencieusement des ailes, les nacelles moteurs remuent. Nous grimpons de quelques centaines de mètres cinq minutes avant le largage prévu. Le champ de tir est en vue, il passe en un clin d’œil sous l’avion.
En route pour la deuxième partie de la mission, le ravitaillement en vol sur un KC-135. On monte en moyenne altitude pour rejoindre notre citerne et on met les casques et les masques à oxygène. En me penchant en avant et en tordant le cou, j’aperçois le Boeing qui vient progressivement s’encadrer dans le haut du pare-brise. On s’approche, on s’approche… Fascinant. Tout cela semble si naturel.
Et tout d’un coup un choc, un bruit, la fin du monde ! Un Bang qui explose dans ma tête et me glace le sang. Collision en vol, abordage ! Tout y passe en une fraction de seconde, la descente au sous-sol, le saut dans le vide, l’ouverture du parachute… Puis je comprends. Ce coup de marteau qui vient de résonner à quelques centimètres de ma tête, c’est l’œuvre du boomer qui vient de planter virilement sa perche dans le réceptacle du B-52. Ledit réceptacle forme une bosse à l’intérieur de l’avion, juste derrière moi.
Donc voilà, j’ai appris un truc que je n’avais jamais lu nulle part, le secret le mieux gardé de l’OTAN : derrière les belles images de ravitaillement en vol, au-delà de la finesse du pilotage et de la beauté de l’accouplement en plein ciel, il y a de la violence, du métal qui travaille, de la tôle qui souffre, un monde de brutalité. Le reste de mon expérience est perdu dans les brumes du passé.
Surnage le souvenir d’un vol trop long d’une heure ou deux, d’une interminable séance de tours de pistes de retour à Barskdale, d’un siège à l’inconfort croissant et d’une envie pressante…
Frédéric Lert
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