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Les Tuileries, terre d’envol

Le succès planétaire de la vasque olympique, signature discrète mais effective de l’entreprise Aérophile fait pencher en faveur d’une conservation de ce monument vivant ! On a parlé d’une transplantation vers le parc de la Villette…© Jean Molveau

Les jeux olympiques de Paris 2024 ont mis en lumière, parmi les hauts-lieux de la capitale, le jardin des Tuileries. Et la présence de l’emblématique vasque olympique, sous son ballon captif, permet d’évoquer une connexion intime avec l’aérostation !

Bien peu de « grands médias » ont été sensibles à ce clin d’œil historique avec l’aéronautique. Et pourtant, un ballon évoluant au jardin des Tuileries, est une image révélatrice d’une évocation d’un changement de paradigme dans le continuum de l’évolution de l’humanité !

Les prémices de la conquête de l’air

Le 21 septembre 1783, la montgolfière a changé la face du monde. Ce jour-là, partis du château de la Muette (près du bois de Boulogne, aux portes de Paris), Pilâtre de Rozier et le marquis d’Arlandes ont parcouru « près de 4.000 toises » (environ 8 kilomètres), se posant à la Butte-aux-Cailles (dans le 13e arrondissement aujourd’hui) au bout de 28 minutes.

L’envol historique de Jacques Charles et Marie-Noël Robert du jardin des Tuileries le 1er décembre 1783. © coll. J. Molveau

Mais les frères Montgolfier (Joseph, 1740-1810, et Étienne, 1745-1799) ne sont pas les seuls en lice dans cette course au vol humain. Le physicien Jacques Charles (1746-1823) travaille lui aussi sur l’application « aérienne » de la poussée d’Archimède. Comme il est en cheville avec les frères Robert, géniaux artisans mécaniciens qui ont élaboré un vernis capable d’étanchéifier le taffetas, il opte pour l’emploi de « l’air inflammable », autrement dit l’hydrogène – étudié dès 1766 par l’Anglais Henry Cavendish – pour gonfler l’enveloppe du ballon. Les Montgolfier y avaient pensé, mais avaient renoncé, en raison des propriétés osmotiques de ce gaz (sa capacité à traverser le papier)…

Le 27 août 1783, Charles a lancé du Champ-de-Mars un petit ballon inhabité qui a atterri, au grand effroi des paysans de Gonesse, au bout d’une vingtaine de kilomètres tracés en trois quarts d’heure…

Les Tuileries entrent dans l’histoire de l’aérostation

Dès lors, pourquoi ne pas tenter l’emport de passagers ? La primauté historique des Montgolfier avec leur ballon à air chaud, ne fait pas renoncer Charles et les deux Robert de travailler sur leur aérostat à gaz. Le gonflement débute le 27 novembre 1783, l’enveloppe étant suspendue à l’entrée de la Grande Allée des Tuileries. L’hydrogène est produit sur place à l’aide de plusieurs tonneaux fermés disposés autour d’une cuve d’eau. On y introduit de la limaille de fer et de l’acide sulfurique. L’opération est laborieuse, et le décollage est reporté au 29 novembre, puis au 1er décembre.

Mais ce jour-là… Les « gens de l’air » connaissent la suite. Charles et Robert le jeune quittent à 13 h 45 le sol aux Tuileries et ne le retrouvent qu’à Nesle-la-Vallée, à une quarantaine de kilomètres au nord-ouest, Jacques Charles se payant même le luxe de redécoller pour une ascension en solo de 35 minutes… D’emblée, la « charlière », dont la configuration globale perdure jusqu’à nos jours, a prouvé sa supériorité conceptuelle sur la montgolfière.

La deuxième ascension originelle de l’homme a bel et bien eu lieu au départ des Tuileries !

L’histoire est en marche

Dès lors, l’histoire est en marche, la « ballonmania » s’installe et les expériences se multiplient ! L’homme peut désormais survoler sa planète, mais sa joie n’est pas complète : il est le jouet de la masse d’air au sein de laquelle son aérostat est comme une bulle de savon : il rêve de pouvoir diriger son aérostat !

Seconde expérience du « ballon allongé des frères Robert », le 19 septembre 1784, un voyage de 186 kilomètres ! © coll. J. Molveau

Le 19 septembre 1784, des Tuileries s’envole un ballon à gaz de forme allongée muni de rames et d’un gouvernail. Si sa conception s’inspire des travaux d’un grand ingénieur militaire, Jean-Baptiste Meusnier de la Place, « Charlotte », ou « Caroline », ainsi qu’il est surnommé, est dû également aux frères Robert. Il a déjà volé avec quatre personnes à bord le 15 juillet précédent à partir du parc de Saint-Cloud, une ascension mouvementée de 45 minutes avec atterrissage à Meudon. L’expérience est donc réitérée, avec trois aéronautes (dont les frères Robert) et c’est un succès éclatant ! Certes, il n’a pas été possible d’influer sur la trajectoire de l’aérostat… mais il s’est posé à Beuvry, près de Béthune, après avoir parcouru 50 lieues soit 186 kilomètres : premier vol dépassant 100 km !

La seconde Manche

De tous temps, le Channel a constitué un défi que l’être humain n’a eu de cesse de relever. Bien en cour, le célèbre Pilâtre de Rozier obtient du ministre des finances du royaume la somme considérable de 42.000 livres pour traverser la Manche en ballon. Il invente alors un nouveau procédé aérostatique qu’il baptise « aéro-montgolfière » : c’est la combinaison d’un ballon à gaz et d’un ballon à air chaud. Ce qui, eu égard à la technologie d’alors, fera dire au professeur Charles : « c’est comme mettre un réchaud sous un baril de poudre ». Associé à Pierre-Yves Romain, constructeur de « ballons d’amusement », la fabrication de ce qui sera identifié sous le surnom de « Tour de Calais » est menée… dans la salle des gardes des Tuileries.

La rozière dite « la Tour de Calais » a été construite par Pilâtre de Rozier dans l’une des salles du palais des Tuileries. © coll. J. Molveau

Cette fois encore, la suite est connue. L’aéronaute déjà fort expérimenté Jean-Pierre Blanchard (1753-1809) qui a choisi de partir d’Angleterre avec son sponsor John Jeffries, réussi – de justesse – le 7 janvier 1785. Pilâtre de Rozier, qui veut effectuer le trajet en sens inverse, est retardé par les vents dominant, et s’il décolle enfin de Boulogne, le 15 juin 1785, c’est pour trouver la mort (avec Romain) dans l’explosion – et la chute qui s’en suivit – de sa « rozière ». Premiers martyrs de l’aéronautique…

Un mot tout de même, sur ce « mix » montgolfière/charlière. Jules Verne l’utilise dans son premier roman Cinq semaines en ballon. Mais des explorateurs tels Jean-Louis Étienne et Bertrand Piccard également, et avec succès. Il est vrai qu’ils ont remplacé l’hydrogène par l’hélium, moins porteur mais ininflammable !

Ballon captif

L’ascension de la vasque olympique a mis en exergue un parallèle saisissant avec l’histoire de l’aérostation : un ballon captif aux Tuileries, réminiscence !

1878. Exposition universelle à Paris, la ville-lumière attire déjà toutes les attentions. Elle couvre 75 hectares au Champ-de-Mars et à Chaillot du 1er mai au 31 octobre. Et l’une des plus formidables attractions est « le grand ballon captif de la cour des Tuileries ».

« Le grand ballon captif de la cour des Tuileries » a, lors de l’Exposition universelle de 1878, constitué l’une des attractions-phares ! © coll. J. Molveau

Il est l’œuvre d’un brillant ingénieur, Henri Giffard (1825-1882), qu’on en juge : il est l’auteur du premier aéronef motorisé de l’histoire de l’humanité, en l’occurrence un ballon dirigeable un tant soit peu fonctionnel, avec lequel il a couvert 27 km, de l’Hippodrome de Paris, près de l’Étoile, à Élancourt le 24 septembre 1852. Aéronaute lui-même et devenu riche grâce à l’invention d’un système d’injecteur vite devenu universel sur les locomotives à vapeur, il a conçu tout un « système » de ballon captif mû par un treuil à vapeur, apte à emmener quantité de voyageurs. Pour l’exposition universelle parisienne précédente, en 1867, il a réalisé un ballon de 5.000 m3. Un de 12.000 m3 a été positionné à Londres en 1869…

Le millésime 1878 cumule tous les superlatifs : 25.000 m3, 14 tonnes à vide, haut de 55 m (36 m de diamètre). Pour un prix de 10 F, et à raison d’une dizaine d’ascensions par jour (selon la météo), 40 à 50 personnes survolent Paris à 500 m, sous la houlette de deux aéronautes professionnels. Quelque 35 000 individus en ont profité, du 28 juillet au 4 novembre 1878 (72 jours opérationnels). Le lieu exact est l’emplacement actuel de la Pyramide du Louvre.

L’architecture du « système Giffard » va se généraliser, reprise par tous les constructeurs de l’époque. Elle perdure aujourd’hui, après un lifting technologique (un treuil électrique actionnant une centrale hydraulique a naturellement remplacé la machine à vapeur) par Aérophile, société qui, depuis les années 1990 conçoit, exploite et exporte des ballons captifs dans le monde entier. Ainsi la boucle est-elle bouclée ! Car c’est effectivement Aérophile qui a été le sous-traitant de Mathieu Lehanneur, concepteur de la vasque olympique.

La première coupe Gordon-Bennett

Marin, passionné de sport et de vitesse, le magnat francophile de la presse James Gordon-Bennett fonde une coupe aéronautique que, sous l’égide de la toute jeune (1905) Fédération aéronautique internationale, l’Aéro-club de France est chargé d’organiser. La date est fixée au 30 septembre 1906 et le lieu : le jardin des Tuileries.

30 septembre 1906, les 16 « sphériques » de la première coupe Gordon-Bennett au gonflement au gaz d’éclairage. © coll. J. Molveau

C’est un beau dimanche, la foule nombreuse est présente pour assister à l’ascension de 16 « sphériques » gonflés au gaz d’éclairage, représentant sept nations. Le vainqueur est celui qui aura franchi la plus grande distance ramenée à la ligne droite. La flottille se dirige vers la Grande-Bretagne et beaucoup choisissent de se poser avant la mer… Au bout de 22 heures 05, l’Américain Franck P. Lahm se pose dans le Yorkshire au bout de 674 km. Il devance le Suisse Alfred Vonwiller qui court pour l’Italie et le Britannique Charles Rolls.

La coupe Gordon-Bennett, seule compétition au long cours pour ballons à gaz, se court encore chaque année de nos jours…

Épilogue

Juste une mention rapide car légèrement « hors sujet » sur le plan des coordonnées géographiques, la commémoration du bicentenaire du premier vol humain en 1983, a vu un décollage de montgolfières de la place de la Concorde…

Le succès planétaire de la vasque olympique, signature discrète mais effective de l’entreprise Aérophile (et un hommage insoupçonné à Henri Giffard – dont le nom fait partie des 72 inscrits par Gustave Eiffel sur sa tour) fait pencher en faveur d’une conservation de ce monument vivant ! On a parlé d’une transplantation vers le parc de la Villette… Eh bien, sur le plan historico-aérostatique, cette localisation pourrait parfaitement se justifier !

Pourquoi la salle de spectacle parisienne le Zénith s’appelle-t-elle ainsi ?

En ce temps-là, Paris et sa banlieue était parsemé de plusieurs « usines à gaz », destinées, entre autres, à alimenter le réseau des réverbères. Ces usines à gaz étaient fréquemment utilisées par les aéronautes pour gonfler leurs ballons sphériques. Les 23 et 24 mars 1875, les frères Tissandier, Crocé-Spinelli et Sivel, constructeur de la charlière baptisée le Zénith, effectuent un voyage de longue durée (22 heures 40), se posant à Lanton, en Gironde. Le 15 avril suivant, le même équipage réduit à trois personne s’envole de la Villette pour une ascension scientifique en altitude. L’hypoxie aura raison de Crocé-Spinelli et Sivel, seul Gaston Tissandier en survivra, les instruments embarqués démontrant que le Zénith a atteint 8 600 m d’altitude… La Villette aussi fut une terre d’aérostation !

La ville-lumière tricolore est donc intimement liée au plus léger que l’air ! Et le ballon captif du square André Citröen – le « Ballon de Paris », c’est son petit nom –, qui vole chaque jour que la météo le permet pour le plus grand bonheur des « touristes » porte haut (150 mètres !) cette connexion avec la France et sa capitale, berceau de l’aéronautique !

Jean Molveau

L’Âge d’Or des Ballons (1783–1914), par Jean Molveau et Jean Bellis, Cépaduès-Éditions. Prix : 35 €. ISBN : 978-2-36493-590-7.

Jean Molveau

Journaliste aéronautique, Jean Molveau est le rédacteur en chef du magazine Vol à Voile dont il est l’un des fondateurs (1983). Il a également été, jusqu'en 2019, le rédacteur en chef d'Aviasport. Historien reconnu de l’aéronautique, il a signé 16 ouvrages. Il a rejoint Aerobuzz en 2009. Au sein de la rédaction, Jean Molveau traite plus particulièrement les sujets historiques.

6 commentaires

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  • A mon avis qui n’engage que moi, d’ici deux ou trois ans le grand public aura « oublié » les JO 2024 car les évènements ne manqueront pas d’y participer et en plus les milieux sportifs seront tournés vers les JO de Californie en 2028
    Quant à fêter l’aérostation est ce que les Tuileries en dehors de leur rôle historique ont cette vocation ?

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  • Un grand merci
    1) à Jean MERVEAU pour cet excellent article/rétrospective de l’histoire des « ballons »,
    2) à la société « Aérophile » constructeur de ce système de ballons/ascenseurs, créée par 2 jeunes polytechniciens dès leur sortie d’école, peu connue en France, alors qu’elle a installé dans le monde entier (jusqu’en Chine) ce type de ballon captif/ascenseur.
    Je souscrirai volontiers à une certaine pérennité de cet engin volant et de sa vasque luminescente dans le jardin des Tuileries… sauf que l’expérience a prouvé que ces structures ne résistent pas à l’impact d’une violente tempête hivernale….

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  • Bravo, Jean ! Magnifique rétrospective et grand plaidoyer pour la conservation de cette vasque olympique d’une ingéniosité qui honore notre pays (on en a besoin !). Cela atténue mon amertume de n’avoir jamais entendu le nom de Pilâtre de Rozier de la part des journalistes des journaux parlés ou télévisés. C’est aussi avec gourmandise que je te vois employer le mot ‘défi’ que ces mêmes journalistes, ainsi que les politiques, ont oublié. Ils préfèrent dire « tchalinge’, c’est plus dans le vent, comme ‘fake news’ alors que nous avons ‘bobard’. Quant aux accords des participes passés, n’en parlons pas ! On finit par avoir l’impression que les intervenants qui les font encore apparaissent tels des diplodocus. Alors, regardons avec ferveur cette vasque animée qui a réussi le mariage de la modernité et de l’histoire. Elle aussi est dans le vent, mais avec la beauté en prime.

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  • @Jean Molveau : Aerobuzz ne pourrait-il pas initier une pétition pour soutenir la demande de conservation de cette merveille ?

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    • C’est une démarche qui peut effectivement s’envisager. En parallèle, peut-être, à des actions de lobbying, par exemple menées par l’Aéro-club de France ?
      Mais il y a des questions à se poser. D’abord, que veut-on préserver ? Le « monument vivant » de la vasque olympique – qui n’est plus olympique, la flamnme est repartie sur l’Olympe et il n’est pas question de se l’approprier, même problématique quant aux anneaux positionnés sur la Tour Eiffel – ou un hommage « de circonstance » à MM. Charles et Robert, à Giffard, à l’aérostation ? Autrement dit, hommage à l’olympisme et au sport ou à la naissance de l’aéronautique ?
      Ensuite, ledit « monument vivant » a-t-il été conçu pour durer (quid de la maintenance dans le temps ?) ? Qui en est le propriétaire ? Mathieu Lehanneur, le designer de cette « attraction », ou la ville de Paris ? Par contrat sans doute, MM. Gobbi et Giacomoni, de la société Aérophile, sont plutôt silencieux. Il serait passionnant de les entendre, s’ils peuvent s’exprimer, eux qui ont réactualisé le concept de ballon captif ! Il serait intéressant d’en savoir plus sur les contraintes techniques de la conservation sur le moyen terme de cet aérostat. Sont-elles rigoureusement les mêmes que celles du « ballon de Paris » ou de leurs autres charlières captives de par le monde ?
      Oui, la vasque « Paris 2024 » est tellement belle qu’on aurait plaisir à l’inclure le plus longtemps possible dans le panorama qu’offre la ville-lumière ! Affaire à suivre !

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    • Pour davantage d’informations sur la vasque « Paris 2024 », je suggère de consulter ces liens :
      https://www.aerophile.com/clients/
      https://linformateurdebourgogne.com/saint-vallier-metalliance-brille-de-mille-feux-sur-les-jeux-olympiques-de-paris/

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