L’avion survolait la forêt. Depuis trois heures, Franck scrutait la masse sombre des arbres à la recherche de l’épave. .Ses yeux le piquait à force de fixer le moindre détail. Le soleil chauffait l’air. L’ombre de l’avion se déplaçait au-dessous d’eux, telle un fantôme qui recouvre de ses ailes la nature endormie. Tout à coup, il pointa son doigt sur la gauche et s’écria :
– Là, je vois briller, c’est eux.
Géna sourit. Elle pressa doucement le manche et fit descendre l’appareil plus bas. Elle fit une première approche et repartit en faisant des cercles au-dessus des arbres. Y avait-il des survivants ? Les deux pilotes de l’avion postal étaient-ils là, en bas, à espérer leur venue ? Elle repéra les tôles brillantes au soleil, entre les arbres. Non loin de là, un grand espace d’herbe, ferait une bonne piste. Elle décida de se poser.
– Appelle pour signaler notre position Franck, nous allons atterrir. Celui-ci tourna le bouton de la radio et un grésillement se fit entendre.
– Ici la mission de recherche. Appareil repéré. Nous allons nous poser. Je répète….
La radio grésillait si fort, qu’il comprit avant de finir sa phrase, qu’elle ne fonctionnait plus. Géna mit l’avion face au vent et se posa sans problème.
Leur sac sur le dos, les deux pilotes traversèrent le grand champ, et s’engagèrent sous les arbres. Vu d’en haut, l’appareil ne devait pas être bien loin, mais, une fois dans cet enchevêtrement de feuilles et de troncs, il était plus difficile de se repérer. L’odeur de la terre mouillée leur prenait les narines. Ils contournèrent des obstacles et trébuchèrent souvent, emportés par le poids de leur sac. Ils s’enfonçaient de plus en plus dans la forêt. Des chants d’oiseaux les accompagnaient, mais aussi, d’autres bruits inconnus qui pouvaient-être des animaux sauvages. Géna frissonna. Elle était inquiète. La végétation dense par endroit, était parfois entrecoupée par des zones plus dégagées, comme si la main de l’homme avait tracé des chemins. Ils finirent par découvrir un sentier plus large, surement emprunté plus régulièrement, comme le montrait des traces bien nettes. Au bout d’une demi-heure, ils virent au travers des arbres, l’éclat du soleil qui se reflétait sur des parties d’avion.
– Il n’est pas loin.
Ils coururent, impatients. Des tôles éparpillées couvraient les lieux. Pourtant, à leur grande surprise, une bonne partie de l’appareil était intacte. L’arrière de l’avion était encore chargé des sacs postaux. Où étaient les pilotes ? Etaient-ils dans la forêt ? Géna fit le tour de l’appareil. Elle entendit des gémissements près des roues. L’homme était là, couché, les yeux fermés, brûlant de fièvre, il délirait. Franck le recouvrit de sa couverture de survie. Il lui ouvrit la bouche et lui fit avaler un peu d’eau.
– J’ai les médicaments dans mon sac, dit Géna. Je m’occupe de lui. Va voir si tu trouves le second pilote.
Franck s’éloigna de l’avion et se retrouva devant des buissons épineux. Il les contourna et s’enfonça un peu plus sous les arbres. Heureusement qu’il avait déposé son sac, il allait plus vite. Bientôt, il eut du mal à avancer. Le sol était de plus en plus glissant et des troncs d’arbres gênaient sa route. A sa droite, il entendit un grognement. Est-ce un animal ? il voulu courir, trébucha et tomba. La douleur lui coupa le souffle. Il fallait qu’il se mette à l’abri si l’animal arrivait. Il se traina jusqu’au pied d’un arbre, se recouvrit de feuilles, et perdit connaissance.
Il y avait longtemps que Géna attendait. Elle avait donné les médicaments à l’homme après avoir constaté qu’il n’avait aucune blessure. Depuis trois jours que leur avion avait disparu, il avait du attraper froid par ces nuits glaciales.
Franck s’était-il perdu ? Elle partit à sa recherche. Elle ne voulait pas trop s’éloigner, de peur de se perdre elle aussi. Elle cria plusieurs fois son nom, tout en avançant à travers la forêt. Elle n’avait pas fait vingt mètres, qu’elle entendit une voix très faible qui lui répondait :
– Je suis ici.
Elle descendit un petit ravin recouvert de feuilles, guidée par le son de la voix qui l’appelait toujours. Le deuxième homme était là, au sol. Elle posa son sac près de lui et sortit sa couverture.
– Comment vous appelez vous ? Vous êtes blessé ?
– Je m’appelle Karter, je dois avoir les jambes cassées, je ne peux plus bouger. Avez-vous un antidouleur ?
Karter avait fait un effort pour appeler à l’aide, mais, maintenant, sa voix n’était plus qu’un murmure. Géna allait d’un pilote à l’autre, leur prodiguant des soins, les réconfortant. Au bout de plusieurs heures, n’y tenant plus, elle se décida. Elle écrivit un message indiquant où était Karter, et, qu’elle partait chercher les secours.
Elle marchait, essayant de repérer le chemin qu’ils avaient parcouru à l’aller. Il lui semblait qu’ils étaient allés toujours tout droit. Au bout d’une demi-heure, elle quitta le sentier le plus large. Rassurée, elle se dit qu’elle était sur la bonne piste. Entre-temps, la pénombre avait envahi les bois. Elle commençait à ne plus distinguer les arbres devant elle. Alors, elle se mit à courir, pour arriver à l’avion avant la nuit. Elle ne vit pas le piège. Sûrement un trou creusé par quelques chasseurs. Le choc lui déboita l’épaule et sa cheville se tordit quand elle toucha le fond. Sa tête bourdonnait. Elle mit un moment avant de comprendre où elle était. La nuit allait tomber. Il lui faudrait attendre jusqu’au matin pour sortir de ce trou, si elle le pouvait. Elle se prépara à y passer la nuit. La température baissait au fil des heures. Impossible pour elle de trouver le sommeil. Elle grelottait de froid, les yeux grands ouverts, guettant chaque bruit qu’elle percevait. Le hurlement d’un loup la fit sursauter. Son bras la faisait horriblement souffrir. Elle regretta de ne pas avoir pris le sac de survie. Au matin, elle dut s’assoupir.
Quand elle se réveilla, le jour était levé depuis longtemps. Elle constata que le piège n’était pas si profond. Pour en sortir, elle dut s’accrocher de son bras valide à des branches aux abords du trou. Elle réussit péniblement à se mettre debout. Elle savait qu’elle n’était plus très loin. Quand le loup se mit à hurler à nouveau, elle se dit qu’il avait senti son odeur et qu’il allait la rattraper très vite. Elle se mit à courir et la douleur devint plus forte. Sa cheville la faisait boiter. Son bras était si douloureux qu’il lui venait des larmes. Le ciel avait des couleurs orangés. Elle pouvait le voir au-dessus de la cime des arbres, brillant comme un miroir de cette clarté qui lui brûlait les yeux. Elle arriva enfin à la lisière de la forêt. Plus que quelques pas et elle serait sauvée. Elle trébucha et s’écroula à terre, haletante et épuisée. Le petit avion était là, à une centaine de mètres. Elle releva la tête, et le vit. Des voix parvenaient maintenant jusqu’à elle. Elle reprit espoir. Est-ce la radio qu’elle entendait? Elle aperçu les deux pilotes allongés dans la carlingue. Comment avaient-ils fait pour arriver jusqu’ici ? Franck était devant l’appareil. Il s’approchât d’elle. Il titubait. Son front était recouvert d’un bandage qu’il avait fait avec une manche de sa chemise. Des taches de sang imbibaient le tissu qui lui collait à la peau.
– Nous venons juste d’arriver. Je ne pourrais pas t’aider Géna. Je ne suis pas en très grande forme, dit-il en esquissant un pauvre sourire. J’ai des malaises et je ne me sens pas très bien. Géna était surprise qu’il ai pu ramener les deux aviateurs dans l’état où il était. Le ciel avait changé de couleur. Il était maintenant comme un océan parcouru de petits nuages, qui, poussés par le vent, formèrent bientôt un immense dôme qui grossissait et devenait plus gris.
– il faut partir avant que l’orage n’éclate. La radio ne marche toujours pas ?
Elle entra dans le cockpit et s’assit sur son siège. Karter lui fit un signe de la main.
– Franck m’a porté sur son dos et a trainé Roland tout le chemin. Je ne l’en remercierai jamais assez
Géna se concentra sur ses cadrans. La douleur, toujours présente, l’empêchait de réfléchir correctement. Elle examina le tableau de bord. Il restait assez de carburant, tout les paramètres avaient l’air ok. Le seul problème était la radio. Les portes étaient verrouillées, ils pouvaient partir. Quand elle poussa sur le manche pour faire décoller l’avion, la douleur dans son bras fut fulgurante. Des gouttes de sueur perlèrent à son front. L’avion leva le nez, et s’éleva dans les airs. Au-dessous d’eux, la forêt, masse verte, s’étalait, baignée par la couleur grise des nuages qui se faisaient plus nombreux.
– Tout va bien à l’arrière ? dit-elle.
Parker lui répondit d’une toute petite voix :
– Je crois que Franck a perdu connaissance. Il ne bouge plus.
Que pouvait-elle faire ? Rien. Elle ne pouvait quitter son poste. La seule chose était d’arriver au plus vite. De petites gouttes de pluie commencèrent à tomber sur le pare-brise. Elle mit les essuie-glaces, mais, bientôt, la pluie s’accéléra tellement, qu’ils ne servirent plus à rien. La pluie redoublait. Elle fouettait l’avion qui semblait faire du sur place. On ne voyait plus au dehors. Géna tira le manche pour rectifier l’altitude. Il ne fallait pas voler trop bas. Le temps paraissait une éternité. Ils volèrent presque une heure sous ce torrent d’eau, quand, d’un coup, l’avion fut ébranlé par de violentes secousses Des éclairs zébrèrent le ciel comme dans un film d’apocalypse. Les passagers furent projetés à l’avant et l’avion se mit en piqué. Géna crispa ses mains sur le manche, aidée de ses deux bras. Durant un instant, l’appareil tangua, puis, tout en douceur, elle réussit à le stabiliser. Son bras la faisait tellement souffrir, qu’elle cru, qu’elle allait elle aussi, perdre connaissance. Elle se secoua. Elle avait des passagers à bord. Leurs vies dépendaient d’elle. Elle reprit un peu d’altitude. Durant quelques minutes, la pluie diminua un peu. L’accalmie ne fut que de courte durée, car les éclairs et le tonnerre redoublèrent. Comme sous le feu d’un bombardement, ils avançaient, secoués, ballotés, luttant pour tenir l’avion. Géna reconnu enfin la piste d’atterrissage éclairée. Franck toussa. Il était là, près d’elle, les yeux fixés sur les cadrans qui s’affolaient. Géna ne prêta pas attention à lui. Elle était concentrée sur sa conduite L’avion ne semblait plus lui obéir. Pourtant, il fallait qu’elle le pose. Le vacarme de l’orage s’amplifiait. La colère du ciel s’abattait sur la terre. Les ailes de l’avion penchaient, tantôt à droite, tantôt à gauche. Elle prépara sa manœuvre d’atterrissage. L’avion descendait trop vite. Elle reprit le contrôle juste avant que les roues ne touchent le sol. Leur mission était certes remplie. Mais à quel prix.
Fin
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Le thème :
– « Elle reprit le contrôle juste avant que les roues ne touchent le sol. Leur mission était, certes, remplie. Mais à quel prix ! »
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Palmarès :
– Il sera rendu public le 1er octobre 2016 à Gimont (Gers) à l’occasion de la 12ème édition des Rencontres Aéronautiques et Spatiales de Gimont (30 septembre – 2 octobre 2016).
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Mission périlleuse
Il me semble que le palmarès est déjà publié sur le site des rencontres !