Publicité
Culture Aéro

« Non rentrée », la dernière mission d’Antoine de Saint-Exupéry

Published by
Frédéric Marsaly

Depuis le 31 juillet 1944, nous sommes sans nouvelle de l’aviateur Antoine de Saint-Exupéry qui décolla de l’aérodrome de Borgo, en Corse, pour une mission de reconnaissance. Il laissait une œuvre littéraire notable, bientôt légendaire. Et depuis 80 ans, on s’interroge sur les raisons qui ont empêché un aviateur de survivre à un confit qui a engloutit quelque cinquante millions de vies.

Il avait entre 6 500 et 7 000 heures de vol, mais son corps était perclus des blessures reçues aux cours des inévitables accidents qui ont émaillé sa carrière puisque « casser du bois », à l’époque, était la norme.

Après avoir participé à la campagne de France, ce à quoi, vu son âge, personne ne l’obligeait, il était parti à New York. Dans cet exil doré, coincé entre les vichystes et les gaullistes, il n’était parvenu à choisir ni un camp ni l’autre ce qui lui valu beaucoup d’inimitiés et de dénigrement. Alors de Manhattan à Long Island, il écrivait. Dans « Flight to Arras » il contait aux américains ce qu’il avait vécu pendant les quelques semaines indéchiffrables de mai et juin 1940. Et puis Curtice Hitchcock, son éditeur, lui avait commandé un conte pour enfants et Saint-Ex s’était alors transformé en écrivain, illustrateur, coloriste et metteur en pages exigeant !

Il n’imaginait sans doute pas le succès de ces quelques 15 000 mots choisis avec patience et talent. Peut-être que ce livre serait passé inaperçu si le destin de l’auteur avait été différent ? on ne le saura pas, jamais !

Mais Saint-Ex fit ensuite le choix de reprendre son devoir et de rejoindre ses compagnons d’armes en Afrique du Nord, dans un premier temps, de tenir sa place au 2/33 de là jusqu’en Sardaigne et enfin en Corse. « Je suis certes le doyen des pilotes de guerre du monde (…) tandis que je ramais sur les Alpes (…) à la merci de toute la chasse allemande, je rigolais doucement en songeant aux supers-patriotes qui interdisent mes livres en Afrique du Nord. C’est drôle. »

Et ce 31 juillet 1944, après son décollage un peu avant 9 heures locales pour une mission de reconnaissance « Soda » sur la région Annecy-Chambery-Grenoble, il n’est pas rentré. Les radars alliés en Corse l’ont perdu alors qu’il était à quelques dizaines de km en direction des côtes ennemies, aucun écho radar ni aucun appel radio n’a ensuite été capté du Lockheed F-5B 42-68223 et de son déjà célèbre pilote.

« A 14h30 il n’y avait plus d’espoir qu’il fût encore en vol » note le Commandant Gavoille, grand ami de l’écrivain, mais aussi chef du 2/33, dans le journal de marche et des opérations de son escadrille.

Alors qu’on se souvient, ce 31 juillet 2024, des 80 ans de son ultime envol, on nous racontera encore bien des histoires sur sa vie, sa mort, sa descendance possible et son héritage humaniste. Quelle ironie, on a plus publié sur Saint-Ex que Saint-Ex n’a publié de son vivant ! Mais peut-être qu’à l’instar d’un Beaumarchais sa vie l’intéressait plus que son œuvre, et que, tel un Cyrano façon Rostand « on abdique pas lhonneur d’être une cible » !

Mais on ne s’habitue pas au silence et le mystère de sa disparition, plus proche, géographiquement et temporellement, de nous que celle de Mermoz ou Guillaumet, est insupportable. Elle fut, et elle est toujours au cœur du roman de sa vie. Mais de découvertes en trouvailles, de témoignages en déclarations fracassantes, on en vient parfois à oublier l’essentiel.

La seule vérité, c’est celle de Gavoille, celle qu’il note pour ce 31 juillet 1944 : « Saint-Exupéry est de ces hommes qui sont grands devant la vie, parce qu’ils savent se respecter eux-même » lui qui avait déjà du écrire sur le tableau des opérations du jour, en trois petites lignes d’une écriture serrée : « 1 mission à haute altitude sur le sud de la France. Non rentrée. »



Publicité
Frédéric Marsaly

Frédéric Marsaly, passionné par l'aviation et son histoire, a collaboré à de nombreux média, presse écrite, en ligne et même télévision. Il a également publié une douzaine d'ouvrages portant autant sur l'aviation militaire que civile. Frédéric Marsaly est aussi le cofondateur et le rédacteur en chef-adjoint du site L'Aérobibliothèque.

View Comments

  • Sans m’immiscer dans cette discussion d'experts, j'aimerais seulement émettre une pensée émue pour mon ami Bernard Chabbert. Il ne faisait pas l'unanimité dans notre communauté mais j'appréciais sa verve et l'étendue de ses connaissances, lui qui entretenait un mystère sur ses liens avec "l'ancien".
    Mystère que chacun interprète à sa guise, comme celui de Mallory et Irvine

    • Monsieur Féral, je vous invite à vous procurer 'Saint-Ex au Maroc' et 'Guillaumet le passeur' via les Éditions Latérales. Vous y trouverez des photos de Gustave Chabbert, le papa du regretté Bernard Chabbert. Et vous reviendrez vers moi… Bonne journée

  • Ben, mais c'est marqué en bas de votre article : "Bernard Bacquié signe une nouvelle biographie de Saint-Exupéry - 10 juin 2018 dans Culture Aéro - brèves". Donc, chez Aerobuzz, quelqu'un a eu ce livre, je ne sais plus qui. Et si vous ne l'avez pas, n'hésitez à vous rendre sur http://www.editionslaterales.com. Quant à Citadelle, c'est vrai, il est difficile à lire, voire abscons, comme je l'écris. Mais quand on est motivé on y arrive et l'on découvre que 'Le petit prince' ne lui arrive qu'à la cheville. Qui a lu 'Citadelle' jusqu'au bout ? Levez la main !… Personne ! cela serait-il possible ? Zut, je me sens soudain terriblement seul. Je ne dois pas être assez pur. Et je repense à cet instant de ma vie où mon prof de français-latin de seconde me décocha : "Bacquié, vous ne serez bon qu'à casser des cailloux !" Sic transit gloria.

    • en bas de de tous nos articles on trouve des liens vers des articles précédents histoire de prolonger la lecture autour de thématiques proches... et c'est une affaire de mots clés. Oui, chez Aérobuzz, quelqu'un a eu votre livre, pour savoir qui, il suffit de regarder qui signe le papier... Ha ben tiens, c'est pas moi !!

  • Merci, Frédéric Marsaly, de faire référence à mon troisième ouvrage sur Antoine de Saint-Exupéry. A ce juste résumé de sa disparition et surtout l'évocation de sa solitude face aux Gaullistes et Pétainistes, on peut ajouter cette appréciation de son excellente biographe Stacy de La Bruyère : " Aventurier célèbre, capable de tout vaincre, sauf le poids du quotidien… Allié de personne, Saint-Exupéry fut calomnié par tous." Et lui-même, dans son abscons mais merveilleux livre 'Citadelle' publié à titre posthume : " Me vient donc, de temps à autre, la lassitude d'être seul, et le besoin de rejoindre ceux de mon peuple, car, sans doute, je ne suis point encore assez pur…" Ceux qui n'avaient rien compris à son mental, ceux qui le jugeaient à tort mauvais pilote, en un mot tous les exupérophobes y trouvèrent matière à nourrir leur thèse iconoclaste d'un esprit suicidaire. Mais ils n'avaient pas lu 'Passion Saint-Exupéry' de Jules Roy et surtout 'Citadelle' où Saint-Ex lui-même nous explique : " Me vint la connaissance de ce que point ne sont de la même essence l'acceptation du risque de mort et l'acceptation de la mort ". Antoine de Saint-Exupéry avait accepté le risque de mort, mais il ne désirait pas pour autant mourrir puisqu'il écrivit aussi qu'il devrait s'occuper après guerre de sa "pauvre Didi", sa soeur, qui avait perdu sa maison d'Agay (détruite en 43 par les Allemands pour installer une pièce d'artillerie contre la menace de débarquement allié en Provence). Oui, il restera un cas parmi les grands écrivains, puisque homme d'action avant d'être homme de plume. Chez lui, le pilote a toujours précédé l'écrivain. La preuve en est que ses années 1932 à 1938 incluses, période de traversée du désert (au propre et au figuré) pour le pilote, furent aussi stériles en publication. Allez, pour conclure, une petite piqûre de rappel de 'Citadelle', ce livre si peu connu, et que seuls les exupérophiles comprendront : " Si tu es d'une maison,, d'un domaine, d'un dieu, d'un empire, tu sauveras par ton sacrifice ce dont tu es… Car tu vis selon un empire qui n'est point des choses mais du sens des choses. " Voilà ! Bonne journée de réflexion !

    • comment puis-je faire référence à un livre que je n'ai jamais eu entre les mains ? Mais si nos visions de cette histoire se rejoignent (sauf sur Citadelle qui m'est tombée des mains à chaque fois que j'ai essayé de m'y coller) c'est plutôt bon signe...

Recent Posts

Fin du Puma dans la Royal Air Force

Les hélicoptères Puma HC2 âgés d’un demi-siècle seront retirés du service en 2025. Ils seront… Read More

21 novembre 2024

Le radar de la tour de contrôle de CDG héliporté

La tour de contrôle centrale de l'aéroport de Paris-Charles de Gaulle est en travaux. Fin… Read More

21 novembre 2024

Service prolongé jusqu’en 2040 pour les PC-7 suisses

Depuis plus de quatre décennies, le Pilatus PC-7 constitue la pièce maîtresse de la formation… Read More

21 novembre 2024

Spirit Airlines se place sous la protection du chapitre 11

On a rarement vu une compagnie aérienne aussi bien préparée à déposer le bilan que… Read More

21 novembre 2024

Biblio – Cavalier du ciel

Dans un roman, Jean Rousselot raconte à la première personne du singulier la carrière militaire… Read More

20 novembre 2024

Le Pérou reçoit un Beechcraft King Air 360CHW équipé evasan

Textron Aviation a livré à l'armée de l'air péruvienne le premier de 2 Beechcraft King… Read More

20 novembre 2024
Publicité