Il fallait que le récit soit lisse pour que la communication soit sans tache et que le public embarque dans le rêve. Mais au fil des 13 années de son développement, le projet Solar Impulse a été beaucoup plus complexe que l’image qu’en ont donnée Bertrand Piccard et André Borschberg, Ils ont triché avec les empêcheurs de voler en ligne droite, ils ont failli y laisser leur peau, l’un après l’autre. Ils se sont affrontés pour prendre les commandes. Dans leur livre « Objectif soleil », ils mettent tout à plat, nous prenant à témoin, nous qui les avons suivis, comme s’ils avaient voulu vider l’abcès pour se quitter bons amis…
Voilà un livre qui tranche avec la communication bien huilée de l’aventure Solar Impulse, avec les 2 films parfaits qui ont raconté ce tour du Monde en deux saisons. C’est un livre choc qui ne cache rien des tensions entre les deux principaux protagonistes, aux égos largement dimensionnés, mais que 13 ans de mise en œuvre d’un projet commun vont permettre au fil des aventures de souder de façon fraternelle.
Vous y découvrirez comment le chef d’entreprise embauché pour diriger, mais pas pour piloter, va progressivement devenir « le pilote N° 1 », et comment, lors de l’escale en Chine à Chongquing, il fait venir un coach en communication pour rattraper son écart de savoir communiquer avec le médiatique né Bertrand. Vous vivrez l’amertume de Bertrand quand il s’aperçoit que tout champion d’Europe de voltige en aile libre qu’il soit, il est incapable de piloter un planeur de très grande envergure.
Il lui faudra plus d’un an pour acquérir le savoir faire pour piloter ces machines si instables que sont SI-1 et SI-2. Parfois on a l’impression de voir s’affronter deux grands cerfs en période de brame… C’est qui le meilleur ? Le plus communiquant ? Le plus sûr en vol, …? Mais c’est Bertrand qui résume à chacune de ses prises de parole les clés du succès : « vouloir dépasser l’autre est contre productif, ce qu’il faut c’est se dépasser soi-même ».
Dans les films, les deux avions et la beauté des images sont centraux ; dans le livre les acteurs sont les deux aventuriers et la météo. Gravitent autour d’eux les spécialistes des différentes équipes (150 au total à certains moments).
Parfois, on a l’impression d’être dans une tragédie grecque, de vivre le choc psychologique entre deux titans. Mais les antagonismes vont, au fil des ans et des kilomètres, se muer, grâce à une amitié indéfectible, en complémentarités assumées, sources du succès final.
Vous y découvrirez ce que les films ne montrent pas ou peu : les héros qui pleurent (et même beaucoup de joie, de déception, d’amertume devant l’incompréhension ; lire ce que dit André à la page 255), le soutient des familles, les incidents graves. En voici quelques exemples…
Au cours du vol de Suisse au Maroc avec SI-1, André ne met pas assez tôt son masque à oxygène tout en répondant en vol à des interviews ; il a des nausées, se sent très mal et sa fille Elâ devra lui parler continuellement pendant plusieurs heures pour lui permettre de tenir.
A la fin de la traversée des Etats Unis, peu avant l’arrivée à New York, un hélicoptère transportant des photographes s’aperçoit qu’une partie importante du revêtement de l’aile gauche est déchirée. André est prévenu et des photos sont envoyées au MCC (Mission Control Center) qui se dit surpris que l’aile ne se soit pas encore désintégrée ; le pilote se prépare à sauter au dessus de l’Atlantique dans une eau à 10 degrés. Les Gardes Côtes sont prévenus.
André sait que si l’avion se crashe le projet Solar Impulse ne survivra pas. Il continue à piloter avec une douceur extrême ; les autorités bloquent le trafic à Kennedy Airport où il se pose à 23 heures. Epuisé, il fuit les journalistes et part se ressourcer auprès de Yasemin, son épouse.
Au cours du Tour du Monde, lors du premier vol de nuit au-dessus de l’Inde, Bertrand fait l’erreur de continuer à piloter au cap, au lieu d’utiliser l’horizon artificiel, et ne conserve plus ses ailes à plat. Le MCC en conclut à une panne grave (partie d’aile arrachée, commandes endommagées, …). On envisage, à ce moment aussi, qu’il faille faire sauter le pilote en parachute ; on prévient sa femme. Bref c’est un véritable gâchis qui heureusement se terminera bien.
En ce qui concerne la préparation du Tour du Monde, on est très surpris de voir que la discussion sur le partage des étapes entre les pilotes est repoussée jusqu’à la dernière minute, chacun n’osant aborder l’autre et voulant ce qui lui semblait plus prestigieux : le premier vol, le dernier, le survol du Pacifique. Pour le premier vol au-dessus du Pacifique, des éléments extérieurs interviendront qui ne laisseront pas le choix.
A côté des deux pilotes, héros de la saga, il y a d’abord les épouses et les enfants dont le soutien fut essentiel. Il y a aussi d’un autre côté, les membres du Comité de Surveillance de la Sécurité. Ils sont parfois considérés comme des empêcheurs de voler droit, et pour le premier tronçon du Pacifique, leur décision de « No Go », pourtant théoriquement impérative, ne fut pas obéi. Et c’est là que le périple entre dans la légende, que les chevaliers de l’aventure vont atteindre le Graal. L’OFAC (Office Fédéral de l’Aviation Civile), joue aussi le rôle du méchant qui menace d’interdire les vols à plusieurs reprises, et avec lequel les acteurs rusent parfois.
Attention ! La lecture de ce livre met le lecteur dans un état de tension permanente ; c’est un véritable thriller ; on voudrait ne pas s’arrêter, ce qui serait une erreur, car la densité des évènements nécessite des périodes de pause pour assimiler les enjeux et profiter de chaque incident. Merci à Bertrand et à André d’avoir accepté et su nous transmettre ce qu’ils ont vécu, en vérité, sans fard, pour que leur aventure devienne exemplaire et prophétique.
Jean Ponsignon
Acheter en ligne : Objectif Soleil: Deux hommes et un avion
La tour de contrôle centrale de l'aéroport de Paris-Charles de Gaulle est en travaux. Fin… Read More
Depuis plus de quatre décennies, le Pilatus PC-7 constitue la pièce maîtresse de la formation… Read More
On a rarement vu une compagnie aérienne aussi bien préparée à déposer le bilan que… Read More
Dans un roman, Jean Rousselot raconte à la première personne du singulier la carrière militaire… Read More
Textron Aviation a livré à l'armée de l'air péruvienne le premier de 2 Beechcraft King… Read More
Il était le candidat malheureux de Sikorsky et Boeing face au V-280 Valor de Bell… Read More