Elle est rayonnante et débordante d’énergie parce qu’elle a, à nouveau, des projets plein la tête. Depuis l’accident d’avion qui la privée de sa mobilité, il y a tout juste dix ans, elle a connu des hauts et des bas. 2001 s’annonce sous les meilleurs auspices.
« Aux Etats-Unis, en cas d’accident, c’est l’assurance qui paye. En France, on recherche un coupable et on regarde du côté de celui qui a signé la dérogation. Dans ces conditions, on peut comprendre que la DGAC ne veuille pas prendre la responsabilité de tester un pilote handicapé qui veut devenir instructeur ». Depuis le temps que Dorine essaye de convaincre l’administration française de l’autoriser à devenir pilote professionnelle, la psychologie des fonctionnaires de l’aviation civile n’a plus de secret pour elle.
Elle est allée en Californie chercher des arguments. Elle a rencontré là-bas Mike Smith (12000 heures de vol), le président de l’association internationale des pilotes handicapés qui dirige une école de pilotage. Elle en a même rapporté un reportage, diffusé en 1999 sur France 3, dans le cadre du magazine « Des racines et des ailes ». Ce soir-là, elle a transpercé l’écran et acquis à sa cause des millions de téléspectateurs. A la suite de cette émission, la DGAC n’a pas pu faire moins qu’organiser une table ronde réunissant une quinzaine de personnes confrontées au même problème. « La DGAC nous a dit clairement qu’elle ne nous autoriserait jamais à devenir professionnel. En revanche, pour l’instruction, il fallait voir… »
Depuis, la situation n’a pas beaucoup évolué. L’administration campe sur sa position. De leur côté, les pilotes handicapés se sont organisés, en créant une commission au sein de l’Aéro-Club de France dont Dorine est le porte-drapeau. De là est née l’idée de contourner l’obstacle réglementaire en passant par l’ULM. La nouvelle génération de machines trois-axes – en particulier le MCR-01 – en offre l’opportunité. L’idée est d’apporter la démonstration de la capacité des handicapés des membres inférieurs à faire de l’instruction sur des machines volantes qui s’apparentent en tous points à des avions légers. Cet objectif a redonné espoir à Dorine, au moment où elle en avait le plus besoin. Devant le mutisme de l’administration, elle avait fini par croire qu’elle devrait renoncer à ce rêve d’enfance. Elle l’a très mal vécu.
Des fonctionnaires retranchés derrière des règlements ont bien failli avoir raison de ses espoirs et de sa joie de vivre, alors que la Vie, malgré le coup dur qu’elle lui a réservé, n’était pas parvenue à entamer sa détermination.
Voler, c’est sa vie et cela n’a jamais été, pour elle, une manière de fuir son handicap. Seuls les valides et surtout naïfs, peuvent croire qu’une paire d’ailes puisse remplacer deux jambes qui ne marchent plus. Elle avait huit ans quand son père est devenu pilote privé. A cette époque, elle allait à pied à l’école de Noirétable. En grandissant, elle a cru que l’avion serait un moyen de se rapprocher de son père qui avait « un boulot de fou » – il était ambulancier – et qu’elle ne voyait pas assez. Et c’est vrai que l’aviation lui a permis de vivre des moments privilégiés avec son père. Rapidement, aussi, elle s’est accrochée à l’idée que c’était le moyen de partir de chez ses parents et de voyager. Pour rien au monde, elle voulait que sa vie future ressemble à celles de ses parents. A quinze ans, imprégnée de lectures aéronautiques, elle rêvait de devenir pilote de brousse. « Durant mon adolescence, j’ai économisé l’argent de mes anniversaires pour passer mon brevet. Quand je me suis inscrite à l’aéro-club d’Auvergne, c’était avec la ferme intention de devenir pilote professionnel ». Neuf mois plus tard, elle est victime d’un accident d’avion qui va bouleverser sa vie, mais qui n’entamera pas sa passion.
Un matin de mai 1991, sur le coup des huit heures du matin, deux avions de l’AC d’Auvergne décollent de l’aérodrome de Clermont-Ferrand-Aulnat à destination de Marseille-Marignane. Dorine est à l’arrière du Piper, son père à bord du Cessna. Moins d’une heure plus tard, le Piper entre dans les nuages. Le pilote tente de faire demi-tour et percute le relief. Les deux occupants avant et les passager qui était assis à côté d’elle, à l’arrière, sont tués sur le coup. Dorine est la seule rescapée. Elle va rester ainsi plus de onze heures dans le froid et l’humidité, coincée dans les débris, entourée de cadavres. A un moment, elle entendra un hélicoptère. Elle l’appellera en vain. Il y a quelques semaines, elle a retrouvé celui qui, le premier est arrivé sur les lieux du drame. Un plâtrier peintre du Puy-en-Velay, radioamateur, qui spontanément s’était lancé à la recherche de l’avion, quand il avait entendu sur son récepteur, les secours qui n’arrivaient pas à localiser l’épave. La lecture de son rapport, a ravivé des souvenirs enfouis. Elle avoue malgré cela ne conserver aucune angoisse de ce drame, juste une appréhension viscérale lorsqu’en travers de sa trajectoire elle voit des nuages.
Après trois semaines à l’hôpital, elle est transférée dans un centre de rééducation, en banlieue lyonnaise. Son père qui conduit l’ambulance fait un crochet par l’aéro-club où une petite fête a été organisée en son honneur. Quand son instructeur lui propose de faire un vol, elle dit oui sans hésiter et prend place à gauche. Ce n’est que quelques jours plus tard, qu’elle va réellement prendre conscience que désormais, rien ne sera plus comme avant. Quand le personnel médical lui apporte son fauteuil roulant. « Jusque-là je n’avais pas réalisé ma situation. J’étais contente d’avoir autant de visites à l’hôpital. Tout le monde était très attentionné et me manifestait beaucoup d’affection. Je comblais un manque ».
L’apprentissage de la vie en fauteuil roulant se passe rapidement et à la rentrée scolaire suivante, Dorine entre normalement en Terminale. Elle obtient son Bac, mais ça ne va pas fort. « L’aéro-club ne voulait pas équiper un avion. Je ne savais pas ce que j’allais devenir. J’étais complètement désemparée ». Sous le prétexte de passer son permis de conduire elle se réfugie dans son centre de rééducation. Dans cet environnement sécurisant, elle peut faire le point pour choisir un nouveau cap. Elle décide de devenir journaliste aéronautique, mais avant d’envisager une école de journalisme, elle doit décrocher un DEUG. Elle choisit donc de poursuivre ses études à l’université de Grenoble. Juste au-dessus, à Saint-Hilaire-du-Touvet, il y a un centre spécialisé qui pourra l’héberger. Pour la convaincre, le personnel du centre lyonnais lui avaient parlé de delta et de parapente. Arrivée à Saint-Hilaire le discours est radicalement différent. « Le médecin qui m’a reçue m’a carrément dit qu’il me serait impossible de revoler et qu’il fallait impérativement que je me sorte cette idée de la tête. Il m’a démoralisée. Lors du tour de France aérien des Jeunes chambres économiques, je me suis offert un survol du centre, aux commandes d’un Cardinal, pour faire un pied de nez à ce médecin ».
Heureusement, Dorine découvre qu’à Toulouse, un aéro-club possède un avion équipé pour permettre aux handicapés de voler. Elle se renseigne et met le cap vers le sud-ouest. Adieu le journalisme. Tous les espoirs lui sont à nouveau permis. A Toulouse Pierre Harquin, un retraité, instructeur bénévole, se prend d’affection pour elle. « On volait quand personne volait parce qu’il faisait trop chaud. On n’arrêtait pas. PTU, PTE. Il sentait que j’étais motivée. J’ai fait 90 heures en une année. Pour lui comme pour moi, le brevet était passé au second plan, ce qui comptait, c’était de voler ». Un jour, le président du club s’est décidé à parler à l’instructeur pour l’encourager à présenter son élève au test. « J’ai eu droit au testeur des testeurs. 3H10 de test en vol pour voir si j’étais capable de tenir physiquement. Il ne m’a rien épargné et rien ne lui allait. A la fin, il m’a simplement dit qu’il avait apprécié mon encadrement et il m’a donné mon brevet ».
Dans la foulée, Eugène Bellet propose à Dorine de faire équipe avec lui et avec Daniel Vacher sur le rallye Toulouse-Saint-Louis-du-Sénégal. « C’était le rêve. Depuis toujours je lisais les aventures de pionniers de l’aviation et les récits de voyage ». Le trio remporte le rallye. L’année suivante, Dorine repart sur le Saint-Louis en tant que concurrente. L’année d’après, elle fait équipe avec Daniel Vacher et avec son père. Entre-temps, elle devient le premier pilote handicapé de l’histoire du Tour de France aérien des jeunes pilotes. « J’ai fait le Tour de France avec des jeunes qui comme moi voulaient tous devenir pilotes professionnels. Même si je ne me suis classée que trente et unième, j’ai fait la démonstration qu’un pilote handicapé pouvait voler comme un autre. A mes yeux c’était la preuve que rien ne s’opposait à ce que je devienne professionnelle. A ce moment-là, j’y ai vraiment cru et j’ai écris à Pierre Graff (ndlr : directeur général de la DGAC) pour obtenir une dérogation médicale. Je demandais une chose simple, je ne voyais pas où il pouvait y avoir un problème. Il ne m’a jamais répondu ».
Cette non-réponse est une péripétie parmi beaucoup d’autres qui ont jalonné les rapports de Dorine avec la DGAC, jusqu’à présent. Elle a toujours refusé le combat pour privilégier la négociation, parce qu’elle est persuadée que la raison l’emportera sur l’intransigeance. D’échec en déconvenue, elle a fini par se décourager et l’année dernière, elle est passée par un point bas. « J’ai pensé tout arrêter, partir voyager autour du monde. J’ai boudé, je n’ai fait que dix-huit heures de vol dans l’année. J’étais dégoùtée ». Et comme si cela ne suffisait pas, à la suite de son deuxième passage dans l’émission « des racines et des ailes », son allocation a été amputée : « les médecins qui m’ont vu à la télé ont estimé que je me débrouillais bien et ont décidé de réduire mon allocation de 15%. Il a fallu que je me batte jusqu’à maintenant pour qu’ils acceptent de rétablir mes droits ».
Il y a des années sans et d’autres avec. 2000 qui avait pourtant mal commencé pour Dorine s’achève en feu d’artifice pour préparer une année 2001 pleine de promesses. Avec deux autres pilotes handicapés de l’aéro-club Paul-Louis Weiller, elle s’est mise en tête de monter une patrouille de trois Rallye. Jacques Bothelin, le leader des Apaches (l’ancienne patrouille Adecco), séduit par l’idée a décidé de soutenir le projet. Un autre grand nom de l’aviation, Jean-Marie Saget, ancien chef-pilote d’essais de Dassault, apporte son aide au trio en qualité d’entraîneur. Il ne reste plus qu’à boucler le budget et pour cela, Dorine compte bien sur les retombées d’un documentaire qu’elle vient de réaliser sur son aéro-club, aux Mureaux. Elle ne cache pas sa fierté, ni surtout le plaisir qu’elle a eu à découvrir une nouvelle technique d’expression. Elle a travaillé dans les règles de l’art avec une équipe de professionnels et le résultat, un film de 10 minutes, décrit simplement ce que peut apporter le pilotage à un handicapé. La démonstration est efficace. On échappe aux poncifs habituels sur les handicapés et le sport. Et il ressort de ce sujet que dans la conduite du vol, rien ne différencie un pilote handicapé d’un valide. Avec ses images, Dorine parvient à convaincre ceux qui en doutaient, que voler n’est pas un exploit qui a tout moment peut se terminer en catastrophe. Au contraire. C’est à travers de tels reportages que progressivement l’image des handicapés évolueront dans l’opinion publique et qu’un jour, enfin ils seront traités à part égale. Dès lors, les barrières artificielles dressées autour des fauteuils roulants tomberont. Ne rêvons pas, il y a encore du travail pour en arriver là. La nouvelle aventure dans laquelle Dorine est engagée devrait y contribuer, tout autant, si ce n’est plus, que toutes les campagnes de communication de l’APF, Association des paralysés de France.
Lors de son deuxième passage sur France 3, ce soir-là devant le petit écran, il n’y avait pas seulement les médecins de l’assistance publique, il y avait également Claude Pinotteau qui fut séduit par la détermination de Dorine. Un de plus. Pinotteau, c’est le réalisateur de « la Boum ». Aussitôt, il est entré en contact avec Dorine pour lui proposer de l’aider à adapter à l’écran, le roman de Didier Van Cauwelaert, « la demi-pensionnaire ». « C’est l’histoire d’une paraplégique pilote, ancienne championne de voltige aérienne. Au début, il souhaitait que j’intervienne en tant que conseillère technique pour l’écriture du scénario et pendant le tournage. A force de se contacter, il m’a proposé un petit rôle. Didier Van Cauwelaert, qui n’avait pas entendu parler de moi avant de publier son roman, m’a écrit en dédicace qu’il avait été troublé de me découvrir après-coup ». Le tournage devrait avoir lieu l’été prochain. Ce sera une grande aventure et qui sait, peut-être, le début d’une nouvelle carrière…
En attendant, Dorine met les bouchées doubles dans l’écriture d’un livre qui retrace sa vie. « C’est un projet que j’avais en moi depuis longtemps, mais je pensais que c’était un peu prétentieux de vouloir raconter ma vie, alors que je n’ai que 26 ans. J’ai été poussée par un ami qui a compris que ce travail sur moi me permettre de remettre de l’ordre dans ma vie. Mes problèmes sont antérieurs à mon accident. Ils remontent à mon enfance ». Dorine a trouvé un éditeur. Elle doit rendre son manuscrit en septembre. L’été devrait être chaud pour elle. Elle a déjà écris une soixantaine de pages et elle se sent déjà mieux.
Le bonheur lui va bien.
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