Il a conçu le Cabri, son hélicoptère léger, avec la rigueur d’un ingénieur éclairé. Résultat, Bruno Guimbal doit jouer fin pour ne pas être débordé par la demande. D’autant que ses récents succès commerciaux en Chine et aux USA viennent gonfler son carnet de commandes. Jusqu’à présent, il a réussi à préserver son indépendance.
Aerobuzz.fr – Vous souvenez-vous de votre baptême de l’air ?
Assez bien : j’avais 18 ans, et je venais de décider de me lancer dans la construction d’un avion, mais je n’en avais jamais approché un. Je suis allé à l’aéroclub de St Etienne Bouthéon avec un copain pour en voir un de près. Après une visite du hangar, un ancien, pilier du club et de son bar, nous a proposé de nous emmener voler. Le vol m’a plu, mais je me souviens avoir été déçu par l’avion, que je trouvais « tas de tôle ». En tout cas, chapeau et merci à l’ancien…
Quelle est pour vous la plus belle machine volante ?
Celle qui a les lignes les plus simples et fluides et les moteurs les moins visibles: Le Bugatti 100P, le P180 Avanti, le Mirage 2000, ou plus à ma portée, le Virus. Mais c’est aussi celle que je peux piloter, et le Varieze ou le Cabri parlent bien à mon coeur…
Si vous étiez un aéronef, lequel seriez-vous ?
Un hélicoptère, c’est sûr : la moitié de mon plaisir de voler, c’est de voir d’en haut un carré d’herbe, une rivière, une piste, et de les voir grossir, grossir, jusqu’à poser le pied dessus. J’adore atterrir ! C’est le rêve de la télétransportation.
Quel est votre livre aéronautique de référence ?
Le Petit Prince ! Mais c’est plus universel qu’aéronautique.
Je l’ai lu à chacun de mes enfants, et chaque fois j’ai été très ému.
Quelle est votre dernière lecture que vous recommanderiez ?
Je lis rarement de livres aéro, j’aime mieux m’évader. Le dernier est « Moon lander – how we developped the Apollo lunar module » par Thomas J. Kelly son chef de projet.
C’est incroyable de se mettre dans la peau de cet ingénieur de 32 ans ( ! ) et de son équipe, à qui on demande – partant presque de rien – de concevoir et de tester un truc comme ça, pour envoyer des hommes dedans, et en direct avec le monde entier ! Le tout en quelques années. Ils avaient l’impression que tout était possible. Le ton du récit est très simple.
Quel est votre film aéronautique préféré ?
Sans hésiter « Les chevaliers du ciel » de Gérard Pirès. J’adore le ton, les acteurs (c’est vrai, aussi les actrices…), et bien sûr les images aériennes.
Numéro deux : les dix minutes de Out of Africa où Robert Redford emmène Merryl Streep en Tiger Moth.
Quelle chanson ou quelle musique évoque le mieux l’aviation selon vous ?
Celles que j’ai dans la tête en faisant du radada sur les cumulus : les slows ou rocks planants que j’adore – Dire Straits Brother in arms, Alchemy, Eagles Hotel California, et au top : Scorpions Still loving you.
Quels sont pour vous le plus grand aviateur et la plus grande aviatrice ?
Je ne sais pas dire… Un « auteur – compositeur – interprète », un qui a suivi son aéronef de la planche à dessin à l’exploit aérien. Je connais mal l’Histoire. Celui ou celle qui connaît et respecte le mieux son appareil. Je préfèrerais un civil aussi pour ne pas mélanger aviation et fait d’armes, malgré tout mon respect pour les héros militaires.
Gabriel Voisin, Louis Bréguet, Arthur Young peut-être.
Quel exploit aéronautique auriez-vous aimé réaliser ?
Le premier pas sur la Lune, sans hésiter !
D’ailleurs, Neil Armstrong pourrait bien être ma réponse à la question précédente. C’était tout sauf une « vedette » et même s’il est devenu extrêmement célèbre, il a essayé de rester lui-même et de vivre de son travail.
Ce ne sont plus les aviateurs que les foules accueillent à leur arrivée sur les aéroports, mais les footballeurs. Qu’est ce que cela évoque pour vous ?
Cela me désole. Réaction d’enfants gâtés, blasés par le progrès scientifique et technique. Au même moment l’aviation et en général l’industrie – comme la politique, la justice, les cultes et la police d’ailleurs – sont des activités suspectes de pollution, de corruption, d’enrichissement personnel, de harcèlement, d’abus de pouvoir etc. Le foot a toutes les vertus.
Qu’auriez-vous conseillé à Icare ?
De plus réfléchir (jeu de mots involontaire), de faire confiance à un bon ingénieur qui sache un peu calculer, et de partir avec des ailes qui tiennent mieux la chaleur. Remplacer la cire par de la poix ? J’ai une immense foi dans la puissance du calcul pour relever des défis.
Quel est le plus grand événement ou exploit aéronautique de ces dernières années ?
Le plus grand évènement pour moi – mais c’est le pire – c’est le 11 septembre. Il a conchié durablement l’image et le confort du transport aérien, par toutes les victimes, toutes les paranoïas et toutes les mesures stupides et inutiles qui ont suivi : contrôles aux aéroports, ZIT, etc. C’est une immense défaite.
Côté exploits, on essaie de faire passer pour des exploits des purs produits de com sans aucun progrès pour l’humanité.
Mon idée de l’exploit va plus vers les équipes et les projets d’avenir. J’ai beaucoup admiré le premier vol de l’A380. Faire converger de telles équipes sur une seule machine, ça m’impressionne. C’est tellement loin de ce que je fais !
Vous est-il arrivé de regretter d’avoir pris l’avion ?
Je me sens très en sécurité dans un avion, j’ai confiance dans la mécanique et dans les pilotes. Quand même, je me souviens d’une fois où, après avoir décollé dans un avion de construction amateur, j’ai regardé la qualité de la construction – infâme – et j’ai eu peur jusqu’au toucher des roues. J’aurais jamais dû monter dans ce piège !
Qu’évoque pour vous un aéroport ?
Quand j’y suis, je ressasse cette vieille plaisanterie que j’adapte : « Dieu a inventé les aéroports pour punir les riches ». C’est tellement merveilleux de pouvoir monter dans un avion rapide et confortable pour survoler le monde et atterrir à l’autre bout… il fallait faire quelque chose pour que ce ne soit pas trop injuste. Les contrôles de sécurité, le stress, le luxe tape-à-l’œil y parviennent assez bien.
Sans compter qu’arrivant à l’autre bout du monde, l’aéroport est le même qu’au départ ! Dommage que la technique ait poussé à tout standardiser.
Si on pouvait monter dans un avion comme dans un TGV ce serait parfait pour moi.
Qui ou quoi vous a amené à l’aéronautique ?
C’est très précis : A 18 ans, alors que je passais les concours d’entrée aux grandes écoles, « Science & Vie » (beaucoup plus « techno » qu’aujourd’hui, j’aimais bien) publie un article superficiel avec une photo du tout nouveau « Cri-Cri » de Michel Colomban. Je n’avais jamais approché un avion ni un pilote (aujourd’hui, ça paraîtrait ridicule, mais pas à l’époque), mais j’étais assez féru de construction amateur, je venais de construire un catamaran dériveur, un cyclo, etc.. et bêtement, j’ai été séduit à l’idée qu’un avion rentrerait dans mon atelier – 25 m2 au sous-sol de la maison familiale. Deux semaine après je débarquais chez Michel Colomban à Rueil Malmaison (35 ans après je me souviens encore de l’adresse exacte !). J’ai été bien reçu – Michel Colomban est impressionnant d’expertise et de discrétion – mais je suis revenu très déçu : beaucoup trop minutieux, détaillé pour moi. Je n’aurais pas su faire. Et, bricolant souvent les cyclos, j’aimais pas les moteurs deux temps.
Mais le ver était dans le fruit : je suis allé à l’aéroclub (voir plus haut), et peu après un pilote m’a fait passer un numéro de Sport Aviation qui présentait le Varieze de Burt Rutan. Ça m’a paru conçu comme mon catamaran – ce qui s’est révélé complètement faux, ça m’a plu, et je suis parti à fond sans réfléchir. Un an après, je croyais mon avion presque terminé, j’ai cherché de l’argent pour apprendre à piloter. Encore un an après, je passais le brevet sur mon Varieze flambant neuf, avec dérogation spéciale du SFACT. J’étais élève-ingénieur, je n’avais plus un sou pour payer l’essence !
Je suis arrivé à l’aéronautique complètement par hasard et par lubie, mais j’y suis resté – moitié car le Varieze est une machine extrêmement attachante, moitié parce que j’y ai rencontré des gens formidables qui m’ont marqué.
De quoi êtes vous le plus fier dans votre carrière ?
J’ai porté des innovations dont je suis fier pour la technique, mais c’est normal, c’est mon boulot et je vois des centaines de choses tout aussi astucieuses autour de moi.
Sur un autre plan, je suis fier d’avoir gardé l’indépendance pour mes projets, depuis le tout-début. Les tentations de la perdre pour passer une difficulté sont très nombreuses. J’adore cette citation « Quiconque sacrifie sa liberté pour plus de sécurité ne mérite ni l’une ni l’autre ».
Quelle autre activité auriez-vous pu faire, ou aimé faire ?
J’adore concevoir des objets courants, que j’utilise tous les jours. J’aurais aimé travailler chez Facom, Moulinex ou Shimano.
Aussi, pour mes enfants, j’aurais aimé travailler à l’après tout-pétrole. Je veux dire travailler vraiment, pas juste communiquer en fonçant dans le mur. J’aimerais apporter ma contribution à la révolution qui est devant nous. Pas juste faire semblant de faire des hélicoptères ou des avions électriques, sur des budgets de green-washing. Travailler à l’avenir des transports.
Ceci dit, contrairement à l’idée reçue, les ingénieurs ne feront pas tout : il n’y en aura pas pour tous, tous les jours; il va falloir sacrifier plus pour voler. Mais ça en vaut la peine !
Vous avez aimé Top Gun ? Vous avez adoré Top Gun Maverick ? Avec Romain… Read More
Les hélicoptères Puma HC2 âgés d’un demi-siècle seront retirés du service en 2025. Ils seront… Read More
La tour de contrôle centrale de l'aéroport de Paris-Charles de Gaulle est en travaux. Fin… Read More
Depuis plus de quatre décennies, le Pilatus PC-7 constitue la pièce maîtresse de la formation… Read More
On a rarement vu une compagnie aérienne aussi bien préparée à déposer le bilan que… Read More
Dans un roman, Jean Rousselot raconte à la première personne du singulier la carrière militaire… Read More
View Comments
Bruno GUIMBAL
Bonjour Bruno et bravo pour ta tenacite.
Je me souviens encore de la maquette du cabri sur le toit de ta 4L a l' ESTA ainsi que les grands 8 en varieze au dessus de La Rochelle!
Ca ne nous rajeunit pas...
Genevieve Dupont ESTA 1981
genevieve.dupont17@laposte.net
Bruno GUIMBAL
Que de progrès depuis le jour où j'ai assisté sur le parking de Marignane au premier envol du Cabri, bravo pour cette réussite qui montre une fois de plus et qui porte bien haut le savoir faire et la qualité de l'ingénieur que tu es.
Cordialement un ancien d'Eurocopter.
Bruno GUIMBAL
Super bruno,
Sous tout les sens,bien sur.
Les déçus?ils n'ont pas tout compris.
Peut être n'ont ils pas eut cette folie de construire un varieze. De voler avec,et de faire encore plus avec un hélicoptère révolutionnaire...
Avouer aimer Lire le petit prince est un signe de normalité dans notre drôle de monde...un bon signe de bonne santé morale.
Moi,j'attend ta suite,réinventer notre apres pétrole,
Je suis sur que tu as plein d'idées la dessus.
J'ai très envie de jouer sur cette partition.
A bientôt,
Fabrice,bricoleur et pilote de varieze,fan de St. Ex...
Bruno GUIMBAL
Excusez-moi mais vous faites l'interview de Bruno GUIMBAL et vous trouvez rien de mieux à lui demander que ses goûts musicaux et littéraires ???
Un passionné d'aéronautique qui lit "Le Petit Prince" quel scoop ! Et puis le clou du spectacle : le conseil du jour à Icare... Circulez, y'a rien à voir !
Jean-Miche BALI
Bruno GUIMBAL
Que le bouquin préféré d'un passionné d'aviation soit le petit prince n'est pas forcément une évidence qui va de soi.
Bien que je partage cet avis avec Mr guimbal, il y a du monde aux secondes places
- vol de nuit ou citadelle de st ex
- jonhatan livingstone le goéland et quelques autres œuvres de mr Bach (dont son autobiographie)
- un bon paquet de BD (avec un faible pour biggles - le cygne jaune)
... On verra la réponse a la même question des autres interviewes
Bruno GUIMBAL
Mon Cher Jean-Mi,
Nous avons pris la précaution de préciser que cette interview était décalée. Cette mise en garde aurait du vous alerter.
Tout au long de l'année, Aerobuzz colle à l'actualité de la manière la plus factuelle. Cet été, nous avons décidé d'offrir à nos lecteurs une récréation, en leur proposant de retrouver les acteurs de l'actualité sur des sujets qu'ils n'ont pas l'habitude d'aborder publiquement. C'est un choix éditorial que nous assumons.
Et personnellement, je trouve que les propos de Bruno Guimbal sont d'une remarquable richesse et qu'ils permettent de découvrir le père du Cabri sous un autre jour. Ce sera le cas avec les 31 autres personnalités qui ont accepté de jouer le jeu.
Profitez de l'été pour vous détendre. Vous semblez en avoir besoin !
Gil Roy
Bruno GUIMBAL
Bravo Bruno.
On te connaissait pour tes derniers succès commerciaux mais aussi toutes les difficultés de tes débuts. Mais cet article fait découvrir un homme qu'on connait mieux maintenant et on apprécie mieux là où tu es arrivé ? c'est vrai que les stéphanois sont un peu taiseux! et qu'il faut gratter un peu! continue.
Bruno GUIMBAL
Merci Bruno d'être ce que tu es, merci pour ton engouement qui ne change pas, pour ta fraîcheur et ta simplicité...
Merci encore pour ta gentillesse et la manière extrêmement chaleureuse avec laquelle tu nous a reçus l'an dernier sur l'aérodrome d'Aix lors du 50 ème anniversaire des bombardiers d'eau...
Jean-Noël
Bruno GUIMBAL
A 63 ans je travaille encore pour m'acheter un Cabri,
Je pense que je ni arriverai pas ? tant pis ! me restera un vol en cabri avec Bruno G. au Versoud avec un homme d'exception, autant par sa gentillesse que par sa simplicité.
Quant au Cabri ? il ni a plus rien a dire le succès qu'il rencontre vaut toutes les réponses .
Bravo MONSIEUR GUINBAL
JCF
Bruno GUIMBAL
J'aurais dit campagnolo :-]
Bruno GUIMBAL
Quand l'indépendance soutient la liberté,
Quand la passion soutient l'ingéniosité,
on a des gars comme ça qui ouvrent de nouveaux horizons. Chapeau Monsieur G !
Bruno GUIMBAL
Très bel interview, enrichissant et rafraichissant.
Merci