Dans cette tribune, Gilles Rosenberger, expert en aviation durable chez Time to Fly, exprime ses doutes à propos des choix stratégiques qui orientent la transition énergétique du transport aérien. Et plus encore de leurs vitesses de déploiement. Il se demande si « un sursaut est encore possible ? »
La cause est entendue. La décarbonation du transport aérien (tout comme celle du transport routier, tout de même sept fois plus émettrice…) en 2050 est mal partie.
L’usage de la batterie comme stockage d’énergie n’est toujours pas arrivé à dépasser le transport de 2 personnes (merci Pipistrel !… Je viens de faire mon premier vol en Velis) et aucune annonce de certification d’aéronefs plus gros ne présente beaucoup plus de crédibilité que celle d’un prochain voyage commercial sur Mars : ça peut arriver un jour, mais quand ?
Sans oublier que ce mode de transport n’est décarboné que si la production locale d’électricité est elle-même décarbonée ; alors que l’actualité récente qui conduit à relancer au niveau mondial les productions à base de charbon et de gaz, montre un ralentissement de cette approche.
Pour l’usage de l’hydrogène (décarboné bien sûr !), que ce soit dans une pile à combustible ou dans la chambre de combustion d’une turbine, les premiers prototypes commencent juste à voler et les premiers vols commerciaux ne sont pas envisagés avant 2030 (avec ZeroAvia pour un modèle 19 places et UH2 pour la remotorisation d’ATR et de Dash-800), voire 2035 (pour Airbus).
Comme nous savons que pour chaque segment concerné il faut environ 25 ans pour renouveler 90 % de la flotte, nous pouvons espérer quelques segments de flottes décarbonés en 2055 ou 2060… Si tout se passe bien. Et pour cela, il nous faut imaginer que la totalité des problèmes techniques aient été résolus : stockage cryogénique ou haute pression, production d’hydrogène « propre » en quantité suffisante, distribution, etc.
Sans oublier de mentionner que ces solutions sont loin de couvrir tous les segments du transport aérien. Que faire des autres ?
Alors, il reste le SAF (carburant d’aviation durable) qui a l’énorme avantage de ne rien devoir modifier, ni dans les moteurs, dans les réservoirs, ni même dans la distribution au sol. Seulement quelques opérations de mélange (provisoires) avec du kérosène fossile, le temps que les quantités soient disponibles et que les derniers problèmes techniques (absence d’aromatiques) ne soient résolus.
Le SAF tout le monde y croit. En premier lieu l’industrie américaine. (Au fait ! Qui connait les projets bas carbone de Boeing ? (en dehors du SAF évidemment…))
Mais voilà, ce serait magnifique si la production de SAF était proportionnelle au bruit médiatique des annonces des premiers vols et des projets d’usine.
En 2021, la production mondiale de SAF s’est péniblement élevée à 3 millions de tonnes ; pour un besoin de l’industrie mondiale du transport aérien de l’ordre de 100 fois supérieur (340 millions de tonnes en 2019). Et en comptant l’ensemble des projets d’usines, on arrive difficilement à 3% en 2030 ; là où le volontarisme (bienvenu !) de plans Français et Européens demande 5%. Le 50% reste très loin !
Le premier problème est un problème d’investissement : au-delà des déclarations de TotalEnergies, Neste ou Philipps 66 qui sont les leaders timides de ces technologies, les investissements industriels des énergéticiens restent nettement insuffisants. Il sont très très loin des 500 à 800 milliards de dollar investis chaque année ces dernières années dans le domaine de l’exploration et production (E&P) de pétrole fossile. Pourtant il s’agit de remplacer les hydrocarbures fossiles !
Et la mesure évidente de cette insuffisance est la faiblesse de la production annoncée.
Le second problème est un problème de volume disponible en matières premières et en énergie primaire.
Les premières générations de SAF que nous rencontrons aujourd’hui sont produites à partir de biomasse (les huiles de cuisson, les carcasses graisseuses d’animaux, …) et les quantités disponibles de ces matières sont nettement insuffisantes en Europe, tant et si bien que nous sommes obligés d’importer ces matières depuis l’Asie, voire de produire ces carburants localement en Asie
Les prochaines générations de SAF feront appel à l’électricité pour capter le carbone et pour produire l’hydrogène qui seront ensuite transformés en hydrocarbure. Et là, la question n’est plus celle de la matière première (ni le carbone dans l’atmosphère, ni l’eau à électrolyser ne risquent de nous manquer !) mais de l’origine de l’électricité nécessaire. Combien de centrales nucléaires pour un transport aérien décarboné ? (je sais, les énergies renouvelables vont aussi contribuer …sans oublier que le problème se pose de la même manière pour le transport routier).
Les faiblesses pointées ici sont-elles encore rattrapables ? Éviterons-nous une remise en cause drastique de nos usages et pratiques ? J’aimerais y croire.
Gilles Rosenberger
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Un peu de vue réaliste est la bienvenue. Merci