Le 5 octobre 2021, faisant écho à la résolution approuvée la veille par les compagnies aériennes membres de l’Association du Transport Aérien International (IATA), l’ensemble de l’industrie aéronautique mondiale, regroupée au sein de l’Air Transport Action Group (ATAG) a adopté un objectif de décarbonation à long-terme plus ambitieux que celui initialement établi en 2010 pour s’engager vers un « Net zéro émissions » en 2050 au plus tard. Ce nouvel engagement se base sur l’objectif de l’Accord de Paris visant à ce que la température moyenne mondiale n’augmente pas de plus de 1.5°C. Philippe Fonta, consultant en environnement et développement durable, tente d’expliquer ce nouvel engagement.
Depuis plusieurs années, notamment au fil des publications du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), de plus en plus précises et alarmantes, le dérèglement climatique est passé d’un résultat de modèles mathématiques à une réalité bien tangible. Des évènements climatiques, de plus en plus sévères et fréquents, se développent un peu plus chaque année, y compris dans des régions précédemment épargnées, si bien que plus personne ne peut prétendre en être à l’abri.
Dans ce contexte d’urgence mondiale, il est essentiel que les états, les gouvernements, les différents secteurs économiques et les individus s’associent ensemble vers un même objectif, celui de limiter autant que faire se peut le potentiel et les conséquences de ce dérèglement. Ainsi, l’ensemble des Etats de la planète se sont mis d’accord à Paris en 2015, pour « contenir l’élévation de la température moyenne de la planète nettement en dessous de 2°C par rapport aux niveaux préindustriels et en poursuivant l’action menée pour limiter l’élévation de la température à 1,5 °C par rapport aux niveaux préindustriels ». Cela se traduit dans l’article 4 de l’Accord de Paris par « parvenir à un équilibre entre les émissions anthropiques par les sources et les absorptions anthropiques par les puits de gaz à effet de serre au cours de la deuxième moitié du siècle » : de façon simplifiée c’est le fameux « zéro émission nette en 2050 ».
Dès lors, tout objectif affiché pour 2050 se doit de prendre en compte cette exigence et ne peut pas être moins ambitieux que cela. Pour autant, il ne suffit pas de publier un engagement sans avoir une idée de comment y arriver.
C’est cet objectif qui a été revu à la hausse en termes d’ambition (ou à la baisse en termes d’émissions) puisque le 5 octobre 2021, le secteur s’est engagé à une neutralité carbone (net zéro émissions) en 2050. Cet engagement, pris par les constructeurs aéronautiques (ICCAIA), les compagnies aériennes (IATA), l’aviation d’affaires (IBAC), les aéroports (ACI) et les services de la navigation aérienne (CANSO) (regroupés sous la bannière ATAG) renforcent donc l’objectif pris en 2010 et confirment pour l’ensemble du secteur la résolution adoptée par IATA lors de sa 77ème Assemblée Générale qui se tenait au même moment à Boston (USA).
Lors de cette assemblée, IATA, qui regroupe 290 membres représentant 82% du trafic aérien global, a assorti cette résolution d’un scenario potentiel dans lequel 65% des émissions de CO2 en 2050 seraient réduites par l’usage de carburants d’aviation durable ou sustainable aviation fuels (SAF) en anglais. Pour autant, ce scenario potentiel ne doit pas être considéré comme une feuille de route unique.
Les autres mesures actionnables (nouvelles technologies, améliorations opérationnelles, nouvelles propulsions telles que celles à l’hydrogène ou électriques/hybrides et les mécanismes de compensation par des puits de carbone) sont toutes à considérer et font partie de ce que l’Organisation de l’Aviation Civile Internationale (OACI) appelle le « Basket of measures ». Ce qui est certain c’est que chacune de ces mesures réclamera des investissements massifs et IATA précise bien dans son communiqué de presse que « la répartition réelle et la trajectoire pour y parvenir dépendront des solutions les plus rentables à un moment donné » rendant impossible une feuille de route unique. C’est pour cela qu’ATAG a publié, au même moment, une révision de son rapport Waypoint 2050 où trois types de scenarios sont présentés pour atteindre le Net Zéro en 2050.
IATA et ATAG ont aussi réaffirmé leur soutien au système de compensation et de réduction des émissions connu sous le nom de CORSIA (Carbon Offsetting and Reduction Scheme for International Aviation) développé par l’OACI. Contrairement à ce qui a pu être dit ou écrit par ailleurs, CORSIA ne constitue pas un objectif à long-terme qui aurait été remplacé par ce nouvel engagement de l’industrie. Il y a de nombreuses différences qu’il est important de clarifier :
Pour ce qui est de la stabilisation, la crise a fait que le niveau de 2019 n’a pas été dépassé et qu’il ne sera pas retrouvé avant 2024-2025, date à partir de laquelle on pourra alors vérifier cet engagement.
En regardant plus en détails certains éléments du scénario possible de IATA, on peut noter :
Bien entendu, il sera essentiel de démontrer que les carburants d’aviation durables utilisés remplissent bien les conditions qui leur permettent d’être qualifiés de durable, et entre autres que la réduction des émissions de CO2 sur l’ensemble du cycle de vie seront remplis. Des organismes accrédités sont chargés de vérifier, comme ils le sont aussi pour les programmes de compensation et les projets initiés, qui sont bien loin de se limiter à de la reforestation et de la réhabilitation de tourbières. L’exemple de ce que font les aéroports au travers de l’Airport Carbon Accréditation (ACA) en est déjà une illustration, avec une 60aine d’aéroports déjà neutres en carbone sur leurs opérations propres. Par exemple, en 2019, pour les aéroports de la Côte d’Azur, ce sont ainsi 1.961 tonnes équivalent CO2 qui ont pu être compensées, à travers 3 projets et selon une méthodologie de calcul certifiée par les Nations-Unies : elles ont consisté en :
En ce qui concerne les options de capture de CO2 et leur potentiel dans la fabrication de Power to Liquid (PtL) fuels ou e-fuels, des études développées par la Energy Transition Commission (ETC) et le World Economic Forum (WEF) illustrent, si besoin, que ces technologies ont certes encore besoin de développement et de réduction des couts mais ont aussi un potentiel bien plus élevé que certains veulent bien le dire. Il ne faut pas oublier que la capture du CO2 est essentielle pour que certaines industries intensives en énergie (ciment, acier, …) remplissent leurs objectifs en ligne avec les accords de Paris. Par exemple, le secteur du ciment et du béton a publié une feuille de route Net Zero 2050, le 12 octobre 2021, dans laquelle la capture du CO2, combinée à son stockage et son utilisation, représente le levier principal avec 36% de leurs émissions à réduire en 2050, représentant 1370 Mt de CO2, soit environ 75% du besoin de décarbonisation total de l’aviation.
En conclusion, de nombreuses compagnies et quelques secteurs se sont engagés à un objectif Net Zero en 2050. Il n’y a pas plus (ni moins) de raison de douter du secteur de l’aviation que de douter d’autres secteurs sur leur capacité à y arriver. Le secteur aérien a toujours su repousser les limites et il me laisse penser, personnellement, que si le défi est de taille, l’aérien y arrivera malgré tout.
Philippe Fonta
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Il est en effet peu courant qu'Aerobuzz publie deux articles sur le même sujet. Ces deux publications me semblent tout à fait différentes.
La mienne est une description (certes un peu longue) factuelle, étayée, documentée (avec les liens vers les documents cités) pour que les lecteurs d'Aerobuzz, souvent connaisseurs des sujets aéronautiques, puissent se faire un idée au sujet des derniers engagements de l'ensemble des acteurs du secteur aérien. Sur la base de ces documents, et donc des études associées, je me suis laissé aller, en conclusion, dans la toute dernière phrase, à indiquer ma perception et ma vision du sujet.
Celle de Gilles Rosenberger est, non pas une description mais une interprétation personnelle de l'auteur, succincte, son point de vue sur chaque élément d'un des scénarios possibles présenté par IATA.
La tribune que j'ai écrite n'est donc pas en réponse à celle de Gilles Rosenberger, même si j'en profite pour y corriger quelques inexactitudes (CORSIA n'est en rien l'objectif précédent celui de Net Zero par exemple, et les objectifs annoncés jusqu'alors ont tous été tenus comme le concède Gilles Rosenberger dans son commentaire mais contrairement à ce que était écrit dans son article).
Si les deux approches me semblent respectables, aucune référence à des études existantes et qui prendraient en compte les hypothèses soutenant les récents engagements du secteur ne cautionnent la position de Gilles Rosenberger. Il s'agit donc d'un point de vue personnel, encore une fois respectable, mais uniquement un point de vue, assez en ligne d'ailleurs avec les positions affichées par le Shift project, ce qui semble naturel de la part d'un Shifter comme Gilles.
L’histoire est truffée d’exemples démontrant que les catastrophes annoncées par des experts ne se matérialisent jamais : par exemple, en 1894, un journaliste du Times de Londres écrivait que dans 50 ans, avec le développement de son urbanisation, toutes les rues de Londres seraient enfouies sous deux mètres de crottin de cheval. Ou encore que les système de téléphone ne se développerait pas à l'échelle mondiale car il manquerait d'opératrices pour passer les communications et connecter les personnes.
A l'époque de la 5G, cette dernière prédictions fait doucement rire. Elles ont pourtant toutes un point commun : ces mêmes experts sont incapables de percevoir les changements révolutionnaires qui se déroulent sous leurs yeux et à anticiper les ruptures technologiques parce qu'ils supposent que le développement des technologies va continuer comme avant, sur le rythme du passé. Or comme l'écrit si bien le directeur de Sup Aero dans le dernier rapport du Shift de Mars 2021, à propos du rythme du progrès technologique.: "La tendance naturelle est de l’extrapoler à partir du passé. Cependant, la vitesse à laquelle les premiers vaccins anti-Covid ont été développés vient de démontrer de façon éclatante que ce rythme s’accélère fortement quand la communauté internationale des scientifiques et des ingénieurs compétents se focalise sur un problème urgent."
Certes, comme le dit Gilles Rosenberger, le match n'est pas gagné. Mais il n'est pas perdu non plus. C'est à la fin du match que l'on compte les points.
Pour ma part, je n'ai jamais refusé d'entrer sur un terrain de rugby parce que le défi semblait, à certains, insurmontable. Dans pareils cas, je n'ai certes pas toujours gagné, mais le fait de me retrousser les manches (au lieu de baisser les bras), de ne jamais rien lâcher, de faire confiance à mes coéquipiers et de les aider pour l'objectif commun ont fait que nos avons gagné des matches pour lesquels le pronostic était loin d'être favorable.
Il est rare qu'Aerobuzz décide de publier 2 articles différents sur le même sujet : en fait un premier article relativement bref et une longue tribune signée ici par Philippe Fonta. La présente tribune est clairement une réponse ou plutôt un écho au papier que j’ai signé quelques jours plus tôt.
Le sujet est d’importance : il s’agit de la feuille de route du transport aérien pour les 30 années à venir et probablement bien plus.
Qu’est-ce qui nous rapproche Philippe Fonta et moi (que je n’ai jamais rencontré qu’au téléphone ou sur d’autres réseaux sociaux) : nous partageons l’ADN de l’aviation et avons réussi en faire notre métier. Tous les deux aujourd’hui, dans le Conseil et je pense pouvoir affirmer que chacun d’entre nous œuvre régulièrement pour permettre à notre industrie de se développer tout en respectant l’impérieuse nécessité d’en réduire ses émissions.
Mais qu’est-ce qui nous sépare alors ? Le degré de notre confiance dans notre industrie à être capable de faire face à ces challenges dans les délais nécessaires. Et ces derniers mots sont fondamentaux. Pour faire court, j’ai un bon niveau de confiance dans la réussite des mesures techniques et des mesures comportementales (des pilotes comme des passagers) mais pas dans le délai auquel Philippe Fonta semble accorder sa confiance.
Je continue par exemple à lire sous la plume de Philippe que cette industrie est crédible car elle a réussi à tenir ses objectifs de réduction d’émissions grâce aux progrès technologiques. Et en tant qu’ingénieur, comme lui, je ne peux que reconnaitre ces progrès techniques. Mais je dénonce le glissement sémantique qui transforme ces progrès techniques en vertu environnementale : le transport aérien s’est nourri d’une forte croissance qui aboutit à bien plus d’avions moins émissifs individuellement mais plus émissifs globalement (par justement l’effet nombre). C’est typiquement ce que l’on appelle couramment du green washing : communiquer sur un point particulier bien vertueux pour éviter de parler du « schéma global ».
Ces dérives sémantiques et les débordements de communication sur des points de détails (comme la transformation de l’huile de friture en kérosène) ne m’engagent pas à une confiance aveugle. Car dans cette belle feuille de route basée à 63% sur les carburants de substitution, il manque un acteur de poids : l’industrie pétrolière.
A quoi s’est -elle engagée ?
Rien à ce jour car elle sait que si elle arrive à produire des volumes significatifs de kérosène à des "prix raisonnables", on lui demandera aussi du gasoil. Et là les quantités n’ont rien à voir !
Un dernier point sur les prix cibles des SAF : « on » appelle à des prix raisonnables (…). Mais comment va-t-on changer la physique : aujourd’hui pour mettre 1 kWh de carburant fossile dans un réservoir, il faut dépenser environ 1,2 kWh (soit 0,2 kWh pour capter, raffiner, stocker et transporter). Aucun des SAF aujourd’hui de descend en dessous des 2,5 kWh.
Alors on peut espérer des gains à venir sur la technologie mais pas sur la physique.
Et on sait déjà que l'Energie du futur (décarbonée) sera rare et cher.
Et tant que les essenciers ne nous auront ni expliqué comment ils vont produire ces quantités ni comment ils vont améliorer les process pour dépasser les limites de la physique, alors cette feuille de route est loin d’avoir atteint le niveau de crédibilité attendu.
Au pays du rugby, cette feuille de route, s’appelle un « coup de pied à suivre » : botter le ballon loin, dans la bonne direction, pour éclaircir le jeu et relâcher la pression locale, en espérant qu’un de nos coéquipiers pourra le réceptionner …
Le match n’est pas gagné.