Comment Saint Exupéry aurait-il vécu la situation de crise que le monde de l’aérien traverse aujourd’hui ? C’est la question que soumet ici, Jacques Arnould, connaisseur et lecteur assidu de l’œuvre d’Antoine de Saint-Exupéry.
« Pourquoi nous haïr ? Nous sommes solidaires, emportés par la même planète, équipage d’un même navire. » Celui qui écrivait ces mots, en 1939, n’est pas connu pour ses qualités de marin, mais pour celles d’aviateur : de l’équipage, Antoine de Saint-Exupéry avait l’expérience des avions des lignes aériennes Latécoère et de l’Aéropostale ou encore des appareils de reconnaissance de la deuxième guerre mondiale. À leur bord, il avait volé au-dessus de tant de territoires, franchi des montagnes si hautes et des mers si étendues qu’il pouvait écrire, dans le même livre, Terre des hommes : « Le plus merveilleux était qu’il y eût là, sur le dos rond de la planète (…) une conscience d’homme. » Ainsi reliait-il, dans sa pensée comme dans son action, l’expérience de la camaraderie entre pilotes engagés dans la même (dangereuse) aventure à la conscience de vivre sur une planète singulière et limitée. Et cette coïncidence lui inspirait un sentiment de responsabilité à l’égard des hommes comme de la Terre : « Je suis responsable de ma rose », a-t-il fait dire à son petit Prince…
Saint-Exupéry est né il y a cent vingt ans ; cet anniversaire est marqué par plusieurs événements, en particulier une exposition et un ouvrage tous deux de grande allure.
Cela me paraît particulièrement opportun au moment où le domaine aéronautique rencontre de violentes turbulences. Alors que, depuis mars dernier, la pandémie cloue littéralement les avions au sol et menace l’existence des compagnies aériennes et du secteur économique qui leur est associé, la campagne de dénigrement dont il est l’objet depuis 2015, qu’elle se nomme flygskam (la honte de prendre l’avion) ou plane bashing, bat son plein jusqu’à des tentatives d’occupation des plates-formes aéroportuaires par des activistes. Sans prétendre imaginer ce que Saint-Exupéry aurait lui-même pensé de cette double crise qui touche de plein fouet l’aviation, nous pourrions du moins nous laisser interroger, inspirer par son expérience et sa sagesse.
L’auteur de Vol de nuit n’a pas connu l’essor du transport aérien qui a marqué l’après-guerre grâce, en particulier, à la mise au point des moteurs à réaction et des cabines pressurisées : le Boeing 747, le Jumbo jet par excellence, a volé pour la première fois en 1969 et le premier Airbus, le bien-nommé, décolle en 1972. Toutefois, à bord des avions de Latécoère et de l’Aéropostale, il a contribué à la naissance des lignes aériennes et a deviné les bouleversements qu’elles introduiraient au sein de nos sociétés.
À son époque, il n’était pas encore question de pollution de l’air ni de changement climatique, mais déjà d’une contribution majeure aux mouvements de mondialisation qui avaient débuté bien plus tôt, grâce au transport maritime, et qui sont devenus, au cours du XXe siècle, une véritable globalisation.
Vingt-cinq ans après la disparition tragique de Saint-Ex, lorsque des hommes contournent la Lune et y posent le pied, c’est encore cette image de l’équipage et du vaisseau qu’ils empruntent pour décrire leur vision de la planète Terre et le lien qu’ils découvrent entre ses habitants.
Mais il reste encore à donner une mission à cet équipage. À ses pilotes, Pierre-Georges Latécoère avait confié celle de poser les premiers jalons d’une audacieuse ligne aérienne ; aux astronautes américains et aux équipes de la NASA celle de gagner pour leur pays la course à la Lune…
Laquelle revient aujourd’hui à l’équipage que nous formons, nous les humains ?
Comment honorer le mot de ce meneur d’hommes que Saint-Ex, de ce « caïd » si nous pensons à Citadelle : « il convient en permanence de tenir éveillé en l’homme ce qui est grand et de le convertir à sa propre grandeur » ? Je sais que la philosophie de son œuvre posthume, teintée d’un aristocratisme dur, peut effrayer, non sans raison ; mais n’est-il pas exact qu’il faille préférer, pour l’humanité, la grandeur à l’humiliation, à l’effondrement ?
Raison garder, en particulier dans nos manières de consommer les ressources limitées de la Terre, ne peut pas signifier diminuer, rapetisser. Quel horizon désigner, dessiner pour garder le regard levé ?
Je ne doute pas un instant que Saint-Ex aurait attentivement écouté les activistes du flygskam et les partisans d’un arrêt des activités aériennes, au nom de la protection de notre environnement. L’ingénieur qu’il était aurait analysé les chiffres avancés par les différents protagonistes pour justifier et défendre leurs positions respectives ; il se serait aussi penché sur les projets des constructeurs visant à réduire l’empreinte des avions du futur, leur aurait posé des questions, avancé des suggestions.
À nous tous, Saint-Ex aurait enfin rappelé qu’« une civilisation repose sur ce qui est exigé des hommes, non sur ce qui leur est fourni », un mot écrit dans Pilote de guerre et qui résonne juste à une époque où nous devons affronter des défis globaux aussi complexes et périlleux que ceux liés à un conflit armé.
Pour un homme qui a toujours recherché l’action et l’engagement, l’exigence n’est certainement pas un frein mais au contraire un moyen d’aller de l’avant ; elle doit être associée à des terres inconnues à explorer, à des humanités nouvelles à rencontrer.
Suffisent-ils à nous engager dans un futur à imaginer, à construire ou, pour commencer, à nous rendre véritablement responsables du présent ? Les êtres humains, Saint-Ex en est convaincu, sont les porteurs d’un élan qui trouve ses racines dans la genèse de l’univers lui-même ; l’aviation en a été, au cours du XXe siècle, l’une des manifestations les plus singulières. La briser net serait briser en partie cet élan ; au contraire, lui donner de nouvelles exigences et une nouvelle orientation serait probablement profitable à tout « l’équipage ».
Jacques Arnould
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À lire les différents commentaires, nous retrouvons encore dans ces quelques lignes toutes les facettes de notre société,. Certains s'attachent à ce que rapporte l'auteur en cherchant une faute et jugeant son style. D'autres parlent du fond et de ce que ferait saint ex. Le texte n'est qu'un excellent moyen qui nous est donné par l'auteur pour réfléchir au futur de l'aéronautique, un exercice d'écriture qui n'a pas la prétention de penser à la place de Saint ex mais qui projette ses pensées face à un problème mondial jamais connu. Bravo à l'auteur, merci aerobuzz de nous faire plaisir très souvent avec vos reportages, et à tous les penseurs et donneurs de leçon, reprenez un peu d'humilité en restant lecteur ou spectateur, mais pas en pensant que votre avis est forcément le bon. Nous sommes un équipage, et si l'on apporte plusieurs personnes dans un équipage, c'est pour qu'ensemble, avec l'avis et l'expérience de chacun, le vaisseau que nous pilotons aille le plus loin, le mieux possible.
...Et à part ça, vous, vous n'êtes pas un donneur de leçons, donc.
LOL 😂
L’ingénieur St-Ex n’aurait pas validé sans preuve l’imputabilité du réchauffement climatique à l’homme. Le citoyen St-Ex s’est toujours méfié des hommes de pouvoir et des partisans (cf. son refus de rejoindre les gaullistes alors qu’il est exilé à New York). Il aurait démasqué l’imposture du capitalisme vert derrière le masque du Flygskam. Il aurait probablement dans le même temps dénoncé l’absence de cause d’un transport de masse qui ne rapproche plus les hommes... Et il désespérerait de la termitière marchande qu’est devenu notre monde et de la communication mensongère généralisée...
@Engel... ah bon ? alors moi je deviendrai peut-être général d'armée aérienne soixante ans après ma mort. Ingénieur, c'est comme médecin, on l'est ou on ne l'est pas - ce qui ne veut pas dire que ne pas en être est déshonorant.
C'est vrai que les contrôleurs aériens qui étaient des techniciens auparavant, ont fait grève pour avoir le titre d'ingénieur, et qu'à l'ENAC beaucoup (tels les EPL, sans parler des TSSEAC ) n'ont pas ce titre mais arrivent à persuader le public qu'ils l'ont. Comme les pilotes qui font des vols de sortie de révision et qui se disent pilote d'essais. Tout ça n'est pas bien grave et ne tue personne, juste les petites vanités humaines, qu'il est distrayant de signaler.
Il n'était pas ingénieur diplômé mais j'en connais qui le sont et qui ne lui arriveraient pas à la cheville: son amis Jean Israël disait de lui qu'il avait un esprit scientifique aussi bouillonnant que celui de Léonard de Vinci .. Les ICNA on fait grève pour avoir ce titre on leur a donné satisfaction, mais leur "titre" à ce jour n'est toujours pas reconnu par la CTI (commission du titre d'ingénieur ) le diplôme d'ingénieur d'Etat est une affaire sérieuse qui ne s'obtient pas en battant le pavé avec des pancartes .. St Ex a déposé en gros une dizaine de brevet concernant principalement l'aéronautique et plus précisément la navigation aérienne .. les plus avancés sont les N° 924502&503 qui font de lui l'inventeur de notre DME d'aujourd'hui ce qui n'est pas rien ( voir Icare N°78 p 62/63 ) .. C'était aussi un bon matheux il est en outre l'auteur du célèbre problème dit "du Pharaon" qui est très amusant, mais mais qui n'est pas à la portée du premier ICNA venu :))
Saint-Exupéry ingénieur ? et depuis quand ?
Le personnage a suffisamment de qualités pour qu'on ne lui en joute pas d'imaginaires.
Sauf à considérer qu'un échec à l'oral de Navale vaut finalement un titre d'ingénieur.....
https://www.antoinedesaintexupery.com/2014/06/26/antoine-de-saint-exupery-devient-ingenieur/
@Bourgeois
Les Allemands, en 40, ont essayé de nous imposer un monde "sans frontières".
Les pseudo-humanistes d'aujourd'hui prétendent nous convaincre que c'est possible sans casse.
Et vous appuyez vos propos en traitant de débiles la moitié des Anglais, tous ceux qui ne "gobent pas" sans recul les déclarations officielles (et hop, complotistes, camp des idiots....alors que les sages se prostèrnent intelligemment devant nos dirigeants forcément eux-même sages et honnētes) et donc en agressant des millions de gens qui ne sont pas forcément plus égoïstes (ou plus bêtes) que vous.
Je crois que c'est ignorer des réalités pourtant flagrantes : l'homme est perdu s'il ne se sent pas partie prenante d'un groupe (une famille,un village, une région, un pays, un continent....un terrien !)
Votre raisonnement tiendrait la route s'il pouvait se satisfaire du dernier groupe.
Peut-être êtes-vous de ceux-là, bravo.
Sinon, supprimer (ou nier, ce qui revient au même) les folklores, les traditions, les coutûmes (alimentation, habillement, sėdentarité (ou non), aspirations (voler, faire du sport, jouer aux cartes...) etc. c'est aller contre la nature humaine.
Je suis, comme vous, désireux d'un monde plus apaisé, moins égoïste et surtout moins violent.
Traiter d'idiots tous ceux qui refusent de se contenter d'être un des dix milliards d'éléments sans autonomie, contraint d'aimer ceux qu'ils pourraient plus naturellement ignorer, tenu d'adopter une religion universelle (celle contre laquelle ils n'auraient donc pas le droit de "se battre") etc. dans un monde uniforme où ils n'auraient que le droit d'obéir aux règles imposées par le plus grand nombre ne me parait pas un bon moyen de conviction.
Au contraire....
N'ayant pas lu tout St.Ex. (mais m'y employant) je souhaiterais que Jacques Arnoult nous précise si ce qui est écrit en gras dans son article est vraiment extrait des textes de l'écrivain pilote ou si ce sont juste des pensées qu'il lui attribue.
Dans le second cas, je trouverais choquant qu'on "fasse parler les morts" pour appuyer un avis (à la mode) sur la promotion d'un mouvement d'extrêmistes qui ne savent pas compter dirigé par une gamine autiste, certe charismatique, mais en aucun cas détentrice d'une quelconque vérité que sa grande expérience de la vie lui aurait insufflėe. (Je rappelle qu'elle a bâti toute sa propagande en séchant l'école, dans la rue, alors que ses camarades de classe étudiaient justement au même moment les diverses sciences de la vie qui lui auraient permis de relativiser ses affirmations péremptoires.)
Citer quelqu'un est une chose, le faire hors contexte est déjà à la limite de l'honnêteté, inventer des citations et les attribuer à quelqu'un de célèbre relève de la manipulation (très à la mode également de nos jours).
Nul doute que St.Ex. , humaniste, se serait prėoccupė d'écologie.
Qu'il se soit engagé dans un mouvement de propagande orientée (le flygskam) serait très surprenant, il était trop intelligent pour ça.
Attention, ça va dégainer !..
Les citations sont toujours entre guillemets ! C'est la règle typographie.En conséquence : pas de guillemets, c'est l'auteur, en l'occurrence Jacques Arnould qui s'exprime.
Les citations de St Ex sont mises entre guillemets. Sans guillemets, ce sont les mots de Jacques Arnould.
Merci Monsieur Arnould. Au plaisir de vous relire sur Aérobuzz à l'occasion.
- "Il convient en permanence de tenir éveillé en l’homme ce qui est grand et de le convertir à sa propre grandeur"
- "Une civilisation repose sur ce qui est exigé des hommes, non sur ce qui leur est fourni"
Tout est dit.
Etant français de moins de 30 ans, j'ai beaucoup reçu, et on ne m'a rien demandé.
Merci Monsieur de Saint-Exupéry, de nous éclairer sur la Nature de l'Homme. Vous devez assurément souffrir, là haut, de nous voir dans notre individualisme.
"Désormais, comme l’écrit St Ex, il faut considérer l’humanité comme un équipage, embarqué sur un unique vaisseau"
Hélas on n'en prend pas du tout le chemin, dans cette période difficile où la solidarité est plus que nécessaire, mais où nombre de "bas de plafond" contestent sans preuves, en limite de théories complotistes le plus débiles, préconisent le repli sur soi, la fermeture des frontière et applaudissent le brexit,... il est à craindre que l'humanité n'arrivera jamais à cette sagesse.
Le temps des pionniers n'est plus
il est toujours suivi de celui des affairistes
Pour vous en étonner
venez vous de naître ?
Dans mon ouvrage 'Saint-Exupéry ses combats' (mon troisième sur cet écrivain avant tout pilote), j'ai voulu démontrer sa volonté de mettre ses actes en accord avec ses idées. Le parallèle de son engagement à défendre son pays avec ses écrits de Citadelle ('son poème' disait-il avant que Gallimard le baptise de façon posthume) en est la pierre angulaire. Je ne sais si M. Arnould l'a lu.
Bonjour,
Élément de réponse à la question : "La termitière future m'épouvante. Et je hais leur vertu de robots..."
La fin de cette citation: "moi, j'étais né pour être jardinier"... bio, peut-être ? en permaculture (respect du vivant) , sans doute. l'engagement (politique) n'était pas forcément son truc mais Mermoz restait son ami même après son engagement dans les croix de feu; Comprendre et ne pas juger ferait du bien à tous , (anti)-écolos compris.
Justement la gestion de l'aéroport de Lyon est dorénavant confié à un équipage privé d'interets privés avec dividendes en bourses rentabilité tune pognon argent licenciement et tout le toutim. Et par la même occassion, cet équipage s'occtroit un aéroport portant le nom d'un ou de Saint... Bravo les gars!
Avoir débaptisé Satolas n'était qu'une opération de com' de politiciens locaux (on a déniché la bâtisse où il passait ses vacances enfant dans le département voisin, et c'était tout..) Pour un maire ou un député de province, plutôt que de chercher à résoudre un problème (chômage, mévente agricole, insécurité, désertification) en faisant face à de probables oppositions d'un bord ou de l'autre, quoi de plus facile et consensuel que de réunir la presse et les autres élus, et de rebaptiser un aéroport ? comme ça on parle de vous, on boit un verre ou deux, et ça n'a rien couté - exit donc Fréjorgues, Marignane, Campo dell' Oro, Guipavas, Rivesaltes, Chateau-Bougon..) Moi je préférais ces noms de la province française - ah me dit-on, c'était dur à prononcer pour les anglais - et alors, qu'est-ce qu'on s'en f..... !
Revenons à St-Ex : c'était une mine inépuisable de citations gentillettes, voire absconses, parfaites pour les pots de prises de commandements : "et je terminerai en citant Saint-Exupéry..."
J'avais justement commandé au siècle dernier l'unité où ce personnage fit sa guerre en 40 (cf "Pilote de guerre") Je ne suis pas sûr que cela me donne autorité pour en parler - toujours est-il que j'avais de mon côté réalisé ma propre anthologie de "citations de St-Ex", sur les sujets les plus improbables, mais où cette unité se trouvait citée (et cela coupait court à une autre unité qui revendiquait le même héritage) A ma connaissance, personnage n'a jamais fait de travail équivalent sur cet auteur.
Bien d'accord avec Mr Berger : faire parler les morts sur les polémiques du jour est un procédé que je trouve contestable.
"Historien des origines de notre système planétaire" ... "chargé des questions d'éthique" - ben mince alors - ça doit être l'occasion de se faire quelques bouffes.
Bonjour Stormy, moi "historien des origines de notre système planétaire" et "chargé des questions d'éthique" (dans l'univers ?), limite, ça me fout la trouille ! Peut-être parce que je ne comprends pas tout, que je suis trop bas de plafond...En tout cas, cher Stormy, continuez comme ça, j'adore vos contributions avec quelques autres sur ce site.