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Défense

2021, l’année de tous les records pour le Rafale de Dassault

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Frédéric Lert

Une semaine seulement après l’annonce de la vente de 12 Rafale d’occasion à la Croatie, les Emirats Arabes Unis (EAU) s’engagent sur l’achat de 80 avions neufs au standard F4. La fin d’année 2021 est exceptionnelle pour l’avion de combat français.  A ce stade, Dassault Aviation a 120 Rafale à livrer entre 2027 et 2031.

Médias et communicants officiels se rejoignent pour souligner l’ampleur du contrat signé avec les EAU. Les rumeurs qui bruissaient ces derniers mois ne faisaient référence qu’à une soixantaine d’avions, dont une partie sous forme d’options. L’annonce qui porte sur 80 Rafale  pour, dit-on, environ 16 milliards d’euros commandés ferme a donc de quoi surprendre !

D’un trait de plume, les EAU s’apprêtent donc à devenir les deuxièmes utilisateurs de l’avion de combat derrière la France. Mais l’Inde est en embuscade et pourrait bien un jour bousculer l’ordre établi sur le podium… Les avions achetés par les EAU seront au standard F4 (sans doute même F4.2, plus complet) et c’est là la deuxième information essentielle contenue dans l’annonce officielle. Un coup d’oeil dans le rétroviseur permet d’expliquer pourquoi…

La vente du Rafale aux EAU a été évoquée à partir de 2008, de même que de l’achat de F-16 supplémentaires ou même de Typhoon.

Concernant l’avion français, il n’était question à l’époque que du standard F2. Or les EAU disposaient déjà à ce moment là d’une soixantaine de  Mirage 2000-9 : une bête de course, le mariage dans une seule cellule d’un Mirage 2000D de pénétration et bombardement et d’un M2000-5. « Le Mirage 2000-9 est un petit Rafale, avec en outre une capacité Mach 2 qui échappe au biréacteur » résument les connaisseurs.

Ajouter un Rafale F2 à cette flotte de Mirage n’aurait sans doute servi qu’à dupliquer des capacités et l’option Rafale s’ensabla dans le désert.

Saut de génération

En novembre 2019, les Emiriens  annoncèrent au salon de Dubai la modernisation de leur flotte de Mirage 2000-9, pour un coût de 490 millions de dollars : intégration de la nacelle de désignation laser Talios, d’un viseur de casque, modernisation des équipements de guerre électronique, du radar etc. Les Mirage repartaient pour dix ans, jusqu’à l’horizon 2030. Et c’est justement à cette date que montera en puissance le Rafale, avec un standard F4 qui apportera pour le coup une véritable rupture capacitaire avec la flotte de Mirage.

Les Mirage 2000-9 des EAU sont les plus perfectionnés de la gamme Mirage. Leur remplacement par du Rafale prendra tout son sens avec le standard F4.2 du biréacteur. © Frédéric Vergneres

En 2030, ces derniers auront une trentaine d’années, le bon âge pour entamer une deuxième carrière sous d’autres couleurs. On ne sait d’ailleurs pas encore ce que deviendront précisément ces appareils. On peut tout de même imaginer d’une part qu’ils feront l’objet d’une reprise dans le cadre du contrat Rafale et d’autre part qu’ils ne rejoindront pas les rangs de l’Armée de l’air française. Celle-ci est déjà entièrement engagée dans le programme Rafale et la modernisation des Mirage 2000D et elle n’a pas de marge de manoeuvre pour s’encombrer d’une nouvelle flotte ancienne, donc lourde en maintenance.

Voler sous les couleurs d’acteurs privés ? Il faudrait à leurs utilisateurs les reins très solides pour exploiter ces avions complexes dotés d’une avionique particulière.

Un théâtre d’opération régional étroit

Mais revenons au Rafale F4 aux couleurs des EAU. L’avion va arriver dans une zone très volatile, avec un voisin remuant, l’Iran, une première zone de guerre au Yemen, une seconde un peu plus loin, en Libye, et une attaque en septembre 2019 par drones et missiles de croisière contre les installations pétrolières en Arabie Saoudite qui constitua un véritable électrochoc.

Six pays au sud du golfe persique sont aujourd’hui réunis au sein d’un Gulf Coopération Council (GCC) et tous ont consacré ces dernières années des sommes colossales pour la modernisation de leurs forces aériennes : outre les contrats en cours avec les EAU, on compte 16 F16V block 70 pour le Bahrein, 28 Super Hornet block III et autant de  Typhoon pour le Koweit, 36 Rafale, 24 Typhoon et 36 F-15QA pour le Qatar, Typhoon et F-15 modernisés pour l’Arabie Saoudite…

Le missilier MBDA est l’autre grand bénéficiaire du contrat Rafale, mais les Emirats Arabes Unis cherchant à développer leur propre base industrielle (ici des munitions Al Tariq montées sous un Mirage 2000-9), les négociations vont être serrées. © Frédéric Vergneres

Les flottes sont colossales mais le théâtre d’opération régional bien étroit. Les menaces peuvent arriver très vite, ce qui pousse les pays du GCC à augmenter leur moyens de surveillance, de communication et de coordination.

Avec le Rafale F4, les EAU optent pour un avion qui sera doté de capacités de connectivité très poussées et pourra jouer un rôle central dans ce tableau.

Quid des USA et du F-35 ?

Reste une inconnue de taille : que vont faire les Américains ? L’an dernier, dans les derniers jours de la présidence Trump, un accord diplomatique entre les EAU et Israël avait ouvert la voie à la vente de F-35 aux Emiratis. On avait alors évoqué la fourniture de 50 F-35A, de munitions et de 18 drones MQ-9B Sky Gardian pour un peu plus de 23 milliards de dollars.

Ce contrat est aujourd’hui dans le coma. Les Etats-Unis vont-ils le ranimer pour replacer le F-35 ? Ou au contraire, en poussant l’art du paradoxe, peut-on imaginer que la vente du Rafale représente une élégante porte de sortie pour la Maison Blanche en lui évitant de poursuivre une vente encombrante, initiée par l’administration précédente ?

La Croatie, une autre victoire française

A côté du grand jeu déployé dans le Golfe, la vente de douze avions d’occasion à la Croatie, officialisée le 25 novembre 2021 lors d’une visite officielle d’Emmanuel Macron à Zagreb, passerait presque pour quantité négligeable. Il s’agit pourtant là aussi d’une belle victoire pour Dassault et la France.

La Croatie recevra ses huit premiers appareils fin 2023 ou début 2024 et les quatre autres en 2025. Un deuxième contrat signé le 25 novembre 2021 porte sur le soutien technique pour les trois premières années d’utilisation opérationnelle. On annonce en outre à Paris et Zagreb la signature d’un partenariat stratégique entre les deux pays.

A chacun de juger si c’est le choix du Rafale qui entraîne la création d’un partenariat où si c’est au contraire la volonté de rapprochement qui se traduit par la commande de Rafale…

Le Rafale victorieux face au F-16 F-16C/D block 30 et au Gripen

La Croatie est en 2021 l’un des deux derniers pays européens volant sur MiG21, l’autre étant la Roumanie équipée de Lancer, des MiG21 modernisés avec l’aide d’Israel.

Le remplacement de ces avions âgés d’un demi-siècle s’imposait mais il n’était pas simple. Il y a bientôt quatre ans, en mars 2018,  la Croatie avait annoncé l’achat de 12 F-16 F-16C/D block 30 d’occasion auprès d’Israël. Pour environ 500 millions de dollars, les Israéliens proposaient les avions,  la formation des pilotes et mécaniciens, le matériel de mise en oeuvre, un stock de rechanges, des munitions et quelques travaux d’infrastructure.

La vente fut cassée en janvier 2019 par les Etats-Unis qui avaient un droit de regard sur la réexportation des appareils qu’ils avaient initialement vendus à l’état hébreu.

Un nouvel appel d’offre lancé en décembre 2019 mis cette fois aux prises le F-16V (block 70) neuf proposé par les Etats-Unis, des Gripen C d’occasion proposés par la suède, un nouveau lot de F-16C en provenance d’Israel et les Rafale d’occasion proposés par la France. Tant en terme de performances que de technologies offertes, le Rafale au standard F3R sortait clairement du lot. La question que devaient se poser les Croates était de savoir si le Rafale était correctement dimensionné pour leurs besoins. Apparemment il l’était…

Des Rafale dans les Balkans

Quand on regarde une carte des Balkans, on s’aperçoit vite que des Rafale opérant depuis l’espace aérien croate avec des missiles Meteor pourraient sans peine faire la loi à la verticale des capitales voisines, Sarajevo ou Belgrade ! Il en irait de même dans le domaine air-sol avec les missiles de croisière SCALP. Mais les SCALP et les Meteor seront-ils mis à la disposition du client croate ?

Outre leur coût et le risque de déstabilisation régionale, la mise en oeuvre de ces armements est complexe (en particulier en matière de renseignement, ciblage, préparation de mission, entrainement…) et pèse lourd dans le fonctionnement d’une force aérienne. Il n’est pas certain que la force aérienne croate saurait dégager les capacités humaines, financières et techniques pour leur mise en oeuvre. Mais même s’ils devaient se « contenter » de munitions AASM, de GBU et de missiles MICA, les Croates feraient un bond en avant considérable depuis les roquettes, bombes lisses et autres missiles R60 à guidage infrarouge qu’ils connaissent actuellement.

L’Armée de l’air et de l’espace mise à contribution

Pour Dassault Aviation, les commandes croates et émiraties viennent clore une année 2021 exceptionnelle qui a également vu la vente de 24 avions à la Grèce, de 30 avions supplémentaires à l’Egypte et la signature d’une lettre d’intention portant sur 36 appareils de la part de l’Indonésie.

15 ans après la mise en service à St Dizier des premiers Rafale de l’Armée de l’air, celle-ci est mise à forte contribution pour le soutien à l’exportation et la fourniture d’appareils d’occasion à certains pays clients. © Frédéric Lert/Aerobuzz.fr

Du côté de l’Armée de l’air et de l’espace (AAE), qui va devoir se séparer de 24 avions et consacrer quelques moyens supplémentaires au « soutex » (soutien des exportations), la joie n’est pas aussi intense. L’AAE dispose à ce jour d’environ 200 avions de combat, dont une centaine de Rafale. Une centaine seulement 17 ans après l’arrivée du premier exemplaire, et alors qu’aucun appareil ne lui a été livré au cours des six dernières années ! Les Emirats Arabes Unis recevront quant à eux 80 avions en cinq ans, notez la différence ! Aux avions de l’AAE s’ajoutent il est vrai la quarantaine de Rafale de la Marine, mais de ces appareils il n’est jamais question quant il s’agit de ventes d’occasion…

L’AAE va donc devoir céder 24 Rafale à la Grèce et à la Croatie, tout en maintenant ses nombreux engagements (Opex, dissuasion nucléaire, Police du ciel, missions d’entrainement…) et avec une disponibilité oscillant entre 50 et 60%.

120 Rafale à livrer entre 2027 et 2031

Lors de la vente à la Grèce, l’état français s’est engagé très rapidement sur le remplacement des douze appareils vendus : la tranche 4 de production destinée à l’AAE et qui devait porter sur 28 avions, avec des livraisons débutant en 2022, gagnera donc 12 appareils supplémentaires. Ces fabrications seront suivies par les 30 avions du deuxième lot commandés par l’Egypte. Et enfin devrait débuter en 2027 la fabrication de la cinquième tranche de Rafale français, 30 appareils prévus par la loi de programmation militaire, et qui devrait faire tourner la chaine jusqu’en 2030 au moins.

La formalisation de la commande de ces appareils est attendue en 2023 et c’est donc à cette occasion que pourrait être inscrit l’achat de 12 appareils supplémentaires pour compenser la vente à la Croatie. A condition toutefois que le financement suive et que les promesses soient tenues.

Mais Dassault Aviation a maintenant un souci de riche avec la commande des EAU qui porte à 120 le nombre d’avions à livrer entre 2027 et 2031. Une cadence supérieure à deux avions par mois est largement à portée de main, elle a d’ailleurs été atteinte quand il a fallu livrer les premiers clients indiens et égyptiens. Et si d’autres contrats venaient à tomber, la petite forme des avions d’affaires ne permettrait elle pas de dégager des bras supplémentaires ?

Frédéric Lert

 

 

 

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Frédéric Lert

Journaliste et photographe, Frédéric Lert est spécialisé dans les questions aéronautiques et de défense. Il a signé une trentaine de livres sous son nom ou en collaboration. Il a rejoint Aerobuzz en juin 2011. Au sein de la rédaction, Frédéric Lert est le spécialiste Défense et voilures tournantes.

View Comments

  • très bonne chose pour notre industrie, mais je me demande si cela reste une bonne idée de transmettre toute notre technologie dans une région instable géopolitiquement.

    • Dilemme tragique.
      Les chars Leclerc et les Mirage 2000-9 sont engagés au Yémen par les EAU.

      Aussi doit-on cesser de vendre des armes à une nation qui les emploie dans une guerre que nous dénonçons ?
      Ou est-il préférable de jeter un voile pudique sur l'utilisation de ses armes , afin de développer nos exportions, qui sont indispensables au maintient de notre souveraineté national ?
      Comme disait le grand philosophe Jean-Jacque Goldmann
      " Et qu'on nous épargne à toi et moi, si possible très longtemps, d'avoir à choisir un camp"

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