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Défense

A330 « Morphée » : retour sur un baptême du feu

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Frédéric Lert

A ce jour, les Airbus 330 Phénix de l’Armée de l’Air ont effectué six vols d’évacuation, entrecoupés de missions plus habituelles. Les vols ont apporté leurs lots d’enseignements et l’un des deux Phénix demeure aujourd’hui en configuration Morphée, en cas de besoin.

Le 18 mars 2020, quand est déclenché le premier vol d’évacuation, l’Escadron de ravitaillement en vol et de transport stratégiques (ERVTS) 1/31 Bretagne a déjà reçu deux Airbus A330 Phénix. A cette date, seul le premier, codé 41, est disponible et apte à recevoir les modules Morphée. Le second, codé 42, est en maintenance programmée. Devant l’évolution de la situation, le chantier du Phénix 42 est accéléré et l’avion sera disponible le 23 mars.

« La capacité Morphée des Airbus avait été validée quant à elle le 19 décembre précédent » rappelle le lieutenant-colonel Guillaume, commandant de la 31ème escadre aérienne de ravitaillement en vol et de transport stratégiques (31ème EARTS) « En début d’année 2020, nous avons commencé à réfléchir à l’adaptation de la configuration Morphée au transport de patients COVID-19, en prenant en compte notamment les contraintes dues au caractère hautement contagieux de leur pathologie. Il fallait trouver des solutions pour limiter les risques pour le personnel embarqué, dont l’équipage de conduite de l’avion ».

Vendredi 27 mars 2020, un avion A330 « Phénix » de l’Armée de l’air a réalisé une mission d’évacuation aéro-sanitaire entre Mulhouse et Bordeaux. En version « MORPHEE » (Module de Réanimation pour Patient à Haute Elongation d’Evacuation), l’avion a embarqué six patients atteints du COVID-19.  © Armée de l’Air

Deux avions, au cas où…

Les modules Morphée, conçus pour le transport de patients sur de longues distances à bord des Boeing C-135FR, ont été qualifiés en 2008 puis fabriqués à 19 exemplaires : dix pour des soins intensifs (les « ICM », pour Intensive Care Module) et neuf autres pour des soins plus légers (les « LCM », pour Light Care Module). Quelques heures avant la mission du 18 mars, l’Airbus 41 est équipé de 6 ICM et 4 LCM.

Il reste donc 4 ICM et 5 LCM disponibles et ces modules sont alors utilisés pour préparer un Boeing C-135F en configuration 4 ICM et 4 LCM, pour le cas où la situation exigerait l’emploi d’un deuxième avion. Le Boeing est toutefois loin d’offrir le même confort d’intervention pour les équipes médicales, particulièrement face à un agent infectieux. La rapide sortie de maintenance du Phénix 42 va toutefois permettre de retirer le Boeing de la mission COVID et de gréer le deuxième Airbus en configuration 4 ICM + 5 LCM en utilisant tous les modules restants.

La gestion de la menace NRBC (nucléaire, radiologique, bactériologique et chimique) fait partie de l’ADN des FAS et les équipages n’ont pas attendu le Covid-19 pour réaliser des entrainements spécifiques en ce sens. © Armée de l’air.

L’autonomie en oxygène

« Le 23 mars, nous disposons donc de deux avions en deux configurations différentes » poursuit le colonel Guillaume. « Nous avons la capacité de prendre l’un ou l’autre en fonction de la distance franchissable qui nous est demandée ». Car l’élément dimensionnant n’est pas l’autonomie de l’avion, mais l’oxygène transporté en cabine pour alimenter les patients en réanimation.

Ceux-ci sont certes transportés obligatoirement sur des ICM, mais la présence des LCM est également utile en offrant des emplacements supplémentaires pour les réserves en oxygène, utilisables par les modules de soins intensifs. Et c’est bien ce qui permettrait par exemple à un Phénix de ramener de la Réunion quatre patients en un seul coup d’aile. Plus de dix heures de vol, 10 heures d’oxygène par malade auxquelles s’ajouteraient deux heures pour l’embarquement et deux autres heures pour le débarquement ! Quatorze heures, soit pour quatre personnes 56 heures d’oxygène en bouteilles plus les réserves… Et l’on s’aperçoit alors qu’un avion de la taille du Phénix n’est pas de trop !

Le retex

Le Phénix 41 a donc réalisé au total six missions d’évacuations, avec six patients à chaque fois et une moyenne de 72 heures entre deux rotations médicales. Avec à la clef une courbe d’apprentissage rapide pour l’escadron d’Istres : « Les procédures à bord ont évolué rapidement entre la première et la dernière mission » souligne le lieutenant-colonel François, commandant du « Bretagne ». « Nous avons travaillé notamment avec le centre d’expertise NRBC du CEAM qui avait participé quelques jours auparavant à la désinfection des appareils ayant rapatrié les Français de Wuhan. Pour notre premier vol, la porte du cockpit était fermée et l’équipage s’est équipé de pied en cap, avec gant et masque, au moment de quitter le poste de retour à Istres. Pour le deuxième vol, nous avons mis en place des sas dans l’avion avec une « zone rouge » abritant les malades au milieu de la cabine, séparée du poste de pilotage et de l’arrière de l’avion par des bâches étanches. Les pilotes sortaient du cockpit en empruntant la porte avant et n’avaient plus à se protéger. Les patients et le personnel médical sortaient par l’arrière en passant par un sas qui leur permettait de se déséquiper et de se désinfecter avant de quitter l’avion. Dans le même temps, nous avons appris à désinfecter plus rapidement l’appareil : il a fallu 8 heures de travail après le premier vol, il n’en fallait plus que 5 à l’issue du sixième ».

Le Covid-19 entre autres missions

La désinfection était inévitable car l’appareil n’était absolument pas réservé aux missions Morphée. Celles-ci n’occupèrent jamais plus de 20% de l’activité de l’escadron, qui resta très engagé dans ses missions de formation (la communauté Phénix monte régulièrement en puissance), dans la tenue d’alerte pour la mission nucléaire et les missions de ravitaillement au profit des forces. Concession toutefois à l’actualité, l’équipement Morphée resta à bord des deux avions pendant plus de deux semaines. Aujourd’hui encore, un des deux Phénix reste équipé de 6 modules ICM et 4 LCM, prêt à décoller au coup de sifflet bref.

Un dernier mot enfin pour signaler que des prélèvements furent systématiquement effectués à l’issue de chaque vol par l’équipe NRBC du CEAM. Tous montrèrent l’absence de virus aussi bien dans les sas que dans la zone rouge au centre de la cabine. Ce qui n’empêcha pas le travail de désinfection, pour plus de sécurité. Toutes les personnes ayant participé aux vols furent également suivies pendant 14 jours, mais aucune ne contracta la maladie.

Frédéric Lert

 

 

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Frédéric Lert

Journaliste et photographe, Frédéric Lert est spécialisé dans les questions aéronautiques et de défense. Il a signé une trentaine de livres sous son nom ou en collaboration. Il a rejoint Aerobuzz en juin 2011. Au sein de la rédaction, Frédéric Lert est le spécialiste Défense et voilures tournantes.

View Comments

  • On peut suivre leurs évolutions depuis Istres, avec Flightradar24, vols codés VALNT35 et VALNT45 !
    Je suis surpris que des avions stratégiques soient repérables...

    • La période de confinement m'amène à "jouer" souvent avec Flightradar24, j'ai pu apercevoir pas mal d'avions "stratégiques" de toute nationalité sur l'Europe: A400M, C-27J, C-130J, C-17, M-346, Alphajet (Top Aces) , les Red Arrows, et sur un coup de chance et pendant moins d'une minute un "NA" à 610 kt proche de la Gironde ;-)

    • oui des avions stratégiques sont repérables en tant de paix car il existe des aéronefs non stratégiques dans le ciel (afin de communiquer avec les TCAS) . Par contre en tant de guerre, je vous rassure VALNT35 et 45 seront invisibles.....

    • Ils peuvent l'être quand ils veulent.
      Et là, sachant le nombre de spotters confinés sur Flightradar24, c'est plutôt bien pour la comm' !

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