Rafale, Typhoon et F-35 ont opéré côte à côte depuis la base britannique de Leeming pour protéger le porte-aéronef Queen Elizabeth II… Deuxième partie du reportage sur l’exercice Atlantic Trident 23 avec l’Armée de l’air et de l’espace.
Un souffle fort, un mugissement animal et le F-35, aussi gracieux qu’un crapaud de combat à roulettes débouche sur le taxiway. Les cocardes anglaises low viz (à basse visibilité) sont difficiles à distinguer, mais on reconnait facilement un F-35B à la bosse où se dissimule la soufflante, à l’arrière du cockpit. C’est cette soufflante monstrueuse, près de dix tonnes de poussée au bas mot, qui donne à l’avion sa capacité de décollage court et d’atterrissage vertical.
L’espace de quelques heures, deux appareils du 617 Squadron « Dambusters » de la Royal Air Force (escadron héritier des Lancaster qui s’attaquaient aux barrages pendant la seconde guerre mondiale) ont quitté le Queen Elizabeth et sont venus s’installer sur la base de Leeming. Devant de nombreux curieux en treillis, les deux avions participent à un hot refuelling, ou ravitaillement en carburant moteur tournant. Une affaire qui serait banale avec tout autre appareil, mais qui prend avec le F-35B britannique une dimension historique.
Aux ordres du chien jaune, l’avion s’immobilise et un pistard vient brancher les mises à la terre puis ouvre la trappe d’accès aux réservoirs. L’alimentation en carburant est branchée, le pétrole coule à flot sous l’œil des pompiers. Plus de 8 tonnes de carburant à transférer, même sous pression, c’est long…
Après quelques minutes, d’attente, le plein est fait, le flexible déconnecté et la trappe est refermée soigneusement, très soigneusement même : il en va du niveau de furtivité de l’avion. Le F-35B roule vers la piste tandis qu’en arrière-plan les Rafale de l’Armée de l’air et de l’espace mettent en route dans un grondement caractéristique.
Le scénario d’Atlantic Trident 23 fait que face aux forces du Mal, le camp du Bien a dû quitter précipitamment ses bases principales et trouver un répit sur un terrain secondaire. Les trois alliés se sont regroupés à Leeming où l’on retrouve dans un premier temps quatre Rafale, quatre Typhoon de la Royal Air Force et autant de F-35A de l’US Air Force. Deux F-35B et deux Rafale M rejoignent en cours de route.
« Le scénario nous a fait sortir de notre zone de confort » résume le commandant Romain. « Avec un soutien logistique minimal, nous allons maintenant essayer de nous remettre en l’air et de défendre notre zone et qui sait essayer de repousser les adversaires… »
Romain est l’un des dix pilotes du Lorraine engagés dans Atlantic Trident 23. Il est aussi l’un des trois pilotes qualifiés Mission Commander au sein du détachement, c’est à dire capable d’animer une mission complexe avec différents types d’aéronefs. La qualification MC est obtenue par les chefs de patrouille à l’issue des exercices TLP (Tactical Leadership Program) qui rythment la vie des forces aériennes occidentales. On trouve aussi parmi les pilotes français présents à Leeming deux sous-chefs de patrouille (SCP) et deux jeunes pilotes opérationnels, dont le capitaine « Max », en passe de débuter sa qualification SCP.
Sur les deux semaines de l’exercice, chaque pilote français réalise cinq à six missions. Le rythme a été soutenu malgré l’annulation complète d’une mission et la réduction de volume d’une autre. Les entrainements en mer du Nord ont ceci de bon que le volume disponible est vaste et dégagé, du niveau 50 au niveau 500+, avec une base d’environ 120 nautiques de côté. Revers de la médaille, les limitations météo temps de paix sont très contraignantes pour limiter les risques en cas d’éjection sur la mer : au-delà de 4 mètres de houle, les vols sont arrêtés. Les pilotes volent bien entendu toujours en combinaison étanche.
La mission du jour est d’organiser la protection du HMS Queen Elizabeth II pendant quatre heures d’affilée contre les assauts des Red. Dans le cadre de ce que l’Otan appelle la « fighter integration« , au Mission Commander d’organiser ses patrouilles, de mixer les capacités des différents avions et d’attribuer aux uns et aux autres différentes responsabilités pour que rien ne passe.
Le Queen Elizabeth dispose à son bord de huit F-35B qui vont également multiplier les CAP (Combat Air Patrol). Les avions de différents types ne se mélangent pas au sein d’une même patrouille légère ou double (deux ou quatre avions) : c’est ce qui permet d’optimiser l’emploi des armements. La coordination est en revanche totale entre patrouilles de différentes nationalités pour assurer l’efficacité des soutiens et des relèves.
« Les communications se font essentiellement par la liaison de données L16 qui fonctionne très bien avec tout le monde et l’intégration est parfaite avec les F-35 » note Max, le jeune PO. « Le niveau de partage des informations nous permet de travailler ensemble de manière optimale. Et au sol, travailler depuis la même base apporte une très forte plus-value : cela nous permet de bien échanger directement. Nous avons également pu profiter de la présence au sein du Lorraine d’un pilote britannique en échange, qui a beaucoup fait pour aplanir les difficultés dans la préparation de l’exercice ».
Le travail en commun avec les F-35 reste un sujet de curiosité fort et il le restera tant que les pays utilisateurs maintiendront le flou sur les capacités réelles de leurs appareils.
« C’est un avion impressionnant, aucun doute là-dessus glisse le commandant Romain. Les F-35 volent en permanence avec des réflecteurs radar qui leur permettent d’afficher une surface équivalent radar comparables à un avion classique et masquent leurs caractéristiques réelles de furtivité. Malgré tout, on voit dans leurs tactiques certaines capacités particulières. On remarque par exemple qu’ils prennent plus de risque que les Rafale ou les Typhoon face à des sites sol-air dont ils n’hésitent pas à se rapprocher… C’est un indice fort de ce que serait leur capacité offensive s’ils devaient jouer à fond la carte de la furtivité… »
Un autre pilote souligne quant à lui tout de go que « la furtivité ça marche », même si l’emploi de réflecteurs brouille bien la perception des choses… « Nous sommes parfois surpris de ne pas voir les F-35 de la même façon que les autres avions au radar. Et il ne fait pas de doute qu’ils ont de très bons capteurs… »
Et le Typhoon dans tout ça ? Croisé à Leeming, le Squadron Leader (commandant) James Sainty du 12 Squadron évoque les évolutions majeures connues par l’avion ces dernières années : de la même manière que le Rafale progressait dans ses standards, le Typhoon est passé au fil des ans de la Tranche 1 à l’actuelle Tranche 3, en intégrant une diversité d’armements toujours plus large (bombes guidées Paveway 4, missiles Meteor, Storm Shadow et Brimstone…) et des capteurs sans cesse modernisés.
Après dix années sur Typhoon, le Squadron Leader Sainty compte 1.400 heures de vol sur le biréacteur dans ses carnets. Soit 140 heures par an, ce qui semble relativement peu et en tout état de cause inférieur à ce que connaissent les pilotes français. « L’exigence de la RAF est de douze heures de vol par mois, avec au moins l’équivalent en heures de simulateur » explique le pilote.
Les simulateurs modernes sont impressionnants par leur réalisme et les capacités d’interactions une fois placés en réseau, et il ne fait guère de doute que leur emploi ne fera que se développer dans les années à venir. Mais rien ne remplacera les exercices comme Atlantic Trident, seuls à même de placer les équipages en situation de stress face à un adversaire physique, dans la chaleur du combat et au-dessus des eaux grises de la Mer du Nord…
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