A une heure de route de Las Vegas (Nevada), Creech Air Force Base est une base aérienne méconnue, une des plus petites en superficie de l’US Air Force. C’est aussi l’une des moins discrètes, l’ensemble des installations étant pleinement visibles depuis la Highway 95 qui monte au nord vers des localités aussi célèbres que Tonopah ou Reno… Pas moins de douze escadrons sont rassemblés au sein du 432nd Wing.
Douze escadrons, le chiffre a de quoi faire tiquer, mais c’est le miracle de l’Air Force 2.0 et des opérations sur drones : très peu d’appareils sont en fait présents sur la base aérienne de rattachement. On compte même à Creech plus de caisses de transport que de drones à proprement parler. La force du 432nd Wing à Creech, ce sont ses cockpits climatisés, il y en aurait une cinquantaine à minima, permettant de contrôler les appareils à distance, qu’ils évoluent dans le ciel d’Irak, de Syrie, d’Afghanistan ou de quelques autres pays jamais cités officiellement.
L’US Air Force ne dira jamais précisément où sont engagés ses appareils. Mais elle ne se fait pas prier pour communiquer sur leur activité. Et là aussi les chiffres sont fascinants…
Après un début des opérations de combat avec les drones en 2001, la barre du million d’heures de vol a été franchie dix ans plus tard, le 1er juin 2011. Les deux millions ont ensuite été atteints le 22 octobre 2013 et les trois millions en octobre 2016. « On est à présent sur un rythme stabilisé, un million d’heures de vol supplémentaires tous les trois ans » explique-t-on à Creech. Les 4 millions seront donc franchis en octobre 2019.
Paradoxalement, la seule activité aérienne enregistrée dans le ciel de Creech est celle du 11th Squadron, un des deux escadrons d’entrainement du 432nd Wing. Ce 11ème escadron concerne de près l’armée de l’Air, puisque c’est en son sein que sont formés les équipages de Reaper français.
Un coup d’œil dans le rétroviseur est ici nécessaire : quand la France reçoit ses premiers MQ-9 Reaper fin 2013, ceux-ci sont directement envoyés sur la base montée de toutes pièces à Niamey (Niger). Les appareils ne sont pas automatisés et les décollages et atterrissages doivent se faire « à la main ».
Aucun équipage français n’étant formé pour ces phases de vol, l’armée de l’Air doit donc faire appel à des Launch & Recovery Element (LRE) armés par des contractuels civils (pour la plupart d’anciens militaires) de General Atomics. Ceux-ci font décoller les drones avant de passer le relais aux équipages français qui gèrent la mission proprement dite. En fin de vol, c’est le même tour de passe-passe : le LRE Américain récupère l’appareil à quelques nautiques de la piste et le ramène au bercail.
Cette situation est peu satisfaisante pour plusieurs raisons, avec en premier lieu la dépendance vis à vis des Etats-Unis. Même si les équipes de General Atomics ne sont pas censées savoir où vont les drones, on peut également craindre un manque de confidentialité.
Se pose également la question du coût de cette contractualisation, sachant que l’armée de l’Air ne manque pas de gens capables de faire décoller et atterrir les Reaper. Encore faut-il pouvoir les former et c’est là que le bât a longtemps blessé, la filière de formation Creech était totalement engorgée par les besoins américains.
Les choses ont changé en 2017 avec l’envoi d’un premier binôme français, pilote et opérateur capteur, dans le Nevada. Ce sont eux qui contrôlent véritablement le vol de l’appareil. L’officier renseignement et l’opérateur image complètent l’équipage en temps normal mais ils n’ont pas d’influence directe sur le vol. Aucun besoin donc de les former à Creech.
Six LRE français se sont succédés à ce jour dans les salles de cours de Creech, dans les simulateurs et « à bord » des cockpits pour in fine enchainer les tours de piste avec de véritables appareils au bout du joystick. Deux autres binômes suivront avant que la France soit pleinement autonome dans ses actions de formation grâce à la mise en place d’un drone et d’un simulateur à Cognac.
Lors de notre passage à Creech, nous avons pu rencontrer un pilote et un opérateur capteur qui arrivaient au terme de leur formation. Tous deux, un commandant et un capitaine, étaient de (jeunes) anciens du Mirage 2000. Leurs parcours les plaçaient quelque peu à part des autres stagiaires américains, le plus souvent de très jeunes gens frais émoulus de la filière drone, avec pour seule expérience du vol la conduite d’un simulateur…
Avec ses six Reaper en service, la France a encore le pouvoir de piocher dans un réservoir humain hautement qualifié en faisant appel, dans une certaine mesure, au volontariat. L’escadron de drones 1/33 Belfort monte en puissance, il sera bientôt partie intégrante d’une petite escadre basée à Cognac et des opportunités de carrière s’entrouvrent pour qui veut bien tenter le grand saut vers la guerre à distance.
La logique est très différente aux Etats-Unis. Il faut, selon le décompte très précis de l’Air Force, 206 personnes (!) pour assurer le contrôle d’un drone H24. Et l’Air Force dispose aujourd’hui de la capacité de maintenir en vol en permanence une soixantaine de drones. Le compte des besoins en main d’œuvre est donc vite fait !
A Creech, on lance donc des promotions de quatre ou cinq équipages toutes les semaines, pour deux mois et demi de formation. Devant l’intensité des flux à gérer, la moitié des instructeurs sont des civils, comprendre d’anciens militaires qui reprennent le travail en échange d’un beau chèque. L’ère de l’artisanat que l’on connaît encore en France est depuis longtemps révolue Outre-Atlantique. Place à l’industrie !
Frédéric Lert
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Les drones français sont opérés à partir de cette base ?
Si oui, quelle tristesse ....
Non Stormy. Les drones français sont contrôlés depuis Cognac ou Niamey (Niger) où la France a installé une "base aérienne projetée"
On ne parle ici que de formation…