L’Inde, qui vient de signer pour 36 Rafale, est donc un client de longue date de Dassault Aviation. C’est auprès de New Dehli que l’avionneur français avait exporté ses premiers avions à réaction : 71 MD450 Ouragan placés en 1953. Mystère IV, Jaguar et Mirage 2000 avaient suivi.
Après tant de fausses annonces et de faux départs, c’est donc fait, confirmé, verrouillé, gravé dans le marbre, signé au stylo à plume à pointe d’or devant les caméras de télévision : pour une somme un peu inférieure à 8 milliards d’Euros, la France fournira 36 Rafale à l’Inde (28 monoplaces et 8 biplaces). Nul doute que ce tarif englobe également le MCO, la formation des équipages et techniciens et même un premier lot d’armements. Car l’autre grand gagnant de cette signature est bien entendu le missilier européen MBDA, qui va pouvoir placer une bonne part de sa panoplie.
Antoine Bouvier, PDG de MBDA, avait d’ailleurs fait le déplacement en Inde pour la signature officielle, aux côtés d’Eric Trappier (Dassault Aviation), Patrice Caine (Thales) et Philippe Petitcolin (Safran). Des représentants de la DGA et d’autres entreprises partenaires du programme complétaient une délégation particulièrement étoffée !
Des missions spéciales
La vente du Rafale est une affaire de longue haleine dont les racines remontent donc à 1953, année de la première exportation des Ouragan. Les choses sont sans doute plus simples à l’époque puisque cette vente se règle en quelques semaines, un an seulement après l’entrée en service de l’avion sous les couleurs françaises. La vente de 1953 revêt alors une dimension symbolique bien plus forte que celle des Rafale aujourd’hui puisqu’il s’agit de la première exportation d’un avion de combat à réaction français, et même de la première exportation d’un avion de combat par la France, toutes catégories confondues, depuis les années 30 !
Pour la France et l’Inde, c’est également le début d’une longue alliance aéronautique qui sera particulièrement fructueuse dans le domaine des hélicoptères et des turbines. La relation sera aussi porteuse pour Dassault qui placera ensuite dans le pays le Mystère IV (110 appareils), le Jaguar (en coopération avec BAE systems) et bien entendu le Mirage 2000 (59 avions). Le Jaguar sous les couleurs françaises avait la capacité d’emporter une arme nucléaire tactique. Il en ira de même en Inde et il est aujourd’hui de notoriété publique que les Mirage 2000 mis en œuvre à l’est de l’Indus affichent une capacité identique.
Avec leur modernisation en cours, un contrat d’environ 1,5 milliards d’euros pour moderniser 49 appareils, les avions français devraient continuer à tenir une place de premier plan en Inde pendant une vingtaine d’année. C’est peut-être là aussi un élément essentiel du choix en faveur du Rafale, bien dimensionné pour emporter les charges les plus diverses face à deux voisins très remuants : le Pakistan et la Chine.
Un missilier heureux
Au-delà de cette seule question du nucléaire, le Rafale apporte également quelques autres atout de poids dans sa besace : en premier lieu le missile air-air à longue portée Meteor de MBDA (donné pour une portée utile d’une centaine de kilomètres), dont il se dit que l’utilisation couplée au radar à antenne active du Rafale donnerait aux Indiens un avantage certain face à leurs voisins.
Autre atout, le missile anti-navire AM39 Exocet qualifié sur le Rafale. Au lancement de la compétition MMRCA (Medium Multi Role Combat Aircraft) et lors de la sélection des deux finalistes en 2011, Eurofighter Typhoon et Dassault Rafale, il était expressément demandé une capacité anti-navire aux concurrents. Avec le choix du Rafale, il est certain que l’AM39 figurera en bonne place sur la liste de commissions transmise à MBDA. Citons également le missile de croisière SCALP-EG qui pourrait faire partie du contrat.
Si l’on en revient à Dassault, le contrat indien apporte également une consolidation bienvenue du plan de charge pour les années à venir. Après la vente en 2015 de 24 appareils à l’Egypte puis de 24 autres au Qatar, on en arrive à présent à 84 avions exportés. De quoi faire tourner la chaîne d’assemblage de Mérignac pendant près de quatre ans, au rythme de deux avions par mois. Avant le contrat égyptien, la crainte était de ne pouvoir assurer un plan de charge suffisant pour maintenir le rythme minimum de onze avions par an, les seules commandes françaises étant insuffisantes pour atteindre cet objectif. Cette crainte est désormais définitivement effacée.
Le 2000 en ligne de mire
Le coût des avions de combat actuels rend illusoire la constitution de flottes aussi nombreuses que dans les années 60. Il serait donc vain pour Dassault et pour la France d’espérer rejoindre avec le Rafale les chiffres de vente des Mirage III (1401 appareils construits pour 21 pays utilisateurs…). Le contexte géopolitique a changé également et il ne faudra plus attendre de coups de pouces ou de bienveillance de la part de Washington pour placer des avions français. Des soubresauts géopolitique venant gripper les plus beaux montages commerciaux sont aussi toujours possibles.
Quelques embargos sont restés célèbres dans le domaine aéronautique : la guerre des 6 jours en 1967 débouche sur l’annulation de la vente des Mirage 5 à Israël, rompant le fil des relations privilégiés entre Paris et l’état Hébreux. L’armée de l’Air hérita nolens volens de ces avions qui ne lui convenaient pas. Plus près de nous, après son invasion des iles Malouines, l’Argentine ne reçu que cinq des quatorze Super Etendard qu’elle avait commandés. Si la junte de Buenos Aires avait été plus fine, elle aurait pu attendre de recevoir tous les avions et les Exocet commandés avant de lancer une OPA sur les iles appartenant à la Couronne britannique. La Royal Navy ne s’en serait sans doute jamais remis…
Dernier exemple, l’Irak : le pays qui faisait à lui seul tourner bien des usines d’armement françaises se vit refuser le transfert des derniers Mirage F1 commandés. On trouve au Conservatoire de l’Air et de l’Espace d’Aquitaine un Mirage F1BQ qui est une célébrité locale, n’ayant volé que 8h15 avant sa mise au placard définitive.
Toutes ces péripéties n’ont pas empêché les réussites commerciales : le Mirage F1 avait ensuite été exporté à un peu plus de 470 exemplaires dans onze pays, suivi par le Mirage 2000 exporté à 286 exemplaires dans huit pays. Du Mirage III au Mirage 2000, les exportations suivent une courbe dont le quatrième point, celui du Rafale, pourrait bien à terme se situer au même niveau que celui du Mirage 2000.
Il faudrait pour cela que de nouveaux clients se découvrent et que les utilisateurs actuels étoffent leurs flottes. Deux choses possibles, sinon probables. Au lancement de la compétition MMRCA, l’Inde avait exprimé un besoin pour 126 avions, dont 108 devaient être assemblés sur place. Après le choix du Rafale, le négociations avaient buté sur la difficulté de mettre en place ce mécano industriel et en avril 2015, le pays avait fait officiellement le choix de se limiter à l’achat de 36 avions sur étagère, dans le cadre d’un contrat de gré à gré au niveau gouvernemental.
Rêvons un peu
Pour compléter sa flotte, l’Inde pourrait décider d’acheter des appareils moins chers, on pense au F-16 ou au Gripen. Mais rien n’interdit de penser qu’elle pourrait également acheter des tranches supplémentaires de Rafale unifier sa flotte, son MCO et ses filières de formation, et in fine réduire ses coûts de possession.
Le Rafale présente également l’avantage considérable pour les indiens d’offrir une version navalisée. Alors rêvons un peu. Imaginons que la marine indienne, plutôt que de bâtir un outil aéronaval bancal basé sur un ancien porte-aéronefs soviétique, décide un jour de s’équiper d’un sister ship du Charles de Gaulle avec des Rafale Marine sur le pont… La Marine française n’a pas été avare d’entrainements communs avec les Indiens ces dernières années dans le cadre des missions Agapanthe, faisant à chaque fois la démonstration de la cohérence du couple Rafale Marine – Charles de Gaulle.
Frédéric Lert
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