Au débouché de la mer Rouge, au coeur d’un « arc de crise » allant du Yemen au Soudan en passant par la Somalie et l’Erythrée, Djibouti fait un poste d’observation et un tremplin idéal pour les grandes puissances. L’aéroport international abrite donc une grande variété d’aéronefs qui ne sont pas là par hasard…
Au nord de la piste 09-27, une ville tentaculaire de couleur ocre est sortie de terre en l’espace de vingt ans. C’est le « Camp Lemonnier » qui abrite la plus grosse emprise américaine sur le continent africain. La première tente a été plantée au lendemain des attentats du 11 septembre, quand il s’agissait de faire « la guerre au terrorisme » sur la planète entière.
Depuis, les hangars n’ont cessé de pousser et pas moins de 5.000 soldats se retranchent aujourd’hui derrière les hauts murs de ce porte-avions terrestre. Des hectares de parkings bétonnés, des kilomètres de préfabriqués pour loger la troupe, un hôpital en construction et ce qu’il faut de Pizza Hut pour donner le mal du pays à des occupants qui ne sortent de leur périmètre que pour aller s’entraîner dans le désert.
On s’attendrait à trouver dans cette base une pléthore de matériels aéronautiques et pourtant on reste un peu loin du compte.
C’est aussi, pour le transport militaire américain, un « hub » capable de desservir beaucoup d’autres destinations sur le continent.
Des F-16 ont été basés à Djibouti par le passé mais ils en sont aujourd’hui partis. Les principaux utilisateurs de la base sont maintenant les US Marines qui disposent en permanence d’une demi-douzaine de V-22 ainsi que de C-130J et KC-130J. Un P-8 de la Navy et quelques avions de transport leur tiennent compagnie, le temps d’une escale ou d’un détachement. Plus discrets, des avions de renseignement électronique font quelques passages furtifs sur la piste avant de filer dans des hangars, à l’abri des regards.
Une visite rapide de Camp Lemonnier à l’invitation des autorités américaines permet d’approcher les fameux V-22. Sur les quatre appareils visibles sur le parking, deux sont privés d’un rotor, en maintenance. Sur les deux autres, les mécaniciens travaillent en plein soleil sur les nacelles basculantes. Les trappes de visite ouvertes laissent entrevoir des suintements de liquide hydraulique teintés de sable.
Les Hercules des Marines sont stationnés à l’autre extrémité du parking américain et les avions semblent être très actifs. Les ravitailleurs sont utilisés en moyenne une fois par semaine pour ravitailler les Mirage français. « Mais les semaines se suivent et ne se ressemblent pas » précisent nos interlocuteurs.
Jusqu’en 2013, les Américains basaient quelques drones MQ-9 Reaper sur l’aéroport international. Ceux-ci sont à présent installés sur le terrain secondaire de Chabelley.
En échange de la protection militaire qu’elle offre au territoire, la France jouit d’un droit exclusif et permanent sur certaines positions, dont la base aérienne 188 et ce fameux terrain de Chabelley équipé d’une piste de 2.400m. Depuis une dizaine d’années, elle en fait donc également profiter l’allié américain qui a, là aussi, fait sortir de terre une infrastructure imposante.
Quand on leur demande de combien de drones ils disposent, les Américains répondent finement « un certain nombre, et ça change tout le temps ». Bien vu ! Les images satellites fournies par Google sont plus loquaces : ne sont visibles que trois appareils exposés au soleil sur les parkings, mais on compte en revanche une bonne quinzaine de hangars en toile et autant de conteneurs de transport pour les drones. La machine américaine est en route…
Les rapports entre la France et les Etats-Unis sont, semble-t-il, au beau fixe à Djibouti et les échanges de bons procédés monnaie courante. « Nous nous entendons très bien » confirme le général William L. Zana, commandant en chef américain, francophone et réputé francophile. « Notre relation prend de l’ampleur. J’étais là en 2018 puis j’ai passé deux ans et demi au Pentagone. Quand je suis revenu en 2020, j’ai vu que la relation n’avait cessé de s’étendre. On se voit et on se parle avec avec le général Dupont (commandant des forces françaises, alias COMFOR) toutes les semaines. C’est peut-être le meilleur partenariat que je vois en 35 ans de carrière ».
Un avis partagé par le COMFOR, ancien pilote de Jaguar, qui explique quant à lui qu’à Djibouti « se prépare l’interopérabilité franco-américaine. Nous travaillons ensemble sans arrêt. On est très proches d’eux à tous les niveaux et les connexions sont faites dans les états-majors, les unités, au niveau tactique… » Une ligne directe a même été installée entre les deux généraux.
Pékin a mis un pied dans la porte, déversé quelques milliards de dollars, construit une ligne de chemin de fer vers l’Ethiopie voisine, livré des tombereaux d’écrans plats et de cadeaux rarement gratuits sur le long terme…
« La présence chinoise est totale et totalisante » explique un fin connaisseur de la région. « Les Chinois ont pénétré le territoire de façon méthodique, à tel point que la question de la souveraineté économique de Djibouti, maintenant très lourdement endetté auprès de Pékin, est aujourd’hui posée ».
Les Chinois ont construit un nouveau port de commerce qui leur sert de porte d’entrée vers l’Afrique. Et pour ne pas être en reste, ils y sont également allés de leur base militaire inaugurée en 2017. Elle hébergerait aujourd’hui environ 1.000 soldats et serait capable d’en recevoir dix fois plus.
Très régulièrement, des Y-20 de l’armée populaire chinoise font toutefois la liaison avec la mère patrie.
En dehors du grand jeu entre Français, Américains et Chinois, Djibouti accueille également divers détachements militaires dans le cadre de diverses opérations, dont la mission européenne Atalante. Lancée en 2008 pour lutter contre la piraterie maritime dans le golfe d’Aden et au large de la Somalie, celle-ci a depuis été étendue à la lutte contre tous les trafics d’armes et de stupéfiants sur les mers de la région.
Les Japonais sont les plus inattendus, mais ils sont pourtant très présents depuis douze ans avec deux P-3 de patrouille maritime qui servent avant tout à protéger le trafic commercial du Japon dans le cadre d’une opération qui leur est propre, mais avec une finalité similaire à Atalante. De 2009 à 2011, leur détachement était installé Camp Lemonnier, chez les Américains. Depuis 2011, ils louent au gouvernement djiboutien un vaste espace à l’ouest de l’aérogare civile. Un immense hangar a été construit pour héberger les avions.
Pendant quelques mois, les P-3 furent remplacés par les quadriréacteurs P-1 qui profitèrent de la chaleur de Djibouti pour parfaire leur expérimentation technico-opérationnelle. En 2016, les installations furent également utilisées comme point d’appui pour l’évacuation aérienne de ressortissants japonais au Soudan.
Plus discrète est la présence espagnole avec un seul P-3 hébergé sur le BA 188 depuis 2008, la base aérienne lui fournissant un soutien opérationnel, technique et logistique. Fin janvier, le Lockheed voisinait avec un Atlantique Atl 2 au standard 6 de la flottille 21F de la marine nationale, détaché sur place avec son équipage pour une durée d’environ quatre semaines. Les marins (15 pour l’équipage de l’avion et 8 pour l’équipe technique) sont venus avec un budget de 115 heures de vol, pour des missions de lutte anti-piraterie et d’escorte au profit des navires du programme alimentaire mondial.
Les Allemands ont été présents dans le pays, également avec un P-3 de patrouille maritime également hébergé sur la BA188, avec le soutien français. Ils en sont repartis en mars 2021. Les Italiens, historiquement lié à la région, ont également déployé des drones Predator par le passé. Leur présence est aujourd’hui épisodique.
Les avions commerciaux ne sont pas rares sans non plus être pléthoriques : Air France vient en Boeing 777 (!), Turkish et Ethiopian Airlines en Boeing 737-800 et -900, Yemenia en Airbus A320. Quelques Antonov anonymes ainsi qu’une poignée de Dash et Beech 1900D aux couleurs du programme alimentaire mondial, de la Croix Rouge internationale et de Médecins Sans Frontières sont également visibles sur le parking au pied de la tour.
La denrée rare dans le pays, c’est finalement l’hélicoptère militaire. La France dispose en la matière d’une quasi exclusivité avec les appareils de l’Armée de l’air et de l’espace et ceux de l’ALAT. Et c’est avec eux que se clôturera demain ce reportage au pays d’Henri de Monfreid et d’Arthur Rimbaud.
Frédéric Lert
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