Jeux de ballons dans le ciel américain

Un aérostat chinois a traversé le ciel des Etats-Unis en haute altitude la semaine dernière. Ballon météo ou ballon de renseignement ? Quoi qu’il en soit, l’idée d’envoyer de tels engins chez le voisin n’est pas nouvelle. Washington ne s’en est pas privé par le passé…

Le 28 janvier 2023, un ballon stratosphérique a survolé les iles Aléoutiennes avant de pénétrer dans l’espace aérien américain, au niveau de l’Alaska, à une altitude d’environ 20km. Après avoir quitté l’Alaska, il a traversé le Canada avant d’entrer de nouveau, le 31 janvier 2023, dans l’espace aérien américain, toujours poussé par le jetstream qui circule autour de la Terre d’ouest en est. Les Américains ont fait état publiquement de sa présence 48 heures plus tard.  Les images diffusées ont montré un ballon sphérique de la taille de deux ou trois autobus, avec une batterie de panneaux solaires accrochée dessous.

Après avoir survolé le Montana et une demi-douzaine d’autres états américains, le ballon est arrivé sur l’Atlantique au niveau de la Caroline du sud. C’est à ce moment-là, une fois que tout risque de dégât au sol était écarté, que le président américain a donné l’ordre de l’abattre.

Deux F-22 du 1st Fighter Wing en provenance de Langley AFB se sont chargés de l’opération alors que l’engin évoluait entre 60 et 65.000 pieds.

Le F-22 est l’un des rares appareils de combat à pouvoir accéder et manœuvrer à de tels niveaux de vol.  Un missile AIM-9X Sidewinder à guidage infrarouge a été tiré à l’altitude 58.000 pieds, détruisant instantanément l’enveloppe du ballon qui est alors tombé rapidement dans l’océan.

La mise à mort a été filmée en direct par des caméras de télévision au sol. Des F-15 et des ravitailleurs KC-135 et KC-46 étaient également présents sur zone.

L’enveloppe du ballon et les équipements embarqués sont tombés par quinze mètres de fond à une dizaine de kilomètres du rivage, dans les eaux territoriales américaines donc. A l’heure où sont écrites ces lignes, l’US Navy a dépêché sur place trois navires. Les Coast Guards sont également sur zone et la récupération des morceaux ne devrait pas poser de problème.

Les Américains accusent la Chine, affirmant avoir l’assurance que le ballon était bien chargé d’une mission de renseignement. Selon eux, le survol de nombreux sites militaires, et en particulier des centaines de silos contenant des missiles stratégiques, qui sont dispersés sur plusieurs milliers d’hectares à travers le centre du pays (Montana, Dakota du Nord, Nebraska, Wyoming et Colorado) n’était pas un hasard.

Le ministre des affaires étrangères américain Antony Blinken a parlé d’un ballon de « surveillance » et d’une intrusion dans l’espace aérien « inacceptable » et « irresponsable ». Les Américains affirment d’ailleurs avoir eu le temps d’étudier le ballon à distance et de déterminer sa nature exacte.

Ils ont d’autre part indiqué qu’un ballon identique survolait actuellement l’Amérique latine et que les cinq continents ont déjà été survolés par le passé. L’Ile de Guam, élément clef de la stratégie américaine dans l’Océan Pacifique, aurait également été survolée et l’ancien président Donald Trump a quant à lui précisé que trois ballons chinois avaient traversé les Etats-Unis au cours de sa présidence.

Quant à la Chine, qui a reconnu la possession du ballon, elle explique qu’il ne s’agissait que d’un engin météorologique et de recherche scientifique avec des possibilités de manœuvre et de navigation très limitées et qui aurait été dévié de sa course par les vents. Pékin a également signifié son mécontentement après la destruction de l’appareil par l’US Air Force. Conséquence diplomatique de l’affaire, Antony Blinken a annulé sa visite en Chine, elle aurait été la première d’un secrétaire d’état américain dans le pays depuis 2018. Une visite qui devait justement aider à dissiper les tensions entre les deux pays. Encore raté !

Peut-être connaitra-t-on un jour le fin mot de l’histoire. En attendant, on se souviendra qu’il y a 70 ans, l’US Air Force avait été elle-même une grande utilisatrice de ballons pour les missions de renseignement. Les satellites n’existaient pas encore et le U-2 était un rêve.

Frustrée par le verrouillage de l’URSS et l’impossibilité de désigner des cibles à leurs bombardiers, l’Air Force avait alors eu la brillante idée de lancer dans la haute atmosphère des ballons porteurs d’appareils photos automatiques, puis de les laisser dériver au-dessus de l’URSS, poussés par le jetstream. Les sites de lancement allaient de la Norvège à la Turquie et les ballons et leurs films devaient être récupérés en Extrême Orient. Plus de 5.000 bidules flottants furent lancés, mais une quarantaine seulement récupérée. Les Américains obtinrent 14.000 photos passionnantes de forêts et de champs, de vaches et de petits lapins et le programme fut arrêté…