Un colloque organisé sur la base aérienne 709 de Cognac a évoqué 25 ans d’opérations des drones dans l’Armée de l’air et de l’espace. L’actuel conflit en Ukraine fournit une illustration parfaite du rôle de ces appareils ainsi que du travail qui reste à faire en France pour se hisser à la hauteur des enjeux du moment.
Dans le hangar de la 33ème escadre de surveillance, de reconnaissance et d’attaque (ESRA) l’escadron de protection (chargé de la sécurisation de la BA 709) et les commandos de l’air présentent toute la variété de leurs équipements sur des tables. A proximité, deux drones MQ-9 Reaper exhibent leur panoplie : bombe à guidage laser GBU-12, missile Hellfire et nacelle de renseignement électronique. Voilà pour la coupe à moitié pleine : l’AAE utilise une grande variété de drones et dispose désormais d’une bonne palette de capteurs et d’armements.
Pour le verre à moitié vide, on remarque qu’à deux ou trois exceptions près, la plupart des matériels exposés sont d’origine étrangère (comme les Grob et Pilatus en service sur la BA 709 d’ailleurs…) Les missiles Hellfire et la nacelle de renseignement électronique ne sont pas encore en service et il reste toujours sur la BA 709 des techniciens de General Atomics (difficile de les rater avec leurs barbes de bucherons…) pour mettre en oeuvre les drones MQ-9 Reaper Block 1.
Ce n’est pas peu dire que la France a raté ces dernières années le virage du drone MALE (Moyenne Altitude Longue Endurance). En 1995, l’Armée de l’air achète le drone RQ-5 Hunter américano-israélien. L’appareil est utilisé au Kosovo et accumule 1.500 heures de vol. Mais comment développer une véritable capacité avec seulement quatre appareils ?
Avec le Harfang qui apparait en 1997, c’est la même chanson : seulement quatre appareils sont achetés et le « système Harfang » garde un fort arôme expérimental. Les intervenants du colloque rappellent qu’il a fallut pas moins de quatre Antonov pour déployer les appareils et leurs cabines de contrôle en Afghanistan. Personne n’avait donc prévu que l’appareil pourrait être déployé un jour en Opex ?
Donc le barnum Harfang se met en place sur la base américaine de Bagram, au nord de Kaboul, tant et si bien qu’il ne reste aucun moyen d’entrainement en France. La formation des opérateurs se fait directement sur le théâtre d’opération. C’est la French touch. Malgré cela, tous les appareils survivent à trois opérations extérieures (Afghanistan, Libye et Mali) et accumulent 15.400 heures de vol. Pendant les trois premiers mois de l’opération Serval, les Harfang illuminent dix cibles au profit de bombes à guidage laser.
L’utilité de ces appareils est clairement établie, le terrain est défriché et on se dit que les armées, la DGA (Direction générale de l’armement) et les industriels vont pouvoir semer. On attend un appareil armé, plus puissant, avec une motorisation française. Et c’est le MQ-9 Reaper made in USA qui arrive.
Acheté dans l’urgence et à grand frais, il est livré, en plus, avec un fameux fil à la patte : en France et en Opex, la maintenance, les décollages et atterrissages doivent être faits par des salariés de General Atomics. Tant pis pour la fameuse autonomie stratégique. Et comme pour le Harfang, les appareils sont envoyés directement au combat sans passer par la case France. Cela devient une habitude. En coulisse, c’est la course en sac pour entrainer les équipages in situ, roder les procédures et fournir les relèves.
Fin 2019, six ans après leur entrée en service, les Reaper français basés à Niamey tirent leurs premières bombes. Il ne s’écoule que cinq jours entre le premier tir expérimental réalisé sur un champ de tir nigérien et le premier tir opérationnel, au Mali. « L’armement sur le Reaper, c’est la cerise sur le gâteau qui accélère la boucle d’engagement » rappelle un intervenant du colloque. Le gâteau était sorti du four depuis longtemps, la cerise était sur l’arbre, il a juste fallu attendre six ans, et accessoirement l’attentat du Bataclan, pour obtenir l’autorisation de marier les deux. Pourquoi une telle attente ? Peut-être le sujet d’un prochain colloque ?
La France a acheté 12 MQ-9 Reaper, six Block 1 de première génération et autant de Block 5 plus récents, mais semble-t-il déjà en retard techniquement sur les appareils en service Outre-Atlantique. Deux des Block 1 sont en France et servent à la formation. Deux autres sont chez l’industriel pour être portés au standard Block 5 et les deux derniers appareils ont été perdus. Quant aux six Block 5 achetés, deux sont en France (mais sans avoir le droit de voler, c’est ça aussi la French touch), trois font la guerre depuis Niamey et le dernier est toujours chez l’industriel pour participer à des travaux d’intégration.
La 33ème ESRA qui les utilise est désormais devenue une grosse boutique de 310 personnes, dont les effectifs vont augmenter peu ou prou de 10% par an jusqu’en 2030. Elle est organisée en trois escadrons – 1/33 Belfort, 2/33 Savoie et 3/33 Moselle – avec à l’actif de ce dernier la formation d’une dizaine d’équipages par an. Un bel effort, mais dont il faut retirer, pour être exact, les navigants perdus au gré des mutations et des départs de l’institution.
Depuis leur mise en service, les Reaper ont tiré 181 bombes et réalisé 60.000 heures de vol, dont 55.000 au Sahel. Les drones sont partis pour durer, c’est une certitude. Le général Stéphane Mille, chef d’état-major de l’Armée de l’air et de l’espace (CEMAAE), rappelait dans son discours introductif du colloque que « la Loi de Programmation Militaire cultive l’ambition « d’intégrer l’ère du drone », avec un doublement de l’investissement en la matière. Les objectifs que j’ai fixés sont très clairs : faire effort sur tout le spectre des missions drones, de la basse intensité jusqu’à la haute intensité, et élargir la protection des sites dans une approche multicouche avec un C2 adéquat ».
Autres axes d’effort rappelés par le CEMAAE, la montée en puissance sur la lutte anti-drone, avec des jalons à très court terme en vue de la sécurisation des Jeux Olympique de 2024, et la réappropriation des missions de lutte anti-radar et de guerre électronique offensive, y compris en s’appuyant sur la composante drone. Si la LPM (Loi de programmation militaire) actuelle (2019-2025) a entériné la consolidation et la diversification du segment drone dans l’AAE, la suivante (2024-2030) prévoit de poursuivre l’effort avec notamment le programme Eurodrone.
La France investit et réfléchit beaucoup sur la question des drones, c’est bien. Attention toutefois de ne pas trop réfléchir trop longtemps. Puisque tous les regards se portent aujourd’hui vers l’Ukraine, on se rappellera que le drone turc Bayraktar TB2 qui était sur le devant de la scène en février 2022 a aujourd’hui pratiquement disparu d’un paysage dominé par de solides couches de défense anti-aérienne. Avec combien d’appareils perdus au combat d’ailleurs ? Sans doute bien plus que la dizaine de Reaper en service en France… Le monde du drone est en évolution constante et accélérée, à l’image de notre société.
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Je reviens sur ce sujet car ces derniers mois ont été marqués par des attaques de drones ukrainiens sur des objectifs de plus en plus lointains et bien ciblés. Apparemment les défenses sont en grandes difficultés pour identifier puis abattre ces drones, isolés ou en essaim.
Le brouillage électronique obtiens des succès, la DCA aussi mais le filtre a de trop gros trous.
Il faudra inventer une nouvelle défense anti-drones ... ou alors, dans l'attente de moyens performants, peut-être revenir aux bonnes vieilles recettes : des ballons comme depuis 1914.
Une recherche rapide sur le net :
https://www.futura-sciences.com/planete/photos/environnement-grande-epopee-ballons-dirigeables-1945/ballon-barrage-1942-ballon-barrage-13977/