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Défense

La France est-elle en capacité de fournir des avions de combat à l’Ukraine et pour quelles missions ? (2/4)

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Frédéric Lert

La livraison de chasseurs serait-elle purement symbolique ou bien apporterait-elle une réelle capacité opérationnelle aux Ukrainiens ? Cela dépendra des avions eux-mêmes mais aussi et surtout des armements qui seront fournis avec. 

Interrogé sur la livraison possible par la France d’avions de combat , le ministre des armées a répondu qu’il « n’y a pas de tabou ». Avec toutefois trois conditions : qu’une telle aide « n’affaiblisse pas les capacités militaires françaises », qu’elle ne soit pas « escalatoire » (un néologisme appelé à un bel avenir) et « ne permette pas de viser le territoire russe ».

La première condition est assez facile à cerner : la France n’ayant à ce jour pas assez d’avions pour faire voler ses pilotes de manière satisfaisante, ayant déjà puisé dans son parc de Rafale pour fournir 24 avions d’occasion à la Grèce et à la Croatie et n’ayant que très peu d’appareils en réserve d’attrition, la marge de manoeuvre sera très limitée. Le nombre d’interprétations pouvant être faites du mot escalatoire tangente l’infini et pour ce qui est de « permettre de viser le territoire russe », on ne comprend pas très bien ce que cela signifie, un avion de combat étant par définition apte à franchir une frontière sans demander de visa. Ceci étant posé, qu’elles sont les différentes options ? 

Les Rafale : c’est niet pour l’instant. D’abord parce que les avions sont en nombre insuffisant en France à tel point que les heures de vol des pilotes sont limitées à 150 heures, bien en deçà du minimum de l’OTAN (180 heures). L’avion qui tient la corde dans les conversations de salon et de plateau télé est le Mirage 2000C. Les derniers monoplaces (une douzaine) utilisés en France, sous les couleurs de l’escadron de chasse 2/5 Ile de France basé à Orange, ont été retirés du service en juin 2022, après trente-huit ans de service. Quelques autres monoplace pourraient être récupérés ici ou là à l’étranger.

Les Ukrainiens dépensent beaucoup d’énergie à faire bouger leurs avions et les soustraire aux bombardements de missiles de croisière russes. Le Mirage 2000C sait voyager léger, c’est un atout. Son empreinte logistique est relativement faible et son empreinte au sol également, ce qui le prédispose à l’utilisation de pistes improvisées (routes et autoroutes).

En 1998, quatre appareils de l’escadron de chasse 1/5 Vendée se posèrent en Pologne, le temps d’un exercice. A l’invitation des Polonais, le détachement français participa à un exercice (non prévu initialement) de « desserrement » sur route. Au débotté, deux avions allèrent se poser sur une route de 15m de large et 1800m de long. Sans problème, et sans même avoir à utiliser de parachute frein. Etonnement des Polonais. 

Offrir aujourd’hui des Mirage 2000-5 à l’Ukraine représenterait un gros sacrifice pour l’Armée de l’air et de l’espace qui perdrait beaucoup  dans l’affaire ! © Frédéric Lert/Aerobuzz.fr

Le problème avec le Mirage serait son âge et son manque d’armement. La première question est vite réglée : quand il faut faire la guerre, les butées de potentiel peuvent disparaitre comme par enchantement. Pour ce qui est de l’armement, c’est un peu la même logique. Une chose impossible à envisager un jour peut devenir une solution idéale le lendemain.  

Les missiles Super 530D à moyenne portée qui étaient taillés pour les Mirage 2000C ont été retirés du service il y a plus de dix ans. Inutile d’en reparler. Les Magic 2 sont également en fin de vie, même si on peut imaginer la présence de quelques stocks ici ou là. Reste au Mirage ses deux canons de 30mm pour le travail air-air. Mais rien n’est figé : en temps normal, le temps d’intégration d’un armement nouveau se compte en années. En temps de guerre, c’est en semaines.

On se souvient par exemple de l’intégration de missiles AIM-9L sur les Harrier  GR3 britanniques pendant la guerre des Malouines, obtenue en trois semaines seulement. Plus près de nous, les Ukrainiens n’ont pas attendu bien longtemps pour monter des missiles anti-radar américains HARM sur leurs MiG 29. Avec des études d’intégration aéro-mécanique sans doute limitées à l’essentiel ! Tout ça pour dire qu’on pourrait très bien voir un jour des Mirage 2000C équipé de Sidewinder… C’est un exemple parmi d’autres. Les boitiers d’interface armement installés dans les poutres  d’emport devraient faire le job… 

Le Mirage 2000C est une brave bête qui accepte beaucoup de choses. Allons plus loin : le missile MICA offrant des modes de tir totalement autonome, ne pourrait-on pas également envisager son montage sur un Mirage 2000C ? Sans doute, mais au prix d’une utilisation dégradée du missile. Mais s’il s’agissait de faire peur à l’adversaire, le montage serait bon à prendre.

Dès lors, au lieu de se limiter à la protection de quelques sites dans un mode « bataille d’Angleterre », les Ukrainiens, qui auraient eu par exemple la bonne idée de s’équiper en nacelles de ravitaillement en vol, se feraient un plaisir à aller cherche des cibles aériennes de haute valeur au-delà de la frontière…

Dans un engagement air-sol, le Mirage 2000C peut tirer un large échantillonnage munitions guidées ou non guidées. On objectera que pour ces dernières, il ne peut pas guider lui-même les munitions, et que l’emploi récent dans le Sahel sous les couleurs françaises se faisait en binôme avec un Mirage 2000D illuminateur. Mais ça c’était sous les couleurs françaises. En Inde, les monoplaces emportent des nacelles de guidage laser en point de fuselage avant droit. Le missile Exocet pourrait également être de la partie : il passe en point central sous l’avion. De quoi faire aussi peser une sacrée menace sur la marine russe en Mer Noire.

On a évoqué un peu plus haut le missile MICA, associé en temps normal au Mirage 2000-5 en service au sein de l’escadron 1/2 Cigognes. La France dispose sur le papier de 27 de ces avions. Avec son radar RDY et ses MICA à guidage électromagnétiques ou infrarouge, l’avion pourrait introduire une véritable rupture dans le rapport de force face aux Russes. Mais ces Mirage 2000-5 ont beau être vieux, ils continuent de fournir 15% des capacités de l’Armée de l’air et de l’espace. On imagine alors mal celle-ci se défaire aussi facilement de cette flotte (voir le point 1 du ministre).

Le Mirage 2000D offre de formidables capacités de pénétration. Mais la mission est très complexe et correspond à un savoir-faire précieusement cultivé par les escadrons de Nancy. Le transmettre serait long et compliqué, d’autant que les capacités de l’avion, couplées à l’utilisation de missiles de croisière, offriraient à l’Ukraine des possibilités offensives qui pourraient être jugées excessives… © Frédéric Lert/Aerobuzz.fr

Au chapitre des avions qui ont déjà roulé leur bosse, il faut également citer le Mirage 2000D. Sur les 86 appareils livrés à l’Armée de l’Air et de l’espace, 13 ont été perdus en un peu moins de trente ans d’utilisation. Cinquante-cinq des appareils restant sont en cours de modernisation. Les autres avions ne le seront pas, faute de budget. Comme quoi la préparation à la guerre haute intensité qui est devenue le mantra officiel du gouvernement, trouve vite ses limites…

Cette quinzaine d’appareils constitue l’une des rares réserves d’attrition de l’Armée de l’air et de l’espace. Il y aurait de quoi donner une force puissante de pénétration et d’attaque au sol avec des armement à guidage laser et/ou GPS, et avec des missiles de croisière. Mais la mission est très complexe à maitriser et l’envoi de l’avion permettrait à coup sûr de frapper profondément en territoire russe, et même jusqu’à Moscou. Sans doute un no go pour la France dans la situation actuelle.  

A suivre…

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Frédéric Lert

Journaliste et photographe, Frédéric Lert est spécialisé dans les questions aéronautiques et de défense. Il a signé une trentaine de livres sous son nom ou en collaboration. Il a rejoint Aerobuzz en juin 2011. Au sein de la rédaction, Frédéric Lert est le spécialiste Défense et voilures tournantes.

View Comments

  • Je relis cet article sur le mirage 2000C pour l‘ukraine. Qu‘en est il de l‘integration des tous nouveaux SCALP-EG („storm shadow“) ?

  • Les Emirats Arabes Unis seraient sur le point de se défaire d'un certain nombre de leurs Mirage 2000-9 (le 2000 le plus évolué, polyvalents air-air et air-sol), afin d'en faire don au Maroc ainsi qu'à l'Egypte.
    N'y aurait-il pas moyen d'en récupérer au profit de l'Ukraine ?

  • Dans le cadre de la vente de Rafale M à la Marine indienne, la France aurait proposé un prêt de quatre appareils à l'Inde, en attendant la livraison des Rafale neufs.
    La France estime donc être en capacité de pouvoir se séparer d'encore quatre Rafale, sans que cela n'affaiblisse ses capacités militaires.

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