La France va former des pilotes ukrainiens

« La porte s’ouvre » a déclaré le président de la république. De nombreuses questions restent toutefois sans réponse et on ne sait trop ce que l’on va trouver derrière cette fameuse porte…

« Nous avons ouvert la porte pour former des pilotes » a donc déclaré Emmanuel Macron lors de son interview du 15 mai 2023, sur TF1. « Et ce avec plusieurs autres pays européens », a poursuivi le Chef des armées. « Les formations peuvent commencer dès maintenant. »

Qui, quand, quoi, où, comment ? A ces cinq questions fondamentales, Emmanuel Macron a donc répondu à la deuxième : « dès maintenant »

Mais de quoi parle-t-on exactement ? Stricto sensu, on peut donner quitus au Président : effectivement, à l’heure où paraissent ces lignes, des navigants sont formés à la survie à Mont-de-Marsan. Quelques dizaines d’Ukrainiens sont concernés par ces formations et ils sont intégrés par petits groupes dans des stages avant tout conçus pour les équipages français. Mais bien entendu, la communication actuelle porte sur la formation au pilotage et là les choses sont plus floues.

Qui va former qui en France ? S’agira-t-il de jeunes pilotes ab initio ou bien de pilotes plus expérimentés ? Verra-t-on des élèves venir à Cognac pour un ou deux ans et faire leurs gammes sur Grob 120 puis Pilatus PC-21, ou bien s’agira-t-il de stagiaires qui pourraient poser leurs valises à l’Air Warfare Center de Mont-de-Marsan pour y apprendre le travail en COMAO (Composite Air Operations) et le combat aérien 2.0, à la sauce occidentale ?

Ou bien assisterons-nous à une combinaison des deux, une combinaison qui permettrait aux ukrainiens d’anticiper la livraison d’avions modernes tout en préparant l’avenir à long terme ? Pour les Ukrainiens, la difficulté est de courir deux lièvres à la fois : jeter les bases d’une nouvelle force aérienne totalement rééquipée tout en gardant suffisamment de pilotes disponibles en première ligne pour faire voler les MiG et Sukhoi. Un lieutenant-colonel ukrainien, pilote de Sukhoi 25, aurait aujourd’hui atteint le chiffre impressionnant de 300 missions de combat sur le front. Soit plus de quatre missions par semaine depuis le début de l’invasion.

L’Armée de l’air et de l’espace n’est riche ni en avions école, ni en instructeurs, et elle a déjà les mains bien pleines avec le Soutex (soutien aux exportations) lié au Rafale et avec la formation de ses propres équipages. Les instructeurs sont une denrée rare à Cognac et encore plus à Nancy où l’on forme les pilotes de Mirage 2000 et à St Dizier où se fait l’instruction sur Rafale. Et dans un cas comme dans l’autre les Mirage et Rafale disponibles pour la formation se comptent sur les doigts d’une main ou deux.

La marge de manoeuvre est donc étroite. Et si l’on élargit le champ de vision, on se rend compte également de l’existence d’une certaine compétition entre chefs d’état occidentaux pour savoir qui fera le plus gros câlin à Volodymyr Zelensky lorsqu’il descend d’un avion ou d’un hélicoptère.

Malgré les efforts d’Emmanuel Macron, on sent bien que Rishi Sunak, premier ministre de Grande-Bretagne, est l’actuel champion du hug viril et des offres spectaculaires. Après avoir cédé des chars de combat et des missiles de croisière, les Britanniques annoncent qu’ils débuteront la formation des pilotes ukrainiens dès cet été avec une préparation spécifiquement tournée vers le F-16. Le travail se fera main dans la main avec les pays aujourd’hui pressentis (Danemark, Hollande…) pour donner leurs F-16 à l’Ukraine.

L’ironie de l’histoire est que la Royal Air Force traverse une période chaotique en matière de formation en raison de l’indisponibilité de ses Hawk utilisés pour l’entrainement avancé. Les retards s’allongent dans ses propres rangs, à tel point qu’elle doit confier certains de ses stagiaires aux Américains (normal) ou même à l’International Flight Training School installée en Sardaigne et fruit d’une coopération entre Leonardo et la force aérienne italienne. Des pilotes de la RAF formés par les Italiens, certains grands anciens doivent se retourner dans leurs tombes…

Dans le même temps, l’hypothèse d’une cession de Typhoon s’éloigne et les Ukrainiens évoquent de plus en plus ouvertement leur volonté d’entraîner leurs pilotes sur le F-16 et de bâtir leur force aérienne nouvelle sur ce modèle d’avion. 

A l’issue de l’intervention présidentielle, le général Paloméros expliquait très justement sur LCI que ce n’est pas avec une poignée d’avions anciens récupérés ici ou là que se monte une force aérienne dans un pays en guerre : il faut aussi un nombre suffisant d’avions pour faire masse !

Celui qui fut Chef d’état-major de l’Armée de l’air de 2009 à 2012 rappelait en outre qu’au-delà de la formation sur l’avion lui-même, il sera important de former les Ukrainiens à la pratique moderne des opérations aériennes. Il leur faudra aussi des capacités de renseignement, de ciblage et de coordination, toutes ces briques indispensables pour garantir une autonomie d’emploi de la force aérienne.

A ce propos, y a-t-il parmi les lecteurs d’Aerobuzz quelqu’un qui saurait nous dire qui gère le ciblage et la programmation des missiles de croisière Storm Shadows tirés par les Ukrainiens ?