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Défense

La Surprise du chef !

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Frédéric Lert

Le 16 janvier 1991, sept B-52 décollent des Etat-Unis pour aller bombarder l’Irak et donner le coup d’envoi de la première Guerre du Golfe. Ils reviennent se poser 35 heures plus tard, à l’issue de ce qui est alors la plus longue mission de bombardement de l’histoire. Embarquement pour la mission Senior Surprise !

Le 4 août 1990, l’Irak de Saddam Hussain a envahi son voisin, le Koweit. Dans les mois suivants, sous la houlette des Etats-Unis, une large coalition de pays amasse des forces considérables en Arabie Saoudite pour faire reculer les Irakiens. Un ultimatum leur est également adressé : s’ils ne se retirent pas du Koweit avant le 15 janvier 1991, ça se passera mal pour eux…

A 10.000 km de la région, la base de Barskdale (Louisiane) se prépare déjà à entrer en guerre. Le 596th Bomber Squadron a sélectionné sept B-52G qui devront participer à la mission Senior Surprise. Il s’agira de détruire des cibles de très haute valeur dans les toutes premières secondes de la guerre, en utilisant des missiles CALCM encore secrets. Les CALCM (Conventional Air Launched Cruise Missile) sont en fait la version conventionnelle de missiles normalement porteurs d’une charge nucléaire. Ce qui va d’ailleurs provoquer un certain émoi sur la base américaine : voyant les B-52 équipés de CALCM, de nombreux militaires penseront que l’Irak va se faire vitrifier !

A partir du 14 janvier 1991, les équipages des sept avions sont consignés sur leur base. Interdiction de sortir, interdiction de communiquer avec leurs familles. Le compte à rebours a commencé et la mission est finalement lancée le 16 janvier. Les équipages sont réveillés à 3h du matin, les avions sont préparés… Derniers briefings, installation à bord, mise en route… La base vibre au rythme des 56 réacteurs qui tournent en cadence sous une pluie battante. Il est un peu plus de 6h du matin quand les appareils s’alignent les uns après les autres sur la piste 15-33. Temps de vol est estimé jusqu’à l’objectif, 14h30.

Les combats n’ont pas encore commencé dans le Golfe et pour garder le secret sur la mission, les sept bombardiers ont reçu des indicatifs radio et des codes transpondeurs appartenant à des KC-10 de ravitaillement en vol. Pour faire plus crédible, un KC-10 fait également partie du raid.

Le plus incroyable est que dès le décollage, le quatrième avion de la formation, indicatif Doom 34, est obligé de couper un de ses moteurs. L’équipage choisit de ne rien dire à personne, de peur de devoir faire demi-tour et de rater la mission historique ! Avec seulement une poignée de missiles chacun, les B-52G sont relativement peu chargés et ne sont pas à un réacteur près ! Doom 34 continue donc sur sept moteurs, avant finalement d’annoncer la nouvelle au chef du raid une heure après le décollage. A ce moment-là, le point de non-retour est atteint et l’avion reçoit le feu vert pour continuer la mission.

Un premier ravitaillement en vol est effectué au milieu de l’Atlantique par un groupe de 14 KC-135 qui ont décollé de la base de Lajes, dans les Açores. Les équipages des ravitailleurs n’ont alors aucune idée des clients qu’ils vont recevoir. La vision de la meute des B-52 en approche est un premier choc pour eux. Le deuxième choc, encore plus violent, est pour les boomers qui manoeuvrent les perches de ravitaillement en vol. Accrochés sous les ailes des bombardiers, ils reconnaissent sans peine des missiles de croisière porteurs en théorie de charges nucléaires. L’USAF va-t-elle ouvrir le feu nucléaire ?

De retour au sol, les boomers sont rapidement briefés par les services de sécurité sur la nature exacte des CALCM qu’ils ont aperçu. Quelques heures plus tard, le scénario se répète au-dessus de la Méditerranée, avec cette fois des KC-10 partis d’Espagne. Surprise des équipages, effroi (une fois de plus) des boomers, briefings de retour au sol et obligation de ne rien dire à personne. Pendant ce temps, à la frontière entre l’Arabie Saoudite et l’Irak, la situation est toujours calme. L’ultimatum a expiré mais pas un coup de feu n’a encore été tiré.

Tout change brusquement alors que les bombardiers évoluent au-dessus de l’Egypte, toujours en se faisant passer pour des KC-10. Les contrôleurs égyptiens les informent que l’espace aérien Saoudien vient de se refermer comme une huitre : les F-117 ont commencé à bombarder Bagdad, la guerre est lancée, les frontières bouclées ! Hors de question pour les B-52 de révéler leur vraie nature et leur mission. Pendant que les télex chauffent en haut lieu, ils font des hippodromes pendant 30 minutes. Puis la porte s’ouvre miraculeusement : les avions reprennent leur marche vers l’est avant d’obliquer vers l’Irak.

La zone de lancement de leurs missiles se situe dans nord-ouest de l’Arabie Saoudite, environ 160 km au sud de la frontière irakienne, très loin donc des défense anti-aériennes de Saddam Hussein. Les CALCM sont tirés un par un, avec des intervalles de 60 secondes. Les Américains ne veulent prendre aucun risque et seulement 35 missiles sur 39 sont lancés. Les quatre autres, pour lesquels des doutes existent sur leur bon fonctionnement, seront ramenés aux Etats-Unis. Après les tirs, les bombardiers font demi-tour et prennent un cap retour vers les Etats-Unis. Mais l’aventure est loin d’être terminée…

La météo se gâte sur la Méditerranée et quand vient le temps du troisième ravitaillement en vol, la visibilité horizontale est tombée à 3 km. L’inquiétude monte dans les avions au fur et à mesure que descend le niveau de carburant. Dans certains avions, les jauges n’affichent plus que 9 tonnes disponibles. Tout est relatif… L’imprécision des jauges fait que le volume réel peut en fait être plus proche d’une tonne que de neuf. Et une tonne de carburant pour 8 moteurs, c’est très peu…

La situation est si critique que certains équipages envisagent la possibilité d’une éjection. Après 20 heures de vol, les pannes apparaissent dans les vieux B-52G et certains n’avancent plus à présent qu’avec six moteurs. Malgré tout, le troisième ravitaillement en vol se fait et la flottille atteint à présent l’Océan Atlantique où se présente un nouveau problème : un terrible vent de face, si fort d’ailleurs qu’il cloue au sol les KC-135 de Lajes.

Il faut faire décoller en urgence les KC-10 de Moron (Espagne) pour venir abreuver les sept bombardiers. Les KC-10 donnent tout ce qu’ils peuvent, mais cela ne suffit pas pour les B-52G toujours confrontés à des vents de face d’anthologie. Leur consommation est telle que l’USAF doit alors faire décoller en urgence des Etats-Unis deux KC-135 normalement tenus en réserve pour l’alerte nucléaires.

Après un ultime ravitaillement en vol, les sept avions retrouvent finalement la piste de Baksdale  le 17 janvier au soir, après 35 heures de vol. Un record ! En Irak, la guerre a commencé depuis 21 heures. Quand les équipages mettent pied à terre, ils assistent, incrédules, à leur propre bombardement diffusé en différé sur CNN. Ils peuvent aussi retrouver leurs familles, laissées sans nouvelle depuis quatre jours !

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Frédéric Lert

Journaliste et photographe, Frédéric Lert est spécialisé dans les questions aéronautiques et de défense. Il a signé une trentaine de livres sous son nom ou en collaboration. Il a rejoint Aerobuzz en juin 2011. Au sein de la rédaction, Frédéric Lert est le spécialiste Défense et voilures tournantes.

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