Après deux ans de bras de fer, le nœud gordien a été tranché par Washington qui a annoncé l’exclusion du programme F-35 de la Turquie, coupable d’avoir acheté un système anti-aérien russe S-400. La Turquie perd 9 milliards de dollars de compensations industrielles, mais conserve sans doute une belle masse d’information sur le F-35. La question de la présence des F-35 de l’Otan sur la base turque d’Incirlik se pose également…
Le 12 juillet 2019, deux ans après avoir annoncé son intention d’acquérir le système S-400 « Triumpf », la Turquie a reçu les premiers éléments de ce système de défense anti aérienne russe. Une livraison en grande pompe, contrairement aux usages en matière d’armement, symptomatique du rôle joué par cet armement dans l’attitude de la Turquie sur la scène internationale. Mais une livraison incompatible avec la mise en oeuvre du F-35 selon Washington, qui explique qu’il serait facile pour le S-400 de collecter des informations confidentielles sur le F-35, et notamment sur sa signature radar. Les Etats-Unis proposaient bien à Ankara d’acheter à la place le système Patriot, mais la Turquie ne se laissa pas détourner de son choix. Elle va maintenant en payer les conséquences, dénonçant au passage une décision « injuste » de Washington.
Le Rubicon étant franchit par les deux partenaires, l’onde de choc se propage à présent à grande vitesse à travers un programme qui était suffisamment complexe comme ça… La Turquie y était associée depuis son lancement, elle avait cent F-35A (version à décollage et atterrissages conventionnels) en commandes et surtout une part importante de la charge industrielle.
Dans un premier temps, Washington et le Pentagone ont demandé aux pilotes, mécaniciens et leurs familles en formation aux Etats-Unis de quitter le territoire américain avant le 31 juillet. C’est la conséquence la plus spectaculaire mais aussi la plus simple à gérer de cette exclusion…
Le plus compliqué va être de récupérer la charge de travail qui avait été confiée à l’industrie turque : une dizaine de sociétés locales produisent très exactement 937 pièces du F-35, dont 400 en simple source. Selon les Américains, relocaliser cette production coûtera entre 500 et 600 millions de dollars. Ce travail de redistribution a déjà débuté il y a plusieurs mois et devrait être achevé en mars 2020.
Lockheed Martin estime qu’il n’y aura pas d’impact sur la production en cours et les 131 avions prévus en 2019 seront bien au rendez-vous. Les Turcs seront les plus gros perdants dans cette affaire : le chiffre d’affaires de leur participation au programme F-35 était estimé à 9 milliards de dollars.
L’exclusion de la Turquie pose quantité d’autres questions essentielles : que deviendront les quatre F-35A déjà livrés au pays, et toujours stationnés sur le territoire américain où ils servaient à la formation et à l’entrainement de leurs futurs utilisateurs ? Ces avions ne seront pas rendus à Ankara, mais seront-ils remboursés ? Que deviendront les avions déjà en fabrication ? La Turquie devait recevoir 30 F-35 d’ici 2022.
Les Turcs ayant travaillé sur le programme connaissent maintenant l’avion intimement. Pourraient-ils être tentés de monnayer leurs connaissances ? Une autre question porte sur la base turque d’Incirlik, essentielle pour les opérations de l’Otan au Proche-Orient. Les pays de l’alliance Atlantique s’équipant avec le F-35 pourront-ils continuer à utiliser cette base ? Et d’ailleurs les autres avions furtifs américains devront-ils éviter l’espace aérien turc à l’avenir ? Côté américain, on se refuse pour l’instant à répondre à ces questions…
Pays d’Asie, musulman, la Turquie a adhéré à l’Otan dès 1952 dont elle était le maillon essentiel sur le flanc sud. Elle a servi de plateforme de lancement des U-2 à la grande époque des survols plus ou moins clandestins de l’URSS. Elle entretient avec les Etats-Unis une relation qualifiée de stratégique par Washington (qui stocke des armes atomiques dans le pays) et le Pentagone continue de voir dans la Turquie « un partenaire de valeur » bien que le pays soit en conflit larvé avec la Grèce, autre membre de l’Otan, et qu’elle continue à occuper militairement la moitié nord de Chypre. On peut se demander combien de temps ce tissu de contradictions tiendra, alors même que Donald Trump insiste sur les « bonnes relations » qu’il entretient avec son homologue turc.
Pendant ce temps Moscou reste en embuscade, offrant son Sukhoi 35 à la Turquie. Le Su 35 est entré en service en 2015 au sein de la force aérienne russe. En 2016 il avait été engagé en Syrie pour protéger les bombardiers de Moscou opérant dans la région. Ironie d’une histoire qui n’en est pas avare, Moscou avait envoyé cet avion après qu’un chasseur turc eut abattu un Su 24 en novembre 2015…
Frédéric Lert
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Armer les turcs, pays musulman ayant une importante diaspora en UE, menace d’un conflit avec la Grèce, était pour moi une aberration.
Je me réjouis du coup des missiles russes, russes que je vois plus comme des alliés pour les conflits à venir ….
Cela met un doute sur la fiabilité du F35 face aux missiles russes, parce que même si les russes avaient la possibilité d'espionner plus facilement l'état de développement du F35, il aurait été aussi très facile aux américains d'étudier de très prés les S-400 et surtout leurs faiblesses !
La "Turquie, pays musulman"... Certes, mais surtout depuis R.T. Erdogan, qui a foulé aux pieds l'héritage de Kemal Ataturk, l'homme qui avait "fait" le seul pays musulman laïc, sans religion d'État, sans idéologie islamique. Erdogan porte une très lourde responsabilité.
Ce n'est pas mentionne dans l'article, mais les composants fabriques en Turquie ne sont pas "strategiques", quand au partage de donnees entre les differents participants au programme, il ne se fait pas sur les donnees sensibles. Les Israeliens, pays oh combien ami et qui ne participe pas a la construction ont du batailler ferme pour avoir acces a certaines parties du logiciel et devvelopper leur propre version.
près de 900 pièces fabriqués en Turquie concernant le F-35 cela va être difficile de les avoir au même prix dans un pays occidental avec la même qualité de fabrication et aucun risque de voir une sous traitance dans un pays hors de l'Otan