Longtemps le surdoué du transport militaire s’est fait désirer. Et c’est finalement par le C-130J américain, bien placé pour profiter des déboires du premier Airbus militaire, que la coopération franco-allemande va atteindre un niveau jamais connu jusqu’à présent.
La voix synthétique du FMS résonne dans les écouteurs en donnant l’altitude : 150 ft, 150 ft… Sous l’avion, le tapis rocailleux du nord Mali glisse sans effort. 285 kt au badin, 146m à chaque seconde. De temps à autre, le pilote engage son avion dans un virage brusque pour casser la trajectoire. Le saumon d’aile pointe vers le sable. La manœuvrabilité est exceptionnelle, l’appareil démontrant sans effort un taux de roulis de 30° par seconde. « Et en plus nous ne sommes qu’à 50% de la puissance disponible note le commandant de bord. Cet avion est un monstre… »
Un monstre qui a donné des sueurs froides à beaucoup de monde. Pendant quelques années, il a même empêché de dormir les pontes d’Airbus et les chefs de quelques armées de l’air, c’est dire !
C’est en 2000 qu’Airbus Military est déclaré vainqueur de l’appel d’offre visant à fournir à huit pays de l’Otan un nouvel avion de transport militaire. La signature d’un contrat initial arrive en 2003. L’avion recherché doit être bon en tout, de la capacité tactique à l’allonge stratégique. La martingale.
Mais dès la première minute, tout est compliqué, puisqu’il faut conjuguer les exigences opérationnelles, parfois contradictoires, d’une tripotée d’états-majors. « Projet mouvant, programme fragile » écrivait alors le journaliste Pierre Sparaco. Un mouton à cinq pattes aurait été plus simple.
Le 11 décembre 2009, l’avion décolle et son prix s’envole. Ce jour là, Fabrice Brégier dit les choses sans fard dans un entretien avec le journal économique La Tribune : « (…) à la signature du contrat, tous les industriels se sont bercés d’illusions et se sont engagés dans une mission impossible : développer un avion militaire comme un avion commercial. Dès le départ, le référentiel était faussé. Et puis pendant longtemps, EADS et Airbus n’ont pas géré ce programme avec toute la rigueur nécessaire. Nous reconnaissons notre part de responsabilité ». Le n°2 d’Airbus reconnaît également une hausse des coûts non prévue « significative ».
Les industriels, Airbus et Europrop International (responsable de la motorisation) ont fait preuve d’une incroyable légèreté en promettant le développement et la fabrication de 180 avions pour un prix fixe, 20 milliards d’Euros. La facture va en fait augmenter de près de 50%, venant tutoyer les 30 milliards. Une estimation, à quelques centaines de millions près… contrairement à ce que dit le proverbe, quand on aime on n’arrête pas de compter.
En 2010, Airbus est prêt à jeter l’éponge et l’annonce urbi et orbi par la voix de son patron, Tom Enders. Une façon de faire peur, de faire monter les enchères ? Les états finissent par remettre au pot pour éponger une partie des surcoûts.
En matière de coopération franco-allemande, l’A400M marche dans les traces du Transall. Il y avait eu pour ce dernier, en octobre 1965, un escadron franco-allemand provisoire créé administrativement au sein du CEAM (Centre d’expérimentation de l’armée de l’air). Sa mission était triple : mener à bien l’expérimentation opérationnelle et technique de l’avion, élaborer la documentation technique puis enfin former les premiers équipages et les équipes d’entretien.
Avec l’A400M, on prolonge l’expérience. L’équipe de marque du CEAM est rassemblée au sein de la MEST (Multinational Entry into Service Team) installée sur la base aérienne d’Orléans et qui accueille différentes délégations étrangères. France et Allemagne signent également un partenariat pour un entrainement commun. Mécaniciens et équipages des deux pays se forment ensemble à Wunstorf en Allemagne. Les pilotes peaufinent ensuite leur entrainement tactique à Orléans, royaume de l’A400M en France.
La coopération est sur les rails, mais les appareils arrivent au compte-goutte, les surcoûts s’accompagnant de retards qui se comptent en années. Pire, l’avion est loin d’afficher les capacités espérées. Les premiers exemplaires livrés ne sont utilisés que pour des missions de transport stratégiques, sans volet tactique. Pas de parachutage, de poser d’assaut ou de suivi de terrain. Encore moins de ravitaillement en vol pour les hélicoptères. La désillusion est sévère.
Mais après dix années de galère, la lumière serait-elle maintenant visible au bout du tunnel ? « Nous aurons la jouissance du spectre complet des capacités tactiques de l’avion en 2023 » assure-t-on au sein de l’armée de l’Air.
Sans attendre cette échéance, les équipages se font déjà plaisir aux commandes de la bête. Dans le cockpit climatisé, l’ambiance est feutrée comme dans celle d’un avion commercial. Minimanche latéral, grands écrans multifonctions, affichage tête haute… Aucune erreur possible, on est dans un Airbus de dernière génération.
Les anciens du Transall ont parfois du mal à s’y faire. Pour les plus jeunes sortant de l’école de pilotage d’Avord, les écrans, les commandes de vol électriques, la puissance des quatre turbines TP400 au bout des doigts, tout semble naturel. Question de génération. Quoi qu’il en soit, l’ère du Transall, des charges utiles anémiques, de la fournaise dans le poste et des étapes sans fin arrive à son terme.
En 2018, l’avion fonctionne donc de mieux en mieux et la bataille se déplace maintenant sur le terrain commercial. 180 avions étaient prévus à l’origine pour les pays partenaires du programme. Un chiffre très vite ramené à 174.
Mais le transport militaire est rarement une priorité dans les budgets et les ambitions affichées il y a plus de quinze ans tiendront elles face à la réalité économique ? L’armée de l’air disposera-t-elle à terme de cinquante avions, comme elle le souhaitait ? On peut en douter… Question identique pour l’Allemagne, qui a commandé 53 appareils et qui en a reçu une vingtaine à ce jour. Que pourrait faire la Luftwaffe avec 53 A400M. Les stocker, en revendre une partie comme elle l’avait fait avec les Transall ?
Car entretemps, le loup est entré dans la bergerie. L’A400M n’ayant pas été au rendez-vous pour reprendre à temps toutes les capacités du Transall, la France et l’Allemagne se sont tournées ensemble vers le Lockheed C130J américain. L’Allemagne a décidé d’en acheter six et la France quatre. Un total de dix avions qui seront exploités en commun.
Dès 2021, Français et Allemands seront regroupés dans un unique escadron installé sur la base d’Evreux. Les équipages seront en gestion partagée sous la houlette du chef des opérations qui, pour les missions communes, pourra employer indifféremment des personnels navigants français ou allemands en équipages mixtes.
Bien évidemment, les deux pays conserveront une capacité à planifier et conduire une opération nationale sensible. Et pour celle-ci, seuls des équipages nationaux seront employés. Un niveau d’intégration jamais vu auparavant. Ni du temps du Transall franco-allemand, ni du temps de l’A400M européen.
Il aura donc fallu un avion américain pour fédérer aussi étroitement les volontés. Pourquoi ? Question de volonté politique. Il aura fallu attendre le bon alignement des planètes de part et d’autre du Rhin. Et une fois de plus l’aviation de transport militaire aura joué un rôle moteur au sein du couple franco-allemand.
Frédéric Lert
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Merci à Frédéric Lert pour cette série intelligente, bien écrite et bien documentée. :)